Le Parisien / dimanche 22 mars 2020
Si nombre d’établissements pénitentiaires ont connu cette semaine des incidents sur fond de crainte du coronavirus, c’est bien une « mutinerie » qui a touché ce dimanche soir le centre de détention d’Uzerche (Corrèze).
Pour la première fois depuis le début de la crise, les surveillants ont perdu le contrôle de l’un des bâtiments, le « C », qu’ils ont dû évacuer, les détenus prenant possession des coursives. C’est peu après 17 heures que plusieurs d’entre eux ont d’abord refusé de réintégrer leurs cellules. Vers 19 heures, ils étaient près de 200 à évoluer en liberté dans certaines zones de l’établissement. Une quarantaine d’entre eux sont parvenus à monter sur les toits, dont ils ont été rapidement délogés.
Plusieurs départs de feu ont été enregistrés, notamment via des matelas brûlés. Selon nos informations, un détenu ayant inhalé des fumées a dû être hospitalisé. Jusqu’au coucher du soleil, un hélicoptère de la gendarmerie a survolé la prison, alors qu’une dizaine de fourgons de gendarmes mobiles convergeaient sur les lieux afin de ramener l’ordre au côté des ERIS, les équipes spécialisées de l’administration pénitentiaire.
Vers 22 heures, une dizaine de mutins devaient encore être évacués du bâtiment concerné. Selon plusieurs sources, dont le syndicat FO, ce sont près de 250 cellules qui ont été rendues inutilisables, ce qui va nécessiter toute la nuit des extractions de détenus vers d’autres établissements de la région Aquitaine. « La crainte du coronavirus et la suppression des parloirs ont joué, mais il y a aussi une forme de challenge entre détenus et établissements visant à tout casser », analyse Thierry Not, secrétaire adjoint régional du syndicat Ufap-Unsa.
Si des mouvements, d’une ampleur moindre, avaient déjà été enregistrés au cours des dernières années à Uzerche, les observateurs s’attendaient plutôt à ce qu’ils soient enregistrés cette fois dans d’autres établissements du grand Ouest. « Le profil des détenus d’Uzerche reste très hétéroclite, note Thierry Not. Beaucoup sont jeunes, et proviennent de nombreuses régions de France, de Lyon à Montpellier en passant par Toulouse. »
En tant que centre de détention, Uzerche accueille près de 600 détenus déjà condamnés, à une peine au minimum de deux ans de prison. « Un certain nombre de ces détenus ont pu être reversés dans les cellules des étages non touchés, expliquait ce dimanche soir une source pénitentiaire. Les leaders de ce mouvement et les casseurs ont été identifiés. » Selon cette même source, alors que les gendarmes assuraient la sécurité « périmétrique », « il n’y a pas eu de risque d’évasion. »
Plus tôt dans la journée, d’autres mouvements de grogne des prisonniers avaient touché un certain nombre d’établissements à travers la France, mais d’une intensité nettement moindre que les événements s’étant produits à Uzerche. À chaque fois, il s’agissait de refus de réintégrer les cellules, qui tous ont cessé dans le calme à l’arrivée des ERIS. Excepté à Maubeuge (Nord), où celles-ci ont essuyé des jets de projectiles.
Selon France Info de lundi 23 mars,
[…] Il était aux environs de 16h30 quand quelques détenus ont refusé de rentrer après la promenade. « Ils ont très vite arraché une poutre dans la cour pour se servir de bélier et défoncer les portes des deux bâtiments C et D du centre de détention. Ils ont mis le feu, détruit les couloirs, nos bureaux, le bureau du directeur, tous les dossiers des détenus ont brûlé, la partie informatique a explosé… ces deux bâtiments sont totalement aujourd’hui détruits. Il va falloir un à deux ans de boulot pour tout reconstruire. Ce qui veut dire qu’on va vraisemblablement être déplacés dans les semaines à venir sur d’autres centres de détention ou maisons d’arrêt de la Nouvelle-Aquitaine, puisque l’intégralité de notre effectif sur Uzerche ne sera plus justifié » poursuit Dimitry Frère
Les meneurs se sont filmés avec leur portable et ont diffusé des vidéos sur les réseaux sociaux, type snapchat. Ils sont même identifiables. Ils sont cinq ce lundi 23 mars susceptibles d’être poursuivis en comparution immédiate. Ce sont au total 88 détenus, par effet boule de neige, qui se sont retrouvés en mutinerie, notamment sur le toit du centre de détention, criant des propos haineux à l’intention du personnel pénitentiaire.
Les forces de Gendarmerie corréziennes (Communauté de Brigades et Peloton Motorisé de Uzerche, COB de Lubersac et de Donzenac, PSIG de Brive) et les forces ERIS ont pu maitriser les détenus en liberté aile par aile. Ils ont dû faire usage de grenades de désencerclement et de tirs de balles en caoutchouc. Un seul détenu a été blessé par un tir. Rappelons que 550 prisonniers sont en cellule au centre de détention d’Uzerche. Les surveillants pénitentiaires passaient dans la foulée des premières interventions pour contenir immédiatement en cellule les prisonniers. Les interventions se sont prolongées jusqu’au début de la nuit. Un appel nominatif a ensuite été fait pour vérifier l’absence de toute évasion.
Sur les 88 détenus en liberté pendant la mutinerie, 83 ont été déplacés dans la nuit vers l’ensemble des établissements dépendant du DISP Nouvelle-Aquitaine, soit de Poitiers à Pau, en passant par ceux de Neuvic et Mont-de-Marsan. 250 prisonniers vont l’être dans la journée vers les autres centres de détention de France, comme Paris, Lyon etc. […]