Le futur n’est pas écrit – Une contribution sur les possibles développements de la situation actuelle

J’ai décidé d’écrire ces quelques lignes pour tenter d’imaginer certains des scénarios futurs de la crise actuelle, car je pense que celle-ci, si ce ne sera pas la plus grande crise du système de domination actuelle, ce sera certainement un événement qui changera le monde tel que nous l’avons connu jusqu’ici, en ouvrant la voie à des restructurations et à des événements jusqu’ici jugés impossibles, dans les interstices desquels l’action anarchiste qui vise à la destruction de toute forme d’oppression pourra trouver l’occasion de s’exprimer, et peut-être de se révéler appropriée à la réalisation de nos rêves les plus profonds et inavoués.

Commençons par admettre que cette crise nous a tous et toutes pris par surprise, bien que de nombreuses prévisions avaient déjà annoncé une possibilité de ce genre quant au futur proche de l’humanité (NATO URBAN OPERATION, ça vous dit quelque chose ?). Une possibilité à laquelle les États et leurs institutions se préparent depuis quelque temps, mais à laquelle ils semblent encore heureusement incapables de répondre de manière adéquate. Cela devrait déjà nous suggérer une première réflexion : à défaut des analyses qui voient le pouvoir comme un système d’administration organique et parfaitement huilé, dans lequel toutes les parties participent de manière adaptée, avec leurs contributions parfaitement synchronisées, nous devons reconnaître que les gouvernements n’étaient pas préparés à cette pandémie, sur presque tous les niveaux. Cela devrait nous suggérer que malgré les efforts de nos ennemis, des forces différentes et même opposées se pressent sur les trônes du pouvoir, à défaut d’une gestion des choses homogène et ponctuelle.
Imaginer des scénarios futurs n’est pas un simple exercice de la fantaisie sans but, ni une activité visant à titiller agréablement nos propositions destructives. Cela ne devrait pas non plus être un prétexte pour continuer à nous répéter plein de joie la litanie exténuante du « nous l’avions prévu ». Cela devrait plutôt servir à aider à développer sérieusement des projectualités d’intervention dans le futur immédiat. Au cours des derniers jours, sur les sites du mouvement, des contributions continuent à sortir sans cesse, n’ajoutant rien à ce que nous savions déjà, une quantité de textes qui semblent plus chercher à donner raison aux analyses produites au cours des dernières années, qu’à construire des moyens utiles pour nous orienter dans la situation actuelle. Des contributions imprégnées par cette idéologie de l’insurrection, qui cherchent partout les possibilités d’une révolte, sans jamais oser imaginer de la provoquer, ou à la recherche des conditions objectives d’une crise du capitalisme, manquant de l’imagination nécessaire pour envisager une intervention autonome qui mette finalement et véritablement en crise l’existant, et en révélant une nouvelle fois jusqu’à quel point les toiles d’araignées théoriques du passé recouvrent encore les analyses qui proviennent de ce qu’on appelle le milieu anarchiste.
La grande quantité d’écrits qui circulent dernièrement se limite en effet en grande partie à décrire, avec des tons alarmistes, les dérives sécuritaires et paranoïaques des derniers temps, chose qui n’aide pas beaucoup à imaginer une issue de cette situation qui pue le totalitarisme. Au contraire ! Ça plombe le moral, en augmentant la quantité de données négatives avec lesquelles il faut faire les comptes, et en reproduisant en substance l’atmosphère de peur que l’on respire partout, et donnant de l’écho aux pires nouvelles en circulation. Allez ! Croyez-vous vraiment qu’il y a encore besoin de décrire l’évolution autoritaire de l’actuel système de domination ? Cela fait des années qu’on le fait, et cela n’a que contribué à développer des attitudes pessimistes concernant les possibilités de bouleversement du système, en obscurcissant notre imaginaire avec des nuages noirs de négativité, de frustration et de découragement. À mon humble avis, je crois au contraire qu’il nous faut un rayon de lumière à la fin du tunnel, il nous faut entrevoir des possibilités réelles d’interventions dans le présent, pour pouvoir saisir et ainsi trouver de nouveau un élan pour l’agir. Autrement mieux vaut renoncer maintenant, se livrer aux drogues (qu’elles soient technologiques ou chimiques) ou à d’autres genres de distractions, pour profiter agréablement de ce lent anéantissement de nous-mêmes et de la planète, sans continuer à s’autoflageller.
Cette considération m’amène à suggérer qu’il y a besoin en urgence d’un récit des
événements qui échappe à celui imposé par la domination. Depuis quelque temps,
on répète comme un mantra que l’on n’a pas le pou de la situation (surtout sociale),
car nous vivons dans des ghettos antagonistes autoconstruits, et aujourd’hui plus que
jamais, vu que nous ne sommes pas dans les rues et que nous ne prenons pas le bus,
en somme aujourd’hui où nous sommes coupés du monde, il est difficile de se faire
une idée du vent qui souffle, et il faudrait prendre avec des pincettes ce qui passe sur
différents types d’écrans peuplant notre espace domestique. En ce moment, la ma-
jeure partie des informations que nous avons à disposition sont celles fournies par des
organes mass médiatiques et celles qui rebondissent sans contrôle sur les réseaux so-
ciaux, chose qui augmente la dépendance intellectuelle de ce système, et restreint nos
capacités à produire une pensée autonome, contaminée comme elle est par l’hystérie
et la peur qui circulent. L’imaginaire, même dans le soi-disant réseau subversif, est
de fait colonisé par des données insignifiantes et des informations poubelles, défor-
mant la perception de la réalité, et empêchant le développement de projectualités qui
dépassent les rives de la pensée commune. On est en train de payer l’absence ces der-
nières années de critique des médias et des moyens d’informations, comme les réseaux
sociaux. Ou, pour mieux le dire, on l’a considéré comme évidente, alors que toujours
plus de compagnonnes et de compagnons s’alignent sur les tendances communica-
tives de la masse, en se mettant un smartphone dans la poche, en se racontant (et en
racontant autour d’eux) qu’ils l’utiliseraient « consciemment ». Un fait déconcertant,
et c’est peu dire. Bien que tous connaissaient les conséquences que l’utilisation de
certains appareils a sur la sociabilité, ainsi que les rechutes indiscutables en matière
de contrôle, nous nous sommes simplement conformés, peut-être par peur de rester
isolés, peut-être avec la sincère intention de les utiliser au mieux. Le fait est que nos
milieux et que nos espaces vitaux, avec une superficialité dangereuse, ont été remplis
d’encore plus d’oreilles et d’yeux fonctionnels au pouvoir, en offrant des milliers d’in-
formations à ceux qui s’occupent de les surveiller, par exemple à propos des profils et
des pages web que l’on visite, des personnes avec qui l’on communique, les réseaux
de contacts etc. Et le gouvernement se demande maintenant si oui ou non suspendre
les droits de privacy en utilisant des applications, afin de contrôler nos déplacements.
Il est triste de reconnaître une nouvelle fois cette tendance contemporaine qui prévoit
une participation de ceux d’en bas dans la construction de leurs propres cages.
Sans parler des conséquences que l’usage des réseaux sociaux a sur la capacité des
personnes à supporter cette condition d’isolement imposée. Qui sait, ces jours-ci,
combien de personnes remercient les monstres sacrés de la domination technolo-
gique, pour leur avoir donné la possibilité de communiquer avec leurs proches. Sans
eux, ils seraient peut-être déjà descendus dans la rue, ils auraient inventé mille et un
plans pour s’évader des interdictions, en se rencontrant de visu, ne pouvant pas re-
noncer plus encore à ce contact humain si important pour le bien-être psychophy-
sique. Et cela vaut aussi pour les révolutionnaires, ou pour les militants de toute sorte.

Possibles scénarios dans un futur proche

Des protestations et des révoltes pourraient aussi advenir dans les temps à venir. En
effet, de nombreuses personnes auront bientôt des difficultés pour subvenir à leurs
besoins. Au cours des derniers jours, le Ministre pour le Sud et la Cohésion Territo-
riale est intervenu pour mettre le gouvernement en garde face à la possibilité d’une
explosion sociale. Même les services de renseignements se dont dits préoccupés.
On commence à prendre connaissance de tensions liées à la satisfaction des besoins
alimentaires vitaux, ceux qui s’occupent normalement de l’assistance sociale ne sont
pas en mesure d’affronter la grande quantité de demandes d’aide qui les submergent,
et le gouvernement se précipite pour distribuer à la hâte certaines miettes, en cher-
chant maladroitement à jeter de l’eau sur le feu. Entre-temps, il prie littéralement
l’U. E. de l’aider à soutenir l’économie et les besoins de la population face à cette
crise. Aujourd’hui est arrivée la nouvelle de la création d’un fonds de 100 milliards
d’euros dans ce but. Il est certains que ceux qui siègent dans les étages supérieurs
commencent à être préoccupés par les possibilités que provoqueront le prolongement
des mesures de limitations de la contagion, et que pour les éviter ils commenceront à
puiser dans leurs réserves. Mais comme je le disais au-dessus, nous devons considérer
que le pouvoir n’est pas un organisme parfaitement synchronisé, et l’Europe en est un
parfait exemple. Les puissants aussi peuvent commettre des erreurs d’évaluation. Il
est alors possible que ces mesures ne soient pas suffisantes pour contrôler la situation.
Il suffit de penser au grand nombre de migrants en situations irrégulières qui n’auront
droit à rien, aux travailleurs au noir ou à ceux qui gagnent leur pain au jour le jour ;
c’est probable qu’assez vite il commencera à y avoir des conflits entre pauvres pour
accéder aux aides des associations caritatives et d’assistances. En Italie, il existe une
tranche de la population entière (surtout au Sud) qui vit grâce à une économie « pa-
rallèle », que le gouvernement, et plus généralement les différents technocrates, ne
tiennent pas en considération, tellement leurs esprits sont obscurcis par des chiffres
et des statistiques sur l’économie « officielle ».
Dans d’autres pays, des gouvernants avec un peu plus de bon sens (ou d’instinct
d’autoconservation ?) ont immédiatement bloqué le paiement des emprunts et des
factures, fixé les prix des produits alimentaires, dans certains cas ils ont taxé les plus
riches (c’est le cas du Salvador). Certes, là-bas les possibilités d’un soulèvement po-
pulaire sont sûrement plus concrètes, mais il n’empêche qu’ici aussi les conditions
d’une véritable bombe sociale se créent peu à peu.
Etant donné que la fin de la réclusion ne semble pas proche, nous verrons d’ici peu
s’ils sont en mesure d’apaiser les consciences en remplissant les panses et les bouches
de carottes, ou s’ils doivent bientôt recourir au bâton pour maintenir la situation sous
contrôle.
À courts termes, il est aussi possible que les prisons explosent de nouveau, car je
doute que les réponses mises en place par l’administration pénitentiaire et par le gou-
vernement face aux revendications et aux exigences des détenus soient capables de
contrôler encore longtemps la situation. Il y a des nouvelles concernant une augmen-
tation des contagions à l’intérieur des prisons, aussi bien parmi les détenus que parmi
le personnel médical, et même des morts. Ne pas se retrouver impréparés face au sur-
gissement de cette probabilité, mais commencer dès à présent à réfléchir sur comment
intervenir (être présents dans des endroits pour aider en cas d’évasion à faire perdre
les traces des évadé-e-s ? Bloquer les rues par où arriveront les renforts des flics ?
Frapper ailleurs ?) me semble plus que jamais souhaitable.
Une fois sortis de la crise actuelle, nous sommes quasiment certains que s’ouvrira
une période de réajustement, que ce soit du point de vue économico-politique ou du
point de vue sociale.
L’économie commence déjà à connaître des problèmes, et les différents gouverne-
ments mettent en circulation d’importantes quantités de capitaux pour prendre des
mesures d’urgence. Une fois sortis de la crise, ils tenteront de toutes les manières de
faire remonter la consommation et les économies nationales pour favoriser une nou-
velle croissance. Aux quatre coins de la planète, de nouveaux projets de dévastations
seront mis en œuvre dans ce but, empirant alors la situation environnementale. Re-
lancer la croissance, coûte que coûte, sera le diktat mis en œuvre un peu partout et
soutenu par toutes les forces politiques.

Face à cette problématique et aux autres, l’U. E. pourrait réellement et finalement
entrer en cris.

L’incapacité de cet organisme supranational à adopter des mesures nécessaires pour
surmonter la crise est en train d’être démontrée ces derniers jours également, dans
les discussions entre le gouvernement et les pouvoirs forts de l’Union. Le fossé entre
l’Europe du nord et les pays du sud s’accentuera, augmentant les contrastes et la dis-
tance entre les États. Pensons par exemple au fait que pour aider les pays en difficulté
comme l’Italie (un pays avec une des dettes publiques la plus importante du monde
et gardé à flots grâce à l’entrée permanente de capitaux de la part des autres États de
l’Union) les technocrates européens ont eu le courage de proposer comme solution
l’utilisation du MES, c’est-à-dire ce fond « sauve-Etat » que nous pourrions définir
sans hésitation comme un système de prêt à usure institutionnalisé. Il suffit de voir
dans quelles conditions il a réduit la Grèce avec son intervention.
Ce scénario pourrait certainement se révéler intéressant, car il ouvrirait les portes à
une période de grande instabilité économique pour les pays périphériques de la zone
euro, tout comme l’Italie, qui risquerait sûrement le « défaut de paiement » si elle ne
trouvait pas rapidement un nouvel allié capable d’en soutenir la dette. Et ici la Russie
pourrait entrer en jeu, ou plus probablement la Chine, les seuls pays en mesure d’en
acheter la dette. Je ne vais pas plus loin sur les prévisions, car je ne suis pas un éco-
nomiste, mais je pense que nous pouvons facilement imaginer ce qui pourrait arriver
si nous devenions des vassaux de puissances économiques qui ont tout intérêt à créer
une tête de pont en Europe et à y conquérir toujours plus de marchés, des puissances
qui ne sont assurément pas en première position dans la défense des « libertés démo-
cratiques » ou des prétendus « droits de l’homme » (concept complètement vidé de
sens aujourd’hui, bien sûr, mais on s’est compris).
Il est probable qu’en même temps, et parallèlement à cela, il y aura des protestations
liées aux conséquences que les mesures actuelles auront entraînées ; des protestations
dans le secteur de la production, le secteur industriel et le secteur agricole en premier
lieu, mais aussi dans les petites entreprises ; des protestations des fournisseurs de ser-
vice comme le tourisme ou les transports, qui sortiront de ce moment de blocage total
en grande difficulté ; des protestations des précaires, de ceux qui ont vu ces dernières
semaines se dissiper les quelques économies mises de côté avec difficultés. Des pro-
testations dans et pour la santé, pour dénoncer des années de coupes budgétaires qui
ont inévitablement contribué à aggraver et à accélérer l’effondrement des structures
sanitaires pendant les pires phases de la pandémie. Des protestations dans le secteur
de l’éducation, en raison de l’absence de budget et de moyens avec lesquels on a dû
affronter la fermeture des écoles et des universités, et le déplacement complet de l’ap-
prentissage sur le plan télématique et multimédia.
À côté de cela il pourrait arriver que de nombreuses personnes commencent vérita-
blement à mettre ce système en discussion. Au-delà de ceux qui lutteront uniquement
pour rétablir les conditions de vie d’avant la pandémie, ou pour voir changer deux
trois visages dans les sphères du pouvoir, ou pour un welfare meilleur et de meilleurs
services pour le citoyen, il y aura peut-être aussi ceux qui commenceront à exiger des
changements structurels dans le système de production et de consommation. Les
causes de cette crise sont sous les yeux de tous et de toutes (d’autres les ont longue-
ment indiqués et décrits ces derniers temps, j’éviterais donc de les répéter), et bien
que beaucoup continueront à garder la tête sous le sable, jugeant trop compliqué et
fatiguant d’imaginer une manière différente d’habiter la planète, d’autres sont déjà
en train de commencer à se poser des questions auquel la politique, ou les différents
mouvements réformistes, ne seront pas en mesure de donner une réponse. Une partie
de ces personnes sont déjà actives dans des organisations ou des associations envi-
ronnementales, ou dans des mouvements écologistes comme Fridays for the Future,
ou Extinction Rebellion. Nombre d’entre eux pourraient rapidement se radicaliser et
être disponibles à d’autres formes de luttes plus conflictuelles.
À ce stade on pourrait créer une rupture sociale entre ceux qui demanderont à haute
voix un retour à la normalité, le sauvetage de l’économie et le maintien d’un style de
vie consumériste, et ceux qui au contraire voudrait tout remettre en question. Les dif-
férences de perspectives accentueraient les divisions sociales déjà évidentes, condui-
sant ainsi à un scénario de guerre civile. Je voudrais que l’on garde à l’esprit les pos-
sibilités réelles que se manifeste cette éventualité, afin que l’on commence à réfléchir
sérieusement. Imaginer de lutter, même jusqu’au dernier souffle, que ce soient contre
les forces de la répression, la police, l’armée, ou les militants d’extrême droite, contre
lesquels se sont formés notre haine et notre mépris, est certainement plus facile que
de penser à des combats fratricides, dans lesquels l’ennemi pourrait être x voisin de
maison, x proches ou x ancien ami. Quand une situation se radicalise à l’extrême, ou
bien quand les termes de l’affrontement en acte sont inconciliables, on en arrive à
un affrontement qui ne peut se résoudre, de manière figurée, que par l’expression
simpliste mais réaliste du « ou toi ou moi ». Quand l’enjeu ce sera le futur de cette
planète et les formes de survie que l’on devra adopter pour survivre (par exemple état
totalitaire ou révolution), jusqu’à quel point sera-t-il opportun d’être prêts à affronter
ce scénario jusqu’à ses conséquences ultimes.
Néanmoins, une autre conséquence de la possible disparition de l’U. E. du pano-
rama géopolitique, et dont on parle déjà au niveau institutionnel, c’est bien sûr celui
d’un renforcement des nationalismes, et plus en général de l’extrême droite. Depuis
quelque temps, nous assistons déjà au lent et inexorable déplacement des gouverne-
ments de nombreux pays vers la droite, causé aussi bien par l’incapacité de l’U. E.
d’être autre chose qu’un organisme pour protéger les intérêts des pays économique-
ment plus forts à travers ce qui a été défini comme un « nouveau colonialisme éco-
nomique » réalisé aux détriments des pays « faibles » de l’Union, que par les consé-
quences de la « crise des migrants ». Les concepts du 19e siècle comme la « solidarité », l’ « égalité », la « fraternité humaine », ou d’autres plus religieux comme la « pitié ou
la charité chrétienne », ayant désormais disparus de la conscience du citoyen moyen,
les populations européennes s’abandonnent à leurs peurs les plus mesquines, entre-
tenues par divers leaders et droitiers, avec l’aide terroriste des médias et des réseaux
sociaux. De groupes d’extrême droite patrouillent déjà aux frontières balkaniques de
l’Europe, s’exerçant aux techniques de survie et de guérilla. Dans ces moments de
paranoïa pandémique, ils jubilent déjà à l’idée des possibles conséquences sociopoli-
tiques, signalant à leurs membres de se tenir prêts. Il est en effet assez sûr que la faute
de cette crise sera refilée par beaucoup aux déplacements incontrôlés de personnes et
de populations, avec comme conséquence une augmentation de la xénophobie. Les
frontières de celle que l’on surnomme déjà l’Europe Forteresse deviendront, selon
toutes probabilités, encore plus surveillées et impénétrables pour les masses de dé-
sespérés qui depuis des années font pression à l’extérieur pour accéder à des espoirs
de vies meilleurs (et peut-être aussi que celles à l’intérieur de l’Europe ne seront plus
traversables comme nous y étions habitués avec Schengen).
Nous savons que ces groupes de droite sont plus préparés et équipés que nous pour
affronter un scénario dans lequel l’État ne serait plus en mesure de tenir les rênes de
la situation. Mais cela n’est pas une surprise, n’est-ce pas ? Cela fait des années que de
différents endroits parviennent des alarmes concernant la mobilisation de l’extrême
droite sur tout le continent. À ce sujet, il serait important de commencer un sérieux
travail de recherche et de cartographie permettant d’intervenir à temps pour désa-
morcer ce danger, quand celui-ci cherchera à sortir sa tête du trou. En Allemagne cela
fait des années que l’on travaille dans ce sens, avec l’aide fondamentale des geeks qui
publient en permanence des adresses, des plaques d’immatriculations, des propriétés
des membres des mouvements de droite. Un sérieux travail dans ce sens serait bien
sûr aussi utile ici. Cependant, même dans ce cas-là, l’affrontement pourrait rapide-
ment évoluer vers des niveaux de violence auxquels nous ne sommes généralement
pas habitués.
Enfin (du moins en ce qui concerne mes capacités imaginatives), la normalisation
de l’état d’urgence, le renforcement et la consolidation des instruments de contrôle
et la fin des pseudo-libertés démocratiques sont une autre possibilité sur laquelle pa-
rier sans risque d’être traités de pessimistes. Dans ce cas, les processus en cours de
digitalisation et d’hyper-technologisation de la production et de la vie connaîtraient
sûrement une gigantesque accélération. Le renforcement de la connectivité passerait
immédiatement à la première place de l’agenda des puissants, et le réseau 5G serait
déployé en toute hâte pour permettre les modernisations logistiques et productives
nécessaires. La quatrième révolution industrielle nous tomberait dessus sans même
que l’on ait le temps de s’en rendre compte, et l’agriculture de précision avec ses
drones, ses capteurs et ses plantes modifiées serait l’unique possibilité pour subvenir
aux besoins alimentaires dans un monde vidé d’humains.
Vivre à la maison deviendrait la normalité, on travaillera et on socialisera à travers l’or-
dinateur, on fera des achats en ligne, des robots de divers types circuleront à notre place
dans les rues et dans les habitations pour accomplir tout type de tâche fondamentale, des
réparations à la livraison de nourriture.
Pour ceux qui ont grandi avec les dystopies, il n’est pas difficile d’imaginer un futur
comme cela. En réalité, c’est la direction vers laquelle les choses étaient en train d’aller,
même avant l’état d’urgence, la seule différence c’est qu’elles se réaliseront plus vite et
avec moins d’obstacles du point de vue de l’opposition humaine. Si elle était présen-
tée comme l’unique possibilité de salut pour le genre humain et pour son style de vie
moderne, à qui viendrait-il à l’esprit de protester ? Cela fait des décennies que notre
imaginaire est bombardé par des centaines de films, de livres, de bandes dessinées et de
séries télévisées qui décrivent des futurs catastrophiques, des crises environnementales
et des sociétés futuristes technocratiques et autoritaires, leur accomplissement pourrait
donc ne générer aucun choc, et donc aucune réaction suffisamment désespérée pour
l’empêcher.
Dans tous ces scénarios, les possibilités d’interventions dont multiples, selon la fan-
taisie et les modalités d’action choisies sur la base de l’approche de chacun ) la lutte et
à l’existence. Comme on dit, à chacun le sien. Il faudrait toutefois qu’une chose soit
claire : je n’ai pas décrit ces scénarios possibles pour suggérer d’attendre leur appa-
rition pour passer à l’action. Les prétextes et les raisons pour agir sont nombreux,
même dans ce moment d’enfermement forcé, tout comme ils étaient auparavant. Au
contraire, les conditions pourraient même être plus favorables aujourd’hui plutôt que
dans le futur, étant donné que les rues sont vides et que les forces de l’ordre sont
fatiguées et engagées sur de nombreux fronts. Chaque jour qui passe de nouvelles me-
sures restrictives et de nouveaux moyens de contrôles s’ajoutent à la liste des obstacles
à surmonter. Aujourd’hui, les drones contrôlés par la police municipale patrouillent
dans les parcs publics, demain qui sait…

Un retour à la normalité ?

La question qui émerge spontanément, c’est de savoir si les prétendus révolution-
naires ou subversives attendent un retour à la « normalité » de la domination, celle
dont on avait l’expérience avant la crise pandémique que nous vivons actuellement,
pour reprendre la conflictualité avec l’existant. Car comme quelqu’un l’a déjà exposé
clairement, il n’y aura pas de cette normalité, ou du moins, ce ne sera plus la normalité
à laquelle nous étions habitués (et que l’on déclarait vouloir saboter). Et il vaut mieux
commencer à se préparer à cela. Les conditions et les paramètres avec lesquels nous
étions habitués à analyser la réalité pour planifier l’intervention la plus simple pour-
raient tout simplement ne plus exister. Pour donner une poignée d’exemples aussi ba-
nals qu’emblématiques, à qui donner un tract quand les rues sont vides et que l’on doit
garder un mètre de distance entre chaque personne, en considérant que ce supermar-
ché sera en outre contrôlé par des CRS (comme cela est arrivé dans certaines villes du
sud de l’Italie) ? Qui lira un écrit sur un mur ou une banderole attachée à un pont ? Et
les drones qui patrouillent le ciel disparaitront-ils à la fin de la crise ? Les mouvements
continueront-ils à être tracés avec les app du contrôle ? Et quels objectifs viser, quand
un sabotage ferroviaire ou l’incendie d’un pylône seront pointés du doigt par la ma-
jorité comme l’œuvre de chacals qui veulent entraîner le monde vers le chaos ? Aura-
t-on le courage de poursuivre nos rêves de destruction en nous foutant du consensus
et de la compréhension, quand il suffira peut-être d’un petit coup de pouce pour jeter
dans le gouffre ce qu’il reste de ce système ? Il est plus que jamais urgent que chacun
cherche au plus vite à apporter des réponses, à partir également des hypothèses et
des scénarios envisagés au-dessus (ainsi que d’autres scénarios imaginables). Que ce
monde soit destiné à s’effondrer, voilà l’espoir de notre génération, dans ce nouveau
millénaire de déséquilibres climatiques et de restructurations de la domination. Si cela
advient à cause des conséquences de cette pandémie, ou plutôt à cause d’une autre
catastrophe encore plus terrible et plus épouvantable, ce sera aussi grâce à des indivi-
dus conscients qui, armés de leur volonté, feront en sorte de cet écroulement fleurisse
la possibilité d’une autre manière de vivre en société et d’habiter cette planète. Car
si nous admettons qu’aujourd’hui plus que jamais, le futur n’est pas écrit, alors c’est
aujourd’hui plus que jamais le moment d’agir, en laissant derrière soi les hésitations
et les doutes, pour donner forme à une substance à des décennies des spéculations
théoriques, et se lancer enfin vers l’inconnu d’un monde miraculeusement inconnu.