Contra Toda Nocividad / jeudi 5 mars 2020
On parle beaucoup du coronavirus Covid-19, et pourtant très peu. Certains éléments fondamentaux restent dans l’ombre. Je voudrais en citer quelques-uns, différents mais complémentaires.
Le premier fait référence au fonctionnement pervers du capitalisme, qui cache les causes véritables des problèmes afin de ne pas les affronter, parce que cela toucherait à ses intérêts, alors qu’il fait des affaires avec un prétendu traitement des symptômes. Pendant ce temps, les États consacrent d’énormes ressources publiques à des mesures de prévention, de contention et de traitement, qui eux non plus n’agissent pas sur les causes, de sorte que cette façon de faire face aux problèmes se transforme en affaire, accaparée par les sociétés transnationales, par exemple avec les vaccins et les médicaments.
L’approche dominante aux virus et aux bactéries veut qu’il s’agisse exclusivement d’organismes nuisibles qui doivent être éliminés. Ce qui prévaut est une perspective guerrière, comme dans tant d’autres aspects du rapport du capitalisme à la nature. Cependant, en raison de leur capacité à sauter entre les espèces, les virus et les bactéries sont un élément fondamental de la coévolution et de l’adaptation des êtres vivants, y compris les humains, ainsi que de leur équilibre avec l’environnement et de leur santé.
La Covid-19, qui fait aujourd’hui la une des journaux du monde entier, est une souche de la famille des coronavirus, qui provoque des maladies respiratoires généralement bénignes, mais qui peuvent être graves pour un très faible pourcentage des personnes touchées, en raison de leur vulnérabilité. D’autres souches de coronavirus ont causé le Syndrome respiratoire aigu sévère (SARS), considéré comme une épidémie en Asie en 2003, mais ayant disparu depuis 2004, et le Syndrome respiratoire aigu du Moyen-Orient (MERS), qui a pratiquement disparu aussi. Comme la Covid-19, il s’agit de virus qui peuvent être présents chez les animaux ainsi que chez les humains et, comme c’est le cas pour tous les virus, les organismes affectés ont tendance à développer une résistance, qui provoque à son tour une nouvelle mutation du virus.
Il y a un consensus scientifique sur le fait que l’origine de ce nouveau virus – comme tous ceux qui ont déclenché ou menacés de déclencher une pandémie ces dernières années, y compris la grippe aviaire et la grippe porcine qu’il y au eu au Mexique – est zoonotique. C’est-à-dire qu’il provient d’animaux et qu’ ensuite il mute, en affectant les êtres humains. Dans le cas de la Covid-19 et du SARS, on présume qu’il provient de chauves-souris. Bien que l’on mette en cause la consommation de chauves-souris sur les marchés asiatiques, en réalité la consommation d’animaux sauvages de manière traditionnelle et locale ne pose pas de problème. L’élément fondamental est la destruction des habitats propres aux espèces sauvages et leur remplacement par des installations urbaines et/ou par l’expansion de l’agriculture et de l’élevage industriels, ce qui crée des situations favorisant la mutation accélérée des virus.
La véritable usine systématique des nouveaux virus et bactéries qui sont transmis aux êtres humains est l’élevage industriel d’animaux, principalement de oiseaux, de porcs et de vaches. Plus du 70% des antibiotiques dans le monde sont utilisés pour l’engraissement ou la prévention des infections chez des animaux non malades, ce qui a engendré un très grave problème de résistance aux antibiotiques, aussi chez les êtres humains. Depuis 2017, l’OMS a fait appel aux industries agricoles, d’élevage, piscicoles et alimentaires afin qu’elles cessent d’utiliser systématiquement des antibiotiques pour stimuler la croissance d’animaux en bonne santé. Les grandes entreprises agricoles et alimentaires ajoutent régulièrement à leur nourriture des doses d’antiviraux et de pesticides.
Cependant, il est plus facile et plus pratique de pointer du doigt quelques chauves-souris ou civettes – dont les habitats naturels ont certainement été détruits – que de remettre en question ces usines de maladies humaines et animales.
La menace de pandémie est également sélective. Toutes les maladies qui ont été considérées comme des épidémies au cours des deux dernières décennies, y compris la Covid-19, ont produit beaucoup moins de décès que des maladies courantes, comme la grippe – à cause de laquelle meurent chaque année, selon l’OMS, jusqu’à 650 000 personnes dans le monde. Toutefois, ces nouvelles épidémies motivent des mesures de surveillance et de contrôle extrêmes.
Comme l’a déclaré le philosophe italien Giorgio Agamben, se confirme ainsi la tendance croissante à utiliser l’état d’exception comme paradigme normal de gouvernement.
Se référant à l’épidémie de Covid-19 en Italie, Agamben souligne que « le décret-loi immédiatement approuvé par le gouvernement, pour des raisons de santé et de sécurité publique, donne lieu à une véritable militarisation des communes et des zones qui sont citées comme sources de transmission, une formule, celle-ci, si vague qu’elle permet d’étendre l’état d’exception à toutes les régions ». A cela, continue Agamben, s’ajoute l’état de peur qui s’est propagé ces dernières années dans les consciences des individus et qui se traduit par le besoin d’états de panique collective, auquel l’épidémie offre une fois de plus le prétexte idéal. Ainsi, dans un cercle vicieux et pervers, la limitation de la liberté imposée par les gouvernements est acceptée au nom d’un désir de sécurité qui a été induit par ces mêmes gouvernements qui interviennent maintenant pour le satisfaire.
Silvia Ribeiro
chercheuse du groupe ETC