L’une des annonces du Premier ministre le 28 avril passée un peu plus inaperçue que la création de zones rouges et vertes au niveau départemental ou que la fin des attestations sur moins de 100 km, concerne le lancement d’un immense dispositif de traçage humain et de flicage sanitaire de la population : « Dans chaque département, nous constituerons des brigades chargées de remonter la liste des cas contacts, de les appeler, de les inviter à se faire tester en leur indiquant à quel endroit ils doivent se rendre, puis à vérifier que ces tests ont bien eu lieu et que leurs résultats donnent bien lieu à l’application correcte de la doctrine nationale».
En complément de la fameuse appli pour smartphones en cours d’élaboration qui prétend enregistrer l’ensemble des personnes fréquentées ou croisées plus de x minutes et à moins d’un mètre sur les 15 derniers jours, voici donc quelques infos qui commencent à sortir sur les futurs 30 000 flics en blouse blanche des Brigades sanitaires chargées de remonter la trace de toutes les personnes-contacts des cas positifs afin de les mettre en quarantaine de précaution et de les tester à leur tour.
Parallèlement au dispositif Covisan déployé en région parisienne pour mener des inspections à domicile, le pouvoir installe et forme depuis quelques jours à travers tout le territoire ses nouvelles Brigades sanitaires (dites « brigades de cas contacts »). Rien que le terme de brigades devrait provoquer un sursaut de répulsion chez n’importe quel anti-autoritaire, tout comme ce vocabulaire de préfecture déjà employé lors des expulsions de squats de migrants et réutilisé sans vergogne par le ministre pour expliquer leur futur travail : la « mise à l’abri », c’est-à-dire ici la mise en quarantaine forcée. En entendant cette novlangue, on se dit que ce n’est peut-être pas pour rien qu’un sociologue, une anthropologue ou une crapule humanitaire (ATD Quart Monde) siègent au Conseil scientifique du gouvernement pour travailler sur le volet « acceptation sociale » des mesures autoritaires qu’il prend.
Avec les 700 000 tests hebdomadaires annoncés en fanfare pour mai-juin au sein de dispositifs variés (mobiles en mode tentes/ drive-in, ou fixes), le nombre de cas positifs détectés en dehors des hôpitaux va se démultiplier –1000 à 5000/jour selon leurs projections–, déclenchant inévitablement une série d’interrogatoires et d’effets en cascade si les cas positifs se mettent à baver leurs contacts à l’État plutôt que de s’auto-organiser en conséquence.
Parmi les premiers enquêteurs (épidémiologiques, puisque c’est leur nom), beaucoup seront les labos et surtout les médecins qui ont prescrit les tests et suivi leurs résultats. Comme n’importe quels flics qui voudraient nous faire croire que seul compte l’amour du métier, les généralistes seront d’ailleurs rémunérés pour ce travail d’enquête, le montant perçu étant encore en cours de négociation avec leurs syndicats. En cas de test positif, les inspecteurs en blouse blanche des cabinets médicaux rentreront donc non seulement les coordonnées de la personne dans un logiciel nommé « contact Covid», qui remonte à l’Assurance Maladie (CPAM), mais également toutes les infos qu’ils auront réussi à gratter sur les contacts de leur patient, directement ou grâce à son entourage (nom, prénom, adresse, liens et surtout téléphone). C’est à partir de là, dans les 24 heures, que vont véritablement entrer en scène les enquêteurs de choc de la Brigade Sanitaire, gris et obtus comme tous les bureaucrates qui suivent des consignes données par un écran, de ceux qu’on connaît déjà trop bien à la CAF ou la Sécu. Ils sont organisés au sein des plateformes départementales de l’assurance-maladie sous forme de cellules dédiées au « contact tracing » : 8000 enquêteurs, dont 60-90 en Haute-Garonne ou 51 dans le Calvados (en temps plein) selon les premiers chiffres sortis. Leur tâche sera bien sûr d’appeler les premières personnes contacts signalées au médecin –ou plutôt balancées, si c’est sans leur consentement– pour recouper l’info, mais surtout de rappeler le cas positif afin de mener une seconde enquête plus poussée et identifier l’ensemble de ses contacts de la manière la plus exhaustive possible (ce qu’on appelle prosaïquement un interrogatoire poussé à base de culpabilisation et de menaces). « Les appels devraient durer une vingtaine de minutes selon des premières estimations et l’hypothèse est que chaque malade peut contaminer 20 à 25 personnes » précise un ponte, « trois critères devant être retenus : la durée de l’échange entre le patient positif et ses contacts ; la distance au moment de l’échange ; et le port ou non d’un masque par les personnes ».
En cas d’absence de coordonnées précises pour retrouver un contact, chaque cellule de « contact tracing » aura tout loisir d’interroger les bases internes de données de la Sécu pour retrouver l’individu qu’elle souhaite. En Italie, un décret gouvernemental a même complété ce point en offrant la possibilité aux enquêteurs de la Sécu de rechercher le numéro de téléphone d’un « cas-contact » grâce aux flics, lorsqu’ils ne l’avaient pas ou ne le trouvaient pas.
A partir de cette petite investigation basée sur les bavardages intempestifs de la personne concernée ou de son entourage proche (et plus tard également de l’appli délatrice), l’enquêteur de la Brigade Sanitaire déterminera quelles personnes-contacts présentent au final un risque potentiel d’infection selon sa grille statistique, et pourra enfin aboutir au troisième objectif de tout ce fouinage : « tester, tracer… isoler », selon la déclaration ministérielle du 28 avril. L’ensemble des présumés touchés par le virus vont donc recevoir l’injonction (par téléphone ou par une visite à domicile) de se faire tester en cessant immédiatement toute activité, puis d’effectuer une quarantaine de 14 jours si le test est positif, et de 3 jours s’il est négatif (par précaution) avec un second test ensuite. Quant à l’aspect répressif de contrôler si ces « cas-contacts » se font bien tester comme on le leur ordonne ou s’ils respectent bien leur quarantaine (surveillance téléphonique à distance, prise de température à domicile, bracelet électronique,…), tout cela sera bien sûr annoncé dans un deuxième temps, mais nul doute que tout réfractaire sera au minimum signalé par les Brigades Sanitaires aux autorités compétentes, à savoir l’Agence régionale de santé (ARS) qui travaille en étroite collaboration avec les préfectures et les forces de l’ordre.
L’avant-projet de loi qui sera présenté samedi 2 mai en Conseil des ministres prolongeant de deux mois supplémentaires l’état d’urgence sanitaire, a ainsi prévu un volet « quarantaine forcée et placement à l’isolement » lors « de l’arrivée sur le territoire national » ou lorsqu’un cas positif, en refusant de manière «réitérée» les prescriptions médicales d’isolement, crée «un risque grave de contaminer d’autres personnes». Le préfet pourra alors, sur proposition du directeur général de l’ARS, prononcer pour une durée de 14 jours la mise en quarantaine et le placement à l’isolement «par décision individuelle motivée». Et c’est là qu’on rejoint la déjà terrible normalité du pouvoir préfectoral d’avant le covid-19, avec par exemple la rétention administrative pour les étrangers sans-papiers ou l’internement d’office en HP (Soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État, SDRE).
Qui ? Les enquêteurs de l’Assurance maladie pourront être des médecins, des pompiers ou des infirmières… mais également des téléconseillers, des administratifs ou des commerciaux ! Pour recruter en masse au-delà des seules professions médicales – un personnel estimé à 30 000 personnes selon le Président du Conseil scientifique –, une mesure dérogatoire est déjà prévue dans la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire de deux mois, donnant accès aux données médicales individuelles à un tas de fouineurs supplémentaires. Ce petit fichier temporaire (art. 6) qui peut « notamment comporter des données de santé et d’identification » devrait avoir pour finalité « la détermination des personnes infectées ou susceptibles de l’être, la collecte des informations nécessaires pour déterminer les personnes ayant été en contact avec ces dernières, l’organisation des examens de biologie médicale de dépistage», ainsi que « les prescriptions médicales d’isolement prophylactique des personnes».
Ailleurs, la Belgique se propose par exemple de recruter quelque 2 000 enquêteurs issus de la société civile, la Californie planifie une brigade de 20 000 « traceurs », et l’Allemagne qui vise 20 000 personnes songe à faire appel à l’armée en cas de besoin.
En plus. En cas de clusters (groupement de malades dans un même endroit géographique), ce sont directement les inspecteurs-en-chef de l’Agence régionale de santé qui s’occuperont avec moins de pincettes du traçage concentré de tous les cas contacts, à la place des sous-fifres départementaux. Enfin, un dispositif spécial pauvres/galériens/chômeurs et autres plus éloignés ou plus réticents avec les dispositifs médicaux a été pensé pour les Brigades Sanitaires. L’État va ainsi recruter et former une partie de ses enquêteurs au sein des CCAS des mairies et des départements, mais également dans « le milieu associatif » comme la Croix Rouge.
[Synthèse établie à partir de la presse quotidienne d’aujourd’hui]