Le monde Covid-19 : les épidémies à l’ère du Capitalisme

L’exploitation des ressources naturelles de la planète est en train d’amener l’humanité au bord de l’autodestruction ; nous vivons au milieu d’épidémies causées principalement par la diffusion continue de produits chimiques (pesticides, insecticides, perturbateurs endocriniens, etc.) nuisibles pour notre santé ; en même temps, nous vivons entourés d’une atmosphère avec des niveaux de pollution si élevés qu’une grande partie de la population développe des allergies et des maladies. Cette exploitation des ressources naturelles entraîne également la dévastation du territoire par la techno-industrie : la Méditerranée transformée en égout, l’Asie du Sud-Est en désert chimique, l’Afrique en grande décharge, etc.

L’apparition du virus connu sous le nom de Covid-19 est une conséquence de la civilisation industrielle ; pour nous, l’important n’est pas que le virus a muté à partir d’une chauve-souris, peut-être en raison de l’industrialisation de son habitat, ou qu’il s’agisse d’une attaque des États-Unis contre l’économie chinoise ; pour nous, l’important est qu’il s’agit de la conséquence d’un système qui transforme en marchandise chaque processus, objet ou être vivant sur terre, c’est l’avidité d’un système qui poursuit l’anéantissement de tous les êtres vivants, en direction de l’artificialisation le monde. Nous ne pouvions pas penser que notre mode de vie, basée sur une croissance perpétuelle dans une planète qui en effet est finie, n’entraînerait pas des conséquences de ce type et d’autres catastrophes à venir. Des centaines de produits chimiques présents dans notre vie quotidienne modifient les processus naturels et donnent lieu à des centaines de « catastrophes » (des épidémies, le changement climatique, etc.) ; ce sont ces mêmes produits qui, en Chine, provoquent un million et demi de morts par an, des morts qui ne font pas la une des journaux, qui ne provoquent ni alarme sociale, ni enfermement, ni état d’urgence. En Espagne, elles sont 10.000 les personnes qui meurent chaque année à cause de la pollution et il n’y a pas de panique : elles font partie des victimes nécessaires pour que le monde industriel puisse continuer à fonctionner, l’important est que le progrès et son avidité ne s’arrêtent pas.

En principe, le Covid-19 (bien qu’il continue d’être étudié) est une grippe, dont les symptômes sont similaires à ceux de la grippe ordinaire et tous deux touchent davantage des personnes ayant souffert de pathologies antérieures et notamment les personnes âgées ; les deux grippes se distinguant par la rapidité de propagation et la contagiosité de la première, ce qui a causé l’alerte sanitaire. Au moment de la rédaction de ce texte, près de 300 personnes sont mortes de Covid-19, cependant, l’année dernière la grippe commune a causé en Espagne plus de 6000 décès et en 2018 elle a atteint 8000 morts. Face à cela, nous nous demandons le pourquoi de cette situation exceptionnelle d’alarme sociale, créée en grande partie par les médias et par l’opacité des informations données par ceux qui gèrent nos vies.

Afin de mettre fin à la pandémie, l’État a décrété l’« état d’urgence », ce qui implique l’interdiction de se déplacer, le confinement, un contrôle accru, la suspension des réunions et en général de la vie publique, le contrôle des moyens de transport et qui sait si bientôt ce ne sera pas aussi le contrôle de la distribution de la nourriture. Dans ce processus, nous voyons comment l’État prend une forme éco-fasciste, où le gouvernement sera de plus en plus contraint d’agir pour gérer les ressources et l’espace, chaque fois plus « rares », ce qui fait que la préservation des ressources les plus nécessaires n’est garantie qu’en sacrifiant un autre besoin : la liberté.

En l’absence d’un ennemi interne ou externe, l’État a trouvé un ennemi devant lequel il peut montrer tout son potentiel de guerre et en même temps accentuer l’asservissement de la population par la peur et la répression, alors qu’il se pose comme seule possibilité de salut face à la terreur produite par l’épidémie. Pour nous, la solution n’est pas un État plus autoritaire, mais la disparition de toute forme d’autorité. Désormais, il est possible que les états d’alarme, d’urgence… se succèdent, à cause de la dévastation écologique et sociale du monde, car nous sommes sûrs que les catastrophes continueront. Nous n’exagérons pas lorsque nous parlons de potentiel de guerre : on voit déjà l’armée prendre position dans des endroits stratégiques, la police contrôler davantage les rues et des drones dotés des caméras surveiller les mouvements de la population. Les mesures de l’état d’urgence visent non seulement à mettre fin à la pandémie de grippe mais aussi à propager une autre pandémie : celle de la servitude volontaire de la population par l’obéissance aux lois, face au danger de la pandémie ; elles visent à mettre fin aux critiques de l’État et du Capitalisme, face à la peur et aux risques éventuels. Cette servitude volontaire serait impossible sans la soumission à nos dispositifs technologiques et au mode de vie qu’ils créent. Face à une situation de pandémie ou à toute autre catastrophe, nous restons soumis à des technocrates, des spécialistes, des experts, des scientifiques, etc., à ces gestionnaires de l’espace et du temps qui ont tout prévu dans leurs calculs rationnels.

De même, les conséquences de cette épidémie, ou de tout autre désastre industriel, seront économiquement dévastatrices ; on voit déjà la situation critique de milliers de personnes qui seront contraintes au chômage ou à la précarisation de leurs emplois ; comme toujours, la détérioration des conditions de vie sera subie par les couches les plus défavorisées de la société, qui depuis, des années, subissent déjà les durs assauts de la « crise capitaliste » et de ses coupes budgétaires. Au contraire, elle apportera certainement des grands profits aux classes supérieures, comme les propriétaires des grandes entreprises pharmaceutiques.

Face à l’épidémie, le confinement industriel dans lequel nous vivons devient dramatique, on nous enferme dans nos cages en brique et en béton et nous ne pouvons échapper que virtuellement à cette réalité écrasante, à travers nos dispositifs technologiques. Ces mêmes dispositifs qui nous soumettent et perpétuent l’aliénation du mode de vie industriel. Ces dispositifs qui nous déshumanisent et façonnent nos perceptions, notre cerveau, nos sentiments, etc., qui redéfinissent la façon dont nous percevons nous-mêmes et le monde. Connectés au monde virtuel, nous restons à l’écart de la réalité d’un monde hostile, d’une épidémie ou d’une catastrophe nucléaire. Ceux qui gèrent nos vies refusent toute responsabilité, en essayant de nous faire participer aux catastrophes du capitalisme industriel ; c’est curieux car une des caractéristiques de la post-modernité est l’absence de responsabilité dans les actions de chacun d’entre nous, puisque nous participons à la machine tout en étant « aliens » à ses effets. Pour nous, les seules responsables sont l’organisation technique de la vie et ceux qui la gèrent.

Contra toda nocividad
mars 2020

Le monde Covid-19 : les épidémies à l’ère du Capitalisme

Enchaînés à la couronne

« La tyrannie la plus redoutable n’est pas celle qui prend figure d’arbitraire, c’est celle qui nous vient couverte du masque de la légalité. »
A. Libertad, 1907

Avec l’épidémie passagère de Covid-19 qui se propage à travers le monde et les mesures drastiques qui s’enchaînent les unes après les autres de la Chine à l’Italie, une des premières réflexions qui vient en tête est de se demander qui de la poule de l’autorité ou de l’œuf de la soumission est actuellement en train de faire le plus de dégâts. Cette brusque accélération étatique de contrôles, d’interdictions, de fermetures, de militarisation, d’injonctions, de bombardements médiatiques, de zones rouges, de priorisation des morts et des souffrances, de réquisitions, de confinements en tous genres –typiques de n’importe quelle situation de guerre ou de catastrophe–, ne tombe en effet pas du ciel. Elle prospère sur un terrain largement labouré par les renoncements successifs des braves sujets de l’État à toute liberté formelle au nom d’une sécurité illusoire, mais aussi sur la dépossession généralisée de chaque aspect de notre vie et la perte d’une capacité autonome des individus à penser un monde complètement différent de ce-luici. Comme le serinait un anarchiste il y a presque deux siècles déjà, être gouverné revient par principe à « être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé », et cela « sous prétexte d’utilité publique et au nom de l’intérêt général ». Que la dictature soit le fait d’un seul, d’un petit groupe ou de la majorité n’y change rien ; qu’elle soit animée par le vice ou par la vertu non plus ; qu’on soit au temps d’épidémies de domesticité technologique ou plus banalement à celui de grippes citoyennes et policières non plus. Quelles que soient les apparences protectrices qu’emprunte le gouvernement des hommes et des choses du moment, quels que soient les prétextes sécuritaires sur lesquels il s’appuie, tout gouvernement est par nature ennemi de la liberté, et ce n’est pas la situation en cours qui nous démentira. A cette banalité de base qui ravit les adorateurs de pouvoir par en haut et fait briller les yeux de ceux qui le rêvent par en bas, rajoutons qu’il n’y a pas non plus de bergers sans troupeaux : si l’existence même d’une autorité centralisée sous la forme d’État permet certes la brusque mise en résidence surveillée à une échelle souvent inédite de pans entiers de la population ici ou là, c’est pourtant bien une servitude volontaire largement intégrée, préparée et sans cesse renouvelée, qui rend ce genre de mesures possibles et surtout effectives. Hier au nom de la guerre ou du terrorisme, aujourd’hui au nom d’une épidémie, et demain au nom de n’importe quelle catastrophe nucléaire ou écologique. L’urgence et la peur sont en la matière les seules conseillères pour les dormeurs affolés qui, une fois privés de tout monde intérieur qui leur soit propre, vont se réfugier en un réflexe conditionné vers la seule chose qu’ils connaissent : dans les bras musclés de Papa-Etat et sous les jupes rassurantes de Maman-la-Science. Un travail quotidien non seulement effectué par plusieurs décennies d’écrasement des réfractaires à l’ordre de la domination (du salariat, de l’école, de la famille, de la religion, de la patrie, du genre) depuis la dernière tentative d’assaut du ciel des années 70, mais aussi par l’ensemble des autoritaires et des réformistes qui ne cessent de vouloir transformer les individus en troupeaux, en accord avec un monde qui conjugue parfaitement atomisation et massification.

« Pour l’individu, il n’existe aucune nécessité dictée par la raison d’être citoyen. Au contraire. L’État est la malédiction de l’individu. Il faut que l’État disparaisse. Voilà la révolution que je veux faire. Que l’on ruine le concept d’État, que l’on fasse du libre vouloir et des affinités le lien unique de toute association, et ce sera là le germe d’une liberté qui aura quelque portée. »
H. Ibsen, 1871

C’est une dizaine d’années après avoir dressé ce constat dans une lettre envoyée à un critique littéraire, que le dramaturge norvégien Henrik Ibsen qui vivait néanmoins d’une rente officielle, écrivit une pièce qui allait enflammer certains anarchistes : Un ennemi du peuple. L’histoire se passe dans un village dont les eaux sont contaminées par une bactérie tueuse, provoquant la dispute entre les deux frères, docteur et préfet, qui ont fondé l’établissement thermal du coin. Faut-il ou pas remettre en cause leur riche avenir en effectuant les ruineux travaux du système hydraulique du village, et faut-il prévenir les habitants du danger ? Après avoir été à deux doigts de convaincre la foule de tout arrêter, le bon docteur verra cette dernière se retourner contre lui sous la pression des notables et l’influence du journal local, et finira seul contre tous. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Dans cette pièce, Ibsen n’entendait pas encenser la vérité de la science face à l’obscurantisme ou au marché (on est la même année, 1882, où sortira en français la critique posthume de Bakounine sur la révolte de la vie contre la science), mais bien dénoncer la tyrannie de la « majorité compacte », celle de cette masse versatile qui fluctue au gré des intérêts des puissants. Plus d’un siècle est passé depuis ce succès théâtral qui semble désormais d’une autre galaxie, et le mariage entre raison d’État et science de la raison a depuis lors largement démontré toute l’horreur dont il était capable, de massacres industriels, militaires et nucléaires de masse à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières, jusqu’à l’empoisonnement durable de toute la planète ou à la mise en coupe connectée des relations humaines. Dans un monde globalisé où les humains sont sans cesse en proie à des restructurations techno-industrielles qui bouleversent toute perception sensible (de la vieille séparation entre ce qu’on produit et sa finalité jusqu’au sens même du réel), que reste-il alors aux dépossédés lorsque survient l’inconnu d’un nouveau virus mortel ? S’accrocher à des statistiques fluctuantes qui affirment que si près de 70% de la population sera touchée par le Covid-19, seuls 15% des concernés souffriront de symptômes plus ou moins graves, et 2% en mourront selon l’âge avancé et les conditions de santé antérieures ? Suivre comme d’habitude les ordres du pouvoir qui règle déjà toute survie de la naissance à la mort, entre un chantage à la faim et un autre à la prison, en attendant comme pour le climat que les gestionnaires des causes résolvent eux-mêmes les conséquences ? S’interroger sur la différence entre la survie et la vie, entre la quantité d’une vie qui diminue inexorablement jusqu’à son extinction depuis que l’on est né, et sa qualité, ce que l’on veut en faire ici et maintenant quelle que soit sa durée qu’on ne connaît pas d’avance ? Une qualité qu’on peut aussi questionner lorsqu’elle est séparée de toute aspiration à la liberté, qu’elle est prête à toute réclusion volontaire sur un simple claquement de doigt du maître-chien. Car plutôt que de s’éberluer sur la gestion autoritaire et technologisée chinoise de l’épidémie de Covid-19, c’est tout de même ainsi que 60 millions d’Italiens ont renoncé du jour au lendemain, un certain 9 mars au soir, au moindre esprit critique en acceptant le « Je reste chez moi » décrété par l’État pour quatre semaines minimum, après qu’il ait testé l’instauration d’une immense zone rouge coupant le pays en deux. A l’heure où nous écrivons, ce genre de mesures de stricte quarantaine à des échelles aussi vastes vient de s’étendre à l’Espagne (47 millions d’habitants), tandis que le Portugal, la Roumanie, la Serbie ou les États Unis viennent de décréter l’état d’urgence, avec tout ce que cela signifie en termes de coercition face aux irresponsables qui oseraient défier le grand enfermement régulé par autant de permis de circuler entre ce qui constitue en définitive la base : domicile-boulot-supermarché. Pour donner une idée de la suite, l’armée assistée de drones vient d’être déployée en Espagne dans les gares et rues des grandes villes (la police militaire et les membres de la Unidad Militar de Emergencias, UME), idem en Italie avec les 7000 militaires qui ne les ont jamais quittées depuis l’opération Strade Sicure de 2008, et autant qui sont en alerte maximale en prévision de troubles lorsque le pic de contagion atteindra le Sud de la péninsule. Chaque pays a beau pour l’instant conserver ses petites particularités en matière d’autorisations de lieux publics « non essentiels » afin de conserver un brin de façade démocratique, les kiosques et les parfumeries en Italie – les cavistes et hôtels en France – les marchés et coiffeurs en Belgique –, cela ne pourra longtemps faire illusion. On est en train d’assister à un mouvement d’unité nationale qui touche la plupart des domaines de la (sur)vie autour d’un ordre qui se donne carte blanche, et ce à une échelle inédite dans la plupart des pays occidentaux depuis la deuxième guerre mondiale. Un exercice de servitude volontaire qui avait été bien préparé et rodé à moindre échelle par les différentes urgences «terrorisme» ou «catastrophes naturelles» ces dernières années ici ou là, mais jamais aussi longtemps et avec une telle intensité. Et nul doute que cet exercice risque de durer bien plus qu’annoncé, ouvrant également sur de nouvelles situations qu’il est encore difficile d’anticiper ou de prévoir.

« L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.»
A. Rimbaud

Face à ce que le troupeau sait faire de mieux, suivre les consignes, il reste encore nombre d’individus qui n’entendent pas se soumettre aussi facilement pour des raisons variées, d’autres qui tenteront certainement de trouver des failles dans les dispositifs de confinement une fois l’effet de sidération dissipé (et l’ennui de l’enfermement volontaire aidant), mais également des âmes vaillantes qui entendent bien continuer leur travail de sape incessant contre la domination ou saisir les occasions qui s’ouvrent à elles.Au fond, pourquoi le virus de l’autorité se priverait-il d’utiliser la peur comme il l’a toujours fait, quitte à l’exacerber ou à la créer au besoin, pour non seulement intensifier son contrôle sur les corps et les esprits, mais surtout renforcer le poison d’une soumission face à un imprévu qui peut rebattre les cartes en lui échappant ? Quoi de plus assuré par exemple pour le pouvoir qu’une guerre où union sacrée, religion et sacrifices soudent une large partie de la population autour de lui, mais quoi de plus aléatoire aussi qu’une guerre lorsqu’il la perd ou est incapable de la mener à bien, avec un mécontentement initial non pas d’opposition mais de contestation d’une mauvaise gestion ou de prix trop lourd à payer, qui peut à son tour mener à une remise en question plus globale, si les tentatives révolutionnaires qui ont suivi la Première guerre mondiale dans les Empires défaits (Allemagne, Russie, Hongrie) vous disent encore quelque chose. On nous répondra certes que les temps ont changé et qu’il existait alors au moins une utopie de substitution à l’existant. Mais cela n’empêche pas qu’un Etat occidental contemporain débordé par des paniques de survie, par une colère face à des taux de mortalité plus élevés suite à un système sanitaire qu’il avait lui-même largement démantelé, par un virus qui peut immobiliser provisoirement de 20 à 30% de n’importe quelle profession (110 gendarmes mobiles de Grasse sont confinés depuis le 12 mars, de même que tous les flics du comico de Sanary-sur-Mer depuis le 14 mars, ou que leurs 400 collègues parisiens de la Brigade des réseaux franciliens) en créant des occasions, ou par des révoltes de certaines zones ou catégories de la population, et tout cela au sein d’une économie fragilisée *, se trouve face à une situation nouvelle qui peut aussi lui échapper.En matière de pacification sociale comme de conflictualité, il est assez commode pour chacun de voir midi à sa porte ou juste ce qui se présente devant son nez, et encore plus lorsque les informations relâchées par les porte-parole du pouvoir se font plus chiches, ce qui est encore plus évident en période de crise ou d’instabilité où tout le monde resserre les rangs. Mais qui a jamais pensé que les journaux ou les réseaux sociaux étaient le reflet quelconque de la réalité, ou que lorsqu’ils ne disaient rien de l’antagonisme en cours, sinon pour en transformer le sens ou pour se vanter de quelque arrestation, il ne s’y passait rien ? Tout en sachant qu’on est uniquement au début d’une nouvelle période qui s’ouvre et peut durer des mois, sans suivre aucune trajectoire en ligne droite, l’un des premiers signes de révolte est venu des prisons italiennes, et de quelle manière !Suite aux mesures prises par l’État contre la propagation du Covid-19 et concernant également les taules (interdiction des parloirs, suppressions de semi-libertés et des activités à l’intérieur), de premières mutineries ont éclaté le 7 mars et se sont étendues à une trentaine d’entre elles du nord au sud en l’espace de trois jours. Au moins 6000 prisonniers se sont révoltés : matons ou personnel pris en otage, ouverture de cellules et saccage de sections voire de prisons entières (comme celle de Modène, inutilisable), incendies variés et occupation des toits, mais aussi évasions comme à Foggia où 77 d’entre eux ont réussi à se faire la belle (quatre n’ont pas été repris) en forçant l’accès vers la sortie après avoir détruit tous les fichiers et documents concernant leur identité, et au moins une dizaine de morts ont marqué cette première rébellion.Dans un autre d’ordre d’idée, suite au grand confinement décrété outre-Alpes, où tout individu qui se trouve hors de chez lui doit être muni d’une auto-certification (une déclaration sur l’honneur) où il coche le motif, entre travail, santé et un divers très limité qui relève des seules nécessités autorisées par l’État (comme faire ses courses ou sortir le chien, mais uniquement tout seul et dans son quartier), ce dernier a rendu public les chiffres des premiers jours de couvre-feu : sur 106 000 personnes contrôlées, près de 2 160 ont ainsi reçu des amendes pour violation de l’état d’urgence (11 mars), puis sur 157 000 contrôlés, 7 100 en ont reçu une (13 mars). Les cas les plus variés vont d’impertinents qui ont osé se réunir pour boire des bières dans un parc à des impudents qui ont profité de la plage vide pour tenter un beach volley, jusqu’à un père de famille parti acheter une playstation pour son rejeton bloqué à la maison ou un couple ayant préféré se disputer de vive voix plutôt qu’à distance au téléphone, jusqu’à une tentative de fêter un anniversaire entre amis ou de jouer aux cartes entre voisins, malgré le décret qui impose chacun chez soi selon la résidence où il est enregistré et dehors un par un en se justifiant à chaque contrôle. Beaucoup de grandes villes (Milan, Bologne, Turin, Rome) ferment ainsi parcs, jardins, pistes cyclables ou plages ailleurs, pour empêcher les récalcitrants de se retrouver en profitant du beau temps.Malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser que ces timides gestes de transgression sont actuellement plus liés à la brusque multiplication d’interdits que d’une révolte contre ces mesures. Si beaucoup disposent par exemple désormais de plus de temps en étant éloignés de l’école ou du travail, c’est cependant toujours de la même façon qu’ils y étaient encagés hier : selon les modalités du pouvoir. Désobéir à un ordre ancrée n’est pas tout à fait la même que refuser qu’une autorité quelconque puisse en donner, ou qu’arracher volontairement du temps et de l’espace à la domination pour le transformer en autre chose. Qu’elle se nomme Sainte économie ou Bien commun.Enfin, puisque nous n’en sommes qu’au début de cette vague bientôt mondiale de mesures qui interdisent également les manifestations de rue, précisons que l’Algérie qui vient de les interdire au nom du Covid-19 a dû affronter des violations massives le 13 mars, notamment en Kabylie, à l’occasion de la 56e semaine de contestation du pouvoir ; qu’au Chili où la révolte a repris début mars après la fin des vacances, le ministre de la Santé a annoncé que le pays allait sous peu entrer en phase 3 avec instauration de quarantaines massives ; et qu’en France où l’État avait décidé le 13 mars d’abaisser de 1000 à 100 personnes le seuil limite des rassemblements, les manifestations de rue faisaient encore figure d’exception « utile à la vie de la nation », tolérées de crainte de réactions trop violentes en comptant sur les syndicats pour cesser d’eux mêmes d’en organiser (à Lyon le 13 mars, 3000 jeunes ont par exemple défilé en chantant « C’est pas le corona qui nous aura, c’est l’État et le climat », sans même parler de la manifestation parisienne de gilets jaunes du 14 mars qui s’est affrontée avec la police et a laissé plusieurs cadavres de voitures brûlées dans son sillage). parce qu’il modifie trop vite une habitude ancrée n’est pas tout à fait la même que refuser qu’une autorité quelconque puisse en donner, ou qu’arracher volontairement du temps et de l’espace à la domination pour le transformer en autre chose. Qu’elle se nomme Sainte économie ou Bien commun.Enfin, puisque nous n’en sommes qu’au début de cette vague bientôt mondiale de mesures qui interdisent également les manifestations de rue, précisons que l’Algérie qui vient de les interdire au nom du Covid-19 a dû affronter des violations massives le 13 mars, notamment en Kabylie, à l’occasion de la 56e semaine de contestation du pouvoir ; qu’au Chili où la révolte a repris début mars après la fin des vacances, le ministre de la Santé a annoncé que le pays allait sous peu entrer en phase 3 avec instauration de quarantaines massives ; et qu’en France où l’État avait décidé le 13 mars d’abaisser de 1000 à 100 personnes le seuil limite des rassemblements, les manifestations de rue faisaient encore figure d’exception « utile à la vie de la nation », tolérées de crainte de réactions trop violentes en comptant sur les syndicats pour cesser d’eux mêmes d’en organiser (à Lyon le 13 mars, 3000 jeunes ont par exemple défilé en chantant « C’est pas le corona qui nous aura, c’est l’État et le climat », sans même parler de la manifestation parisienne de gilets jaunes du 14 mars qui s’est affrontée avec la police et a laissé plusieurs cadavres de voitures brûlées dans son sillage).

Du côté des ennemis de l’autorité, enfin, beaucoup risquent fort de se trouver pris au dépourvu s’ils n’ont pas pensé la question au préalable, lorsqu’éclate ce genre de situation : non pas celle d’une révolte inattendue, mais du resserrement soudain et brutal des marges de manœuvre, par exemple en matière de déplacements comme c’est arrivé au début de la révolte au Chili avec le couvrefeu ou depuis une semaine en Italie puis en Espagne avec mise en quarantaine de tout le pays. Et cela pas uniquement à cause de la multiplication des contrôles, mais aussi grâce à la collaboration des citoyens qui désertent l’espace public sur ordre en laissant les réfractaires à découvert ou en multipliant les dénonciations, si occupés qu’ils sont à s’ennuyer derrière leur fenêtre de confinement volontaire et désireux de faire respecter des mesures qu’ils pensent protectrices.Penser la question, lorsque ce n’est pas déjà fait, signifie par exemple connaître les passages qui mènent d’un chez soi vers des lieux plus propices, ou avoir déjà identifié quels yeux perchés de l’Etat sont à crever pour s’en ouvrir de nouveaux, mais également comment sortir de la ville avec agilité (cette fois avec des masques conseillés par le pouvoir !) ou quels sentiers de campagne emprunter en pouvant anticiper nouveaux checks points et points de blocages à l’horizon. Cela signifie également, autre difficulté du grand confinement, avoir de l’imagination sur comment et où se procurer quelque moyen pour agir en cas d’insuffisance de provisions préalables (beaucoup de commerces non alimentaires sont fermés). Cela peut également être l’occasion véloce de reconfigurer la question de la communication non médiée par la technologie entre complices plus ou moins dispersés dont la circulation peut soudain devenir plus compliquée, et pourquoi pas en trouver de nouveaux qui, pour leurs propres raisons, ressentent les mêmes exigences d’échapper à l’invasion de contrôles de rue (le grand enfermement volontaire a ceci de particulier qu’il met aussi plus à nu l’ensemble des individus qui n’entendent pas s’y plier). Autant de questions à affronter d’urgence, donc, et d’occasions de repenser, d’observer et de changer son regard sur un territoire hier connu, mais dans lequel les espaces et marges peuvent aussi bien diminuer drastiquement ici que s’élargir ailleurs, ou être transformées par les nouveaux impératifs du pouvoir en matière de gestion des seuls flux épidémiques domicile-travail-supermarché.Du côté du pouvoir, la plupart des plans de crise mis en œuvre dans différents pays (en Italie et en Espagne, mais l’Allemagne ou la France encore bloquée par les municipales y viennent) font jusqu’à présent émerger quelques constantes qu’il serait également dommage d’ignorer.C’est par exemple l’occasion pour le capitalisme de pousser à une accélération de ce que certains nomment depuis un moment la quatrième révolution industrielle (après celle de la vapeur, de l’électricité et de l’informatique), à savoir le numérique et l’interconnexion totale dans tous les domaines de la vie (de la physique à la biologie ou à l’économie). Qu’on en juge : des centaines de millions d’élèves du primaire à l’université qui basculent soudain dans plusieurs pays sur des cours permanents à distance suite à la fermeture de tous les lieux physiques d’enseignement ; autant de travailleurs qui pour leur part sont mis en télétravail (de 20 à 30% en moyenne), qu’ils en aient ou pas eu l’habitude ; la multiplication à une échelle de masse des consultations par écran interposé suite à la saturation des cabinets médicaux ; l’explosion des paiements par carte bancaire de peur d’être contaminés via la manipulation de pièces et billets. Et si on rajoute à tout cela que les populations confinées s’adonnent volontiers à tout ce qui les empêche de pesser ou de rêver, en se jetant sur les achats en ligne, les séries télévisées, les jeux en streaming ou à la communication virtuelle entre humains, il devient clair que les antennes des réseaux de téléphonie mobile, les câbles de fibre et autres nœuds de raccordement optique (NRO) ou tout simplement les réseaux d’énergie qui alimentent tout cela ont pris une importance encore démultipliée. Non seulement pour la production ou les loisirs, mais tout simplement comme principal cordon ombilical entre les lazarets individuels et le monde vivant, plus que jamais déréalisé, pour le coup.Alors, quand on sait qu’une belle antenne, qu’un même transformateur ou pylône électrique, qu’un même câble de fibre devient plus que jamais déterminant à la fois pour passer le temps d’autoenfermement, pour le travail et l’éducation à distance de masse, mais aussi pour la transmission des consignes du pouvoir en blouse blanche et le suivi technologique du contrôle (et pas qu’en Chine ou en Corée du Sud), cela n’ouvret-il pas des pistes intéressantes pour briser cette nouvelle normalité où le pouvoir s’en donne à cœur joie ? Sans parler des possibles effets boule de neige, vu l’augmentation plus que conséquente du trafic internet et de téléphonie comme de moindre disponibilité des techniciens pour cause de maladie…Le second point qui semble constant dans ces plans d’urgence européens, est également la priorité donnée au maintien minimal des transports, afin d’acheminer les travailleurs non confinés vers les industries et services qualifiés de critiques, de perpétuer le flux de marchandises par camions ou rail vers ces derniers, ainsi que l’approvisionnement des villes dont on sait les réserves limitées à quelques jours. Là aussi, c’est une occasion à ne pas négliger pour qui entendrait déstabiliser les pans d’économie que le pouvoir entend préserver à tout prix et qui deviennent plus visibles (en Catalogne on parle actuellement de créer des corridors spéciaux de travailleurs sains et de biens vers certains lieux de production).En temps d’urgence et de crise à une telle échelle, où l’ensemble des rapports sociaux sont plus crûment mis à nu (en terme de dépossession comme des priorités de l’État et du capital), où la servitude volontaire guidée par la peur peut rapidement virer au cauchemar, où la domination doit à son tour s’adapter sans tout maîtriser pour autant, savoir agir en territoire ennemi n’est pas seulement une nécessité pour qui n’entend pas suffoquer dans sa petite cage domiciliaire, mais c’est aussi un moment important pour lancer de nouveaux coups de boutoir sur les dispositifs adverses. En tout cas lors-qu’on se bat pour un monde complètement autre vers une liberté sans mesure. La révolte c’est la vie.
(14 mars 2020)

* A titre d’exemple, de nombreuses industries commencent à être ralenties à cause de la rupture des chaînes d’approvisionnement en provenance de Chine, tandis que l’Allemagne vient d’annoncer des prêts aux entreprises garantis par l’État à hauteur de 550 milliards d’euros, soit un plan d’aide plus important encore que celui mis en place lors de la crise financière de 2008. Beaucoup parlent également d’une période de récession mondiale.

Avis de Tempetes # 27

Le pire des virus… l’autorité

À propos de COVID-19, délires autoritaires et le monde de merde dans lequel on vit…

Le décompte macabre des décès augmente de jour en jour, et dans l’imaginaire de chacun prend place la sensation, d’abord vague puis toujours un peu plus forte, d’être toujours plus menacé par la Grande Faucheuse. Pour des centaines de millions d’êtres humains, cet imaginaire n’est certainement pas nouveau, celui de la mort qui peut s’abattre sur n’importe qui, n’importe quand. Il suffit de penser aux damnés de la terre sacrifiés quotidiennement sur l’autel du pouvoir et du profit : ceux et celles qui survivent sous les bombes des États, au milieu de guerres infinies pour le pétrole ou pour les ressources minières, ceux et celles qui cohabitent avec la radioactivité invisible provoquée par des accidents ou des déchets nucléaires, ceux et celles qui traversent le Sahel ou la Méditerranée et qui sont enfermés dans des camps de concentration pour migrants, ceux et celles qui sont réduits à des morceaux de chair et d’os par la misère et la dévastation générées par l’agro-industrie et l’extraction de  matières premières… Et même dans les terres que l’on habite, à des époques pas très lointaines, on a connu la terreur des boucheries à échelle industrielle, les bombardements, les camps d’extermination… toujours créés par la soif de pouvoir et de richesse des États et des patrons, toujours fidèlement mis en place par des armées et des polices…

Mais non, aujourd’hui on ne parle pas de ces visages de désespérés que l’on cherche constamment à garder loin de nos yeux et de nos têtes, ni d’une histoire désormais passée. La terreur commence à se diffuser dans le berceau du royaume des marchandises et de la paix sociale et elle est provoquée par un virus qui peut attaquer n’importe qui – bien que, évidemment, tout le monde n’aura pas les mêmes possibilités de se soigner. Et dans un monde où l’on est habitué au mensonge, où l’usage de chiffres et de statistiques est l’un des principaux moyens de manipulation médiatique, dans un monde où la vérité est constamment cachée, mutilée et transformée par les médias, on ne peut que tenter de mettre ensemble les morceaux, de
faire des hypothèses, tenter de résister à cette mobilisation des esprits et se poser la question: dans quelle direction est-on en train d’aller?

En Chine, puis en Italie, de nouvelles mesures répressives ont été imposées jour après jour, jusqu’à arriver à la limite qu’aucun État n’avait encore osé franchir : l’interdiction de sortir de chez soi et de se déplacer sur le territoire sauf pour des raisons de travail ou de nécessité stricte. Même la guerre n’aurait pu consentir l’acceptation de mesures d’une telle portée par la population. Mais ce nouveau totalitarisme a le visage de la Science et de la Médecine, de la neutralité et de l’intérêt commun. Les entreprises pharmaceutiques, celles des télécommunications et des nouvelles technologies trouveront la solution. En Chine, l’imposition de la géolocalisation pour signaler tout déplacement et tout cas d’infection, la reconnaissance faciale et l’e-commerce aident l’État à garantir l’enfermement chez soi de chaque citoyen. Aujourd’hui les mêmes États qui ont fondé leur existence sur l’enfermement, la guerre et le massacre, y compris de leur propre population, imposent leur “protection” à travers des interdictions, des frontières et des hommes armés. Combien de temps durera cette situation? Deux semaines, un mois, un an? On sait que l’État d’urgence déclaré après les attentats a été renouvelé plusieurs fois, jusqu’à l’intégration définitive des mesures d’émergence dans la législation française. À quoi nous mènera cette nouvelle urgence?

Un virus est un phénomène biologique, mais le contexte où il naît, sa propagation et sa gestion sont des questions sociales. En Amazonie, en Afrique ou en Océanie, des populations entières ont été exterminées par les virus apportés par les colons, pendant que ces derniers imposaient leur domination et leur manière de vivre. Dans les forêts tropicales, les armées, les com-
merçants et les missionnaires poussèrent les gens – qui auparavant occupaient le territoire de manière dispersée – à se concentrer autour des écoles, dans des villages ou des villes. Cela facilita énormément la diffusion d’épidémies ravageuses. Aujourd’hui la moitié de la population mondiale habite en ville, autour des temples du Capital, et se nourrit des produits de l’agro-industrie et de l’élevage iintensif. Toute possibilité d’autonomie a été éradiquée par les États et l’économie de marché. Et tant que la méga-machine de la domination continuera de fonctionner, l’existence humaine sera toujours plus soumise à des désastres qui n’ont pas grand chose de “naturel”, et à une gestion de ceux-la qui nous privera de tode toute possibilité de déterminer notre vie.

À moins que… dans un scénario toujours plus sombre et inquiétant, les êtres humains décident de vivre comme des être libres  même si c’est juste pour quelques heures, quelques jours, ou quelques années avant la fin – plutôt que de s’enfermer dans un
trou de peur et de soumission. Comme l’ont fait les prisonniers de 30 prisons italiennes, face à l’interdiction de parloirs imposée à cause du Covid-19, en se révoltant contre leurs geôliers, dévastant et brûlant leurs cages et, dans certains cas, réussissant à s’évader.

MAINTENANT ET TOUJOURS EN LUTTE POUR LA LIBERTÉ !

Le pire des virus… l’autorité

In corpore vili *

« Le but de la terreur, et de sa mise en œuvre, est d’extorquer aux êtres humains l’adaptation totale à son principe même, afin qu’eux et elles aussi ne reconnaissent en toute fin qu’un seul but : l’auto-préservation. Plus les humains ont en tête, et sans scrupules, leur survie, plus ils et elles deviennent des marionnettes psychologiques d’un système dont l’unique objectif est de se maintenir au pouvoir »

Leo Löwenthal, 1945

Voilà, on y est. Il y a quelques heures, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré sur tout le territoire national. Verrouillage quasi total. Rues et places semi-désertes. Interdit de quitter la maison sans motif valable (pour qui ? Mais pour les autorités, bien sûr). Interdit de se rencontrer et de s’embrasser. Interdit d’organiser toute initiative avec même un minimum de présence humaine (des fêtes aux rassemblements). Interdit de rester trop près. Suspension de toute vie sociale. L’avertissement est lancé, de rester à la maison autant que possible, scotché à n’importe quel appareil électronique en l’attente de nouvelles. Obligation de suivre les directives. Obligation d’avoir sur soi en permanence un formulaire « d’auto-certification » qui justifie ses déplacements, même ceux à pied. Et pour celui ou celle qui ne se plierait pas à ces mesures, une sanction prévoit l’arrestation et la détention.

Et tout ça pour quoi ? Pour un virus qui divise encore les experts institutionnels eux-mêmes sur son danger réel, comme en témoignent les polémiques entre les virologues d’avis opposés (sans parler de l’indifférence manifeste de nombreux pays européens) ? Et si au lieu du coronavirus, avec son taux de mortalité de 2 ou 3% partout dans le monde sauf au nord de l’Italie (qui sait si c’est l’acide nucléique du virus qui devient méchant au contact de la polenta, ou si c’est la crève de la vallée du Po qui a reculé?), le virus Ebola était arrivé dans ce pays (lui qui peut décimer entre 80 à 90% de la population) ? Que ce serait-il passé dans ce cas ? Une neutralisation directe des foyers infectieux par bombardement ?

Bon, vus les liens entre la dynamique des sociétés industrielles et la conception moderne de la liberté en Occident, il n’est pas étonnant qu’une politique d’assignation à résidence et de couvre-feu soit appliquée pour endiguer l’épidémie. Ce qui peut surprendre, par contre, c’est la façon dont ces mesures sont reprises sans résistance, tolérées, mais aussi intégrées et justifiées par presque tout le monde. Par les ménestrels de la cour qui invitent tout le monde à rester à la maison, par les braves citoyens qui s’encouragent (et se contrôlent) mutuellement, persuadés que « tout ira bien », mais aussi par ceux qui aujourd’hui (face au spectre infectieux) ne veulent plus rien entendre des refrains contre « l’état d’exception » (applaudis il y a peu encore…) et choisissent le parti de la matérialité fantomatique des faits. Dans la panique (avec l’éclipse de la raison qu’elle entraîne), chaque mot porte un sens : alors pour ce que ça vaut, revenons au psychodrame populaire qui se déroule dans notre beau pays, sur ses effets sociaux plus que sur ses causes biologiques.

Que ce virus vienne des chauves-souris ou d’un laboratoire militaire secret, qu’est-ce que ça change là tout de suite ? Rien : une hypothèse en vaut une autre. Au-delà du manque d’informations et de compétences plus précises à ce sujet, on peut déjà faire cette observation : certaines espèces animales peuvent transmettre des virus de la sorte aux êtres humains. Tout comme il peut y avoir, parmi les nombreux apprentis-sorciers des « armes non-conventionnelles », quelqu’un de plus cynique ou imprudent que d’autres. Et donc ?

Ceci dit, il devrait paraître évident à tout le monde que dans le monde actuel, ce sont les informations qui décrètent ce qui existe. Littéralement, n’existent que les choses dont parlent les médias. Et tout ce qu’ils taisent n’existe pas. De ce point de vue, celui qui soutient que pour arrêter l’épidémie, il suffirait d’éteindre la télé, a raison. Sans l’alarmisme médiatique que le virus a suscité, seulement ici en Italie dans un premier temps, personne n’aurait prêté beaucoup d’attention à cette forme de grippe imprévue. Seules les proches et certaines statistiques auraient visibilisé les victimes. Il existe d’ailleurs un cas précédent en Italie : la grippe de Hong Kong, dite « la grippe spatiale », a fait 20.000 victimes à partir de l’automne 1969. À l’époque, les médias en parlaient beaucoup, et l’année d’avant cette maladie a semé la mort à travers le monde. Mais alors, elle était considérée comme une forme de grippe plus virulente que d’habitude. Tout simplement. D’ailleurs, vous imaginez un peu ce qu’aurait provoqué la proclamation de l’état d’urgence en Italie en décembre 1969 ? Pratique sans doute pour les autorités, mais elles savaient qu’elles ne pouvaient pas se le permettre. Ça aurait été l’insurrection. Alors, elles se sont contentées de semer la terreur avec des massacres d’État.

À présent, est-il logique de croire seulement ici en Italie qu’une épidémie d’extrême-orient aurait éclaté dans le monde avec une telle virulence ? Plus probablement, ce n’est qu’en Italie que les médias ont décidé de focaliser l’attention sur l’arrivée de l’épidémie. Qu’il s’agisse d’un choix précis ou d’une erreur de communication, le débat sur la question serait long. La panique que les infos ont déclenchée, par contre, est par trop évidente. Et à qui, à quoi, celle-ci profite-t-elle ?

Car oui, en effet, rien n’est plus apte à semer la terreur qu’un virus. Il est l’ennemi parfait : invisible et potentiellement omniprésent. À la différence des djihadistes du Moyen-Orient, sa menace s’étend et légitime la nécessité du contrôle à l’infini ou presque. La surveillance ne s’applique pas à quelques bourreaux de temps à autre, mais aux victimes éventuelles (tout le monde, donc). Ce qui est suspect, ce n’est pas d’être « Arabe » et d’errer dans des endroits dits « sensibles », c’est le simple fait de respirer. Quand un problème de santé devient un problème d’ordre public, quand la meilleure façon de guérir devient la répression, alors un fait s’éclaircit : parmi les candidats au rôle de super-commissaire dans la lutte contre le virus, on compte l’ancien chef de police au moment du G8 à Gênes en 2001 et actuel président de la première industrie de guerre italienne. Mais comme les affaires sont les affaires, le candidat retenu est finalement un manager de formation militaire : le directeur général de l’agence nationale pour l’investissement et le développement commercial. Est-ce une réponse aux exigences d’un politicien notoire, martelant au Sénat : « il s’agit de la troisième guerre mondiale mobilisant notre génération, et celle-ci va changer nos habitudes davantage que le 11 septembre » ? Après Al-Qaïda, voici le Covid-19. Et voici aussi les bulletins d’informations sur cette guerre à la fois virtuelle et virale, son nombre de morts et de blessées, l’actualité du champ de bataille, le récit des actes de sacrifice et d’héroïsme. Mais au cours de l’Histoire, à quoi n’a jamais servi d’autre la propagande de guerre, sinon à mettre de côté toute divergence et faire front commun autour des institutions ? Au moment du danger, ni divisions, ni critiques, seulement une adhésion unanime derrière le drapeau de la patrie. Ainsi, en ce moment depuis l’intérieur des bâtiments institutionnels, l’hypothèse grandit de donner vie à un gouvernement de santé publique. Sans oublier un effet collatéral propice à la situation : quiconque sort du rang ne peut être qu’un défaitiste, une candidate au lynchage pour haute trahison.

Comme cela a déjà été dit, nous ne savons pas si cet état d’urgence est le résultat d’un projet stratégique prémédité, ou de mesures prises après une erreur commise. Cependant, nous savons que cette situation, en plus d’écraser toute résistance à la domination de Big Pharma sur nos vies, servira à propager et à consolider la servitude volontaire, à faire intégrer l’obéissance, à s’habituer à accepter l’inacceptable. Et quoi de mieux pour un gouvernement qui a depuis longtemps perdu tout semblant de crédibilité, et par extension, pour une civilisation en état de putréfaction manifeste ? Le défi lancé par le gouvernement italien est énorme : établir une zone rouge de 300 000 kilomètres carrés en réaction à rien. Une population de 60 millions d’habitants peut-elle se mettre au garde-à-vous et se prosterner aux pieds des mêmes qui promettent de la sauver d’une menace inexistante, comme un chien de l’expérience de Pavlov bavait au simple son d’une cloche ? Il s’agit d’une expérience sociale dont l’intérêt des résultats dépasse les frontières italiennes. La fin des ressources naturelles, les effets de la dévastation environnementale et le surpeuplement permanent annoncent le déclenchement de conflits partout dans le monde. Et la prévention et la gestion de cette conflictualité forceront le pouvoir à prendre des mesures draconiennes. Par le passé certains ont qualifié ce genre de régime « d’écofasciste », et ses premières mesures ne seront pas très différentes de celles prises aujourd’hui par le gouvernement italien (qui de fait raviraient tout État policier). Pour tester des mesures pareilles à grande échelle, l’Italie est un bon catalyseur et le virus est un prétexte parfait de domination horizontale.

Jusqu’ici, les résultats obtenus par les ingénieurs des âmes nous semblent enthousiasmants. À de rares exceptions près, chacun, chacune est prêt à renoncer à toute liberté, à toute dignité, en échange de l’illusion du salut. Et si le vent tourne, ils peuvent toujours annoncer que le dangereux virus a été éradiqué pour éviter l’effet boomerang. En attendant, les détenus en font les frais, eux qui se sont faits massacrer pendant les révoltes qu’ils ont portées dans une trentaine de prisons, après l’annonce de la suspension des parloirs. Mais visiblement, on ne parle pas d’une « boucherie mexicaine » gênante, mais plutôt d’une louable désinfection à l’italienne. L’urgence offre aux détenteurs de l’autorité la possibilité d’adopter publiquement des comportements qui jusqu’alors étaient tenus secrets, comme en témoignent certains faits divers. Ainsi, à Monza, une femme de 78 ans s’est rendue dans une polyclinique parce qu’elle souffrait de fièvre, de toux et de difficultés respiratoires. Après avoir refusé d’être hospitalisée pour le coronavirus, elle a subi un TSO [traitement sanitaire obligatoire, en service psychiatrique]. Et depuis que le TSO, créé en 1978 avec la fameuse loi 180, ne peut être appliqué qu’aux prétendus malades mentaux, cette hospitalisation forcée était donc un « abus de pouvoir » (comme se plaisent à dire les belles âmes démocratiques). Un abus parmi tant d’autres du quotidien, sauf que dans cette situation il n’était pas nécessaire de le minimiser ou de le cacher : il a donc été rendu public sans soulever la moindre critique. De même, sept sans-papiers coupables de … jouer aux cartes dans un parc ont été arrêtés à Rome. C’est le moins qui puisse arriver à d’éventuels pestiférés dépourvus du « sens des responsabilités ».

Oui, la responsabilité. Un mot sur toutes les lèvres aujourd’hui. Nous devons être responsables, une sollicitation martelée en continu qui, traduite de la novlangue du pouvoir, signifie : nous devons obéir aux directives. Pourtant, on comprend facilement que c’est précisément en obéissant que toute responsabilité est évacuée. La responsabilité a à voir avec la conscience, c’est-à-dire la rencontre heureuse entre la sensibilité et l’intelligence. Porter un masque ou être connectée chez soi simplement parce qu’un fonctionnaire du gouvernement l’a dicté ne dénote pas d’une responsabilité active, mais d’une obéissance passive. Ce n’est pas le fruit de l’intelligence et de la sensibilité, mais de la crédulité et de la naïveté, saupoudrée d’une bonne dose de peur. Pour être un acte de responsabilité, il doit émaner du cœur et de la tête de chaque individu, ne pas être ordonné d’en haut ni imposé sous peine de punition. Toutefois on comprend facilement que la conscience est la chose que le pouvoir craint plus que tout. Car c’est de la conscience que naissent la contestation et la révolte. Et c’est précisément pour stériliser chaque conscience que nous sommes bombardés 24 heures sur 24 par les programmes télévisés les plus futiles, les divertissements numériques, les bavardages à la radio, le chahut téléphonique … Une gigantesque entreprise de formatage social dont le but est la production de l’idiotie de masse.

À présent, si on considère les raisons avancées pour déclarer cette urgence avec un minimum de sensibilité et d’intelligence, qu’en ressort-il ? Qu’un état d’urgence inacceptable a été déclaré pour des raisons farfelues par un gouvernement non fiable. Dans les faits, cet État ignore les 83000 victimes causées chaque année par un marché dont il détient le monopole et qu’il rémunère à hauteur de 7,5 milliards d’euros net. Alors comment l’État peut-il être crédible un instant lorsqu’il prétend établir une zone rouge dans tout le pays pour endiguer la propagation d’un virus qui – selon de nombreux virologues eux-mêmes – contribuera indirectement à la mort de quelques centaines de personnes déjà malades, et peut-être directement à la mort de quelques-unes ? Et pour empêcher 80 000 personnes de crever de la pollution atmosphérique, ces seigneurs ont-ils déjà envisagé de bloquer les usines, les centrales électriques et les voitures à travers tout le pays ? Aujourd’hui, n’est-ce pas ce même État qui a fermé plus de 150 hôpitaux au cours des dix dernières années qui appelle à une plus grande responsabilité ?

Quant à la matérialité des faits, qu’on nous permette de douter de la volonté d’y faire face réellement. En tout cas les sombres idiots qui, face au massacre perpétré par cette société dans tous les domaines, ne sont même pas capables d’encourager la vengeance du bon État social (avec sa santé publique et ses grands projets utiles) sur le méchant État libéral (radin avec les pauvres et généreux avec les riches, dépassé par la « crise »), eux ne le veulent pas, c’est sûr. Et encore moins les braves citoyennes qui préfèrent rester en rade de liberté pour quelques miettes de sécurité.

Parce qu’affronter la matérialité des faits signifie aussi et surtout considérer ce qu’on veut faire de son corps et de sa vie. Cela signifie aussi accepter que la mort met fin à la vie, même à cause d’une pandémie. Cela signifie également respecter la mort, et ne pas penser à pouvoir l’éviter en s’appuyant sur la médecine. Nous mourrons tous : personne n’y échappe. Cela fait partie de la condition humaine : nous souffrons, nous tombons malades, nous mourons. Avec plus ou moins de douleur. La médicalisation forcenée, avec son objectif délirant de vaincre la mort, ne fait que nourrir l’idée que la vie doit être préservée et non vécue. Ce n’est pas la même chose.

Si la santé – comme l’OMS prétend le soutenir depuis 1948 – n’est pas simplement l’absence de maladie, mais le bien-être physique, mental et social complet, il est évident que l’humanité entière est un malade chronique, et certainement pas à cause d’un virus. Et comment obtenir ce bien-être total ? Avec un vaccin et un antibiotique à prendre en milieu aseptisé ou bien avec une vie pleinement vécue au nom de la liberté et de l’autonomie ? Si dans les hôpitaux, ils arrivent à faire passer la « présence de paramètres vitaux » pour une « forme de vie », n’est-ce pas parce que la différence entre la vie et la survie a été oubliée ?

Le « roi des animaux », le lion, symbole de force et de beauté, vit en moyenne 10-12 ans en liberté dans la savane. En toute sécurité dans un zoo, sa durée de vie peut doubler. Enfermé dans une cage, il perd en beauté et en force – il devient maussade et obèse. On lui retire le risque de la liberté en échange de la certitude de la sécurité. Mais de cette façon, il ne vit plus : au mieux, il survit. L’être humain est le seul animal qui préfère passer ses journées en captivité plutôt que dans la nature. Il n’a pas besoin du fusil d’un chasseur braqué sur lui : il se met de lui-même derrière les barreaux. Cerné et abruti par les prothèses technologiques, il ne sait même plus ce que c’est, la nature. Et il est heureux, voire fier, de la supériorité de son intelligence. Comme il sait compter, il sait que huit jours en tant qu’être humain comptent davantage qu’un seul pour un lion. Ses paramètres vitaux sont bien présents, et par-dessus tout celui qui est considéré comme fondamental dans notre société : la consommation de biens.

Paradoxalement, les habitants de notre civilisation titanesque, d’habitude si passionnés par les superlatifs, sont en train d’angoisser pour un des plus petits micro-organismes vivants. Mais comment quelques dizaines de millionièmes de centimètres de matériel génétique osent-ils menacer notre existence pacifique ? C’est la nature. Pour le dire brutalement, considérant ce que nous lui avons fait, il serait aussi juste qu’elle nous anéantisse. Et tous les vaccins, tous les soins intensifs et les hôpitaux du monde entier ne pourront jamais rien y faire. Au lieu de faire semblant de l’apprivoiser, nous devrions (ré)apprendre à vivre avec la nature. Et cette fois dans des sociétés sauvages, c’est-à-dire sans relations de pouvoir, et non dans des États civilisés.

Mais cela impliquerait un « changement de comportement » très malvenu pour ceux qui nous gouvernent ou le souhaiteraient, comme pour ceux qui veulent être gouvernés.

12 mars 2020, Finimondo

NdSAD:
* Que l’on pourrait traduire « dans les corps vils/infâmes », au sens qui sont méprisables.

In corpore vili