Marseille – Feu à un collabo de la prison à ciel ouvert – Fin mars 2020

Snif snif SNEF

Alors que le contrôle social s’intensifie de plus en plus à Marseille (comme ailleurs) et que les caméras et autres dispositifs de surveillances prolifèrent, SNEF s’impose comme une cible de choix dans notre lutte contre la nuisance étatique. En effet, si ces derniers sont connus pour s’occuper de travaux en tout genre (vous aurez sûrement vu leur nom apparaître sur nombre de chantiers contribuant à la gentrification accélérée de Marseille), ils sont aussi un des grands ‘gagnants’ et collabos de la politique de la ville visant à étendre considérablement le réseau de caméras.

Dans la nuit du 17 mars précédant le premier jour du confinement, nous avons décidé de leur payer une petite visite de courtoisie à l’un de leurs bureaux en laissant derrière une partie de leur infrastructure électrique en feu. Une semaine plus tard, cette fois en centre ville et en plein confinement, une de leur voiture a également été incendiée.

Ces attaques s’intègrent dans une série de sabotages visant cette entreprise ainsi que d’autres responsables de la propagation de la surveillance à Marseille, notamment un petit nombre d’autres caisses incendiées, et le sabotage de fibre optique et de caméras tout au long de l’année passée.

Alors que les mailles se ressèrent davantage en ces temps de folie pandémique et que les tentatives de dépossessions de nos vies se multiplient, essayer de se défaire de la poigne qui nous enserre nous apparaît comme une bouffée d’air frais, une brèche dans cet existant qui nous voudrait docile.

CONTRE LE CONFINEMENT ET LA SOCIÉTÉ DU CONTRÔLE.

https://sansattendre.noblogs.org/post/2020/04/02/marseille-attaques-incendiaires-dun-collabo-de-la-ville-prison-mars-2020/

Amiens – Crève la justice, crève la taule, crève l’État et crève!

[Ici du blog Attaque (texte et photos), à son fois d’autres sources]

Selon France Bleu:

C’est la première fois que les bureaux du SPIP, le service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Somme sont visés par une telle attaque. Dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3h30 du matin, un ou plusieurs individus ont brûlé plusieurs véhicules.

Les véhicules étaient stationnés sur un parking privé, à l’arrière des bureaux. Deux fourgons permettant d’emmener les détenus au palais de justice ont brûlés.  Cinq voitures qui permettaient aux agents de se rendre chez les détenus placés en milieu ouvert, pour les libérations conditionnelles par exemple ont aussi été détruites. […]

«Crève la justice, crève la taule, crève l’Etat et crève» ont été taggués à la peinture noire sur les murs du parking. Des inscriptions signées d’un A, symbole de la mouvance anarchiste. Mais le procureur d’Amiens se montre prudent. Rien pour l’instant ne vient confirmer cette piste. Alexandre de Bosschère pour qui cette attaque est avant tout symbolique: «ce n’est pas le SPIP en lui même qui est visé mais la justice, l’Etat».

Une enquête a été ouverte et les images des caméras de vidéosurveillance exploitées. Mais pour le syndicat Force Ouvrière, le ou les individus seraient passés par l’arrière des bâtiments. Une simple barrière protège l’entrée du parking alors que devant, face à la prison, la lourde porte blanche est placée sous vidéosurveillance.

et selon France Info:

[…] Dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3h20, vraisemblablement plusieurs individus s’introduisent sur le parking du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), trois voitures sont d’abord incendiées. Puis le feu est mis à deux fourgons cellulaires, des véhicules qui servent au transfert des détenus. Le bâtiment est ensuite pris pour cible, une fenêtre est cassée, un départ de feu sera mis en évidence, fort heureusement, il ne s’est pas propagé à tout le bâtiment. A ce moment-là, une alarme se serait déclenchée, provoquant la fuite du ou des auteurs, et l’arrivée sur place du gardien qui ne pourra que constater les dégâts. […]

Bram (Aude) – Coupure de la fibre optique

[Du blog Attaque, à son fois de La Dépêche]

Depuis le week-end dernier, plusieurs habitants du centre ville étaient privés de
téléphone et d’internet.

Et essentiellement ceux qui venaient de conclure ou modifier leur abonnement en optant pour la fibre optique. C’est le secteur avenue de Gaulle, rues de la Concorde de la Paix et avenue du Razès qui était le plus impacté. Le réseau de la fibre étant en cours de déploiement, c’est le SYADEN (Syndicat Audois d’Energies et du Numérique) qui en est propriétaire et qui a demandé à un prestataire d’intervenir pour la réparation. Arrivés sur les lieux, les techniciens constataient que l’origine des pannes était en fait plusieurs actes de vandalisme avec des câbles posés il y a quelques semaines qui avaient été sectionnés ou arrachés. L’intervention fut plus longue que prévue avec des dégâts relativement importants.

Les pandémies du capital

Il est délicat d’écrire un texte comme celui-ci maintenant. Dans le contexte actuel, où le coronavirus a bouleversé – ou menace de le faire bientôt – les conditions de vie de beaucoup d’entre nous, la seule chose que l’on souhaite est de sortir et de mettre le feu à toute chose, en portant un masque si nécessaire. La situation le mérite. Si l’économie est plus importante que nos vies, il est donc logique de retarder le confinement pour ralentir la propagation du virus jusqu’à la dernière minute, jusqu’à ce que la pandémie soit déjà inévitable. Il est également logique qu’au moment où la contagion ne peut plus être arrêtée et que la production ainsi que la distribution de biens doivent être perturbées – le moins possible – nous soyons ceux que les patrons virent, ceux qui sont contraints de travailler, ceux qui continuent d’être confinés dans les prisons et les Centres de Rétentions de Migrants. Nous sommes ceux qui sont obligés de choisir entre être malades, contaminer nos proches ou mourir de faim en quarantaine. Sans oublier l’exaltation nationale, l’appel à l’unité nationale, la discipline sociale proférée mil fois par nos bourreaux, et les éloges célébrant le bon citoyen qui courbe l’échine et reste silencieux. La seule chose que l’on a envie en ce moment est de tout faire éclater.

Et cette colère est essentielle. Mais il est également essentiel d’avoir une bonne compréhension de la raison pour laquelle tout cela se produit pour mieux lutter, pour combattre la racine même du problème. Comprendre ce qui se passe pour savoir utiliser cette colère lorsque tout explosera, lorsque que la colère individuelle deviendra un pouvoir collectif pour vraiment finir, sans détours, avec cette société de misère.

Le virus n’est pas seulement un virus

Depuis sa création, la relation entre le capitalisme et la nature (humaine et non humaine) a été l’histoire d’une catastrophe sans fin. Cette relation est étroitement liée à la logique d’une société organisée par l’échange marchand et c’est également la raison d’être de la marchandise, peu importe son aspect matériel et naturel mais la possibilité d’en obtenir de l’argent. Dans une société marchande, toutes les espèces de la planète sont subordonnées au fonctionnement de cette machine aveugle et automatique qui est le capital : la nature non humaine n’est rien d’autre qu’un flux de matières premières, un moyen de production de biens, et la nature humaine est la source de travail à exploiter pour en tirer plus d’argent. Tout ce qui est matériel, tout ce qui est naturel, tout ce qui vit est au service de la production d’une relation sociale – valeur, argent, capital – devenue autonome et qui doit transgresser les limites de la vie en permanence.

Mais le capitalisme est un système plein de contradictions. Chaque fois qu’il essaye de les surmonter, il ne fait que reporter et intensifier la prochaine crise. La crise sociale et sanitaire créée par l’expansion du coronavirus concentre toutes ces contradictions et exprime la putréfaction des relations sociales fondées sur la valeur, la propriété privée et l’État ainsi que leur épuisement historique.

Au fur et à mesure que ce système progresse, la concurrence entre capitalistes entraîne le développement technologique et scientifique et, avec lui, une production de plus en plus sociale. De plus en plus ce que nous produisons dépend moins d’une seule personne mais de la société, moins d’une production locale mais de plus en plus d’une production globale. Cela dépend aussi de moins en moins de l’effort individuel et immédiat et davantage des connaissances accumulées tout au long de l’histoire et appliquées efficacement à la production. Le capital fait tout cela tout en conservant, cependant, ses propres catégories : bien que la production soit de plus en plus sociale, le produit du travail continue à être propriété privée. Et ce n’est pas tout : le produit du travail est une marchandise, c’est-à-dire une propriété privée destinée à être échangée avec d’autres marchandises. Cet échange est possible parce que les deux produits contiennent la même quantité de travail abstrait, de valeur. Cette logique, qui constitue les catégories de base du capital, est remise en cause par le développement du capitalisme lui-même, qui réduit la quantité de travail vivant requise pour chaque marchandise. Automatisation de la production, expulsion du travail, perte de profits que les capitalistes peuvent tirer de l’exploitation de ce travail : crise de la valeur.

Cette profonde contradiction entre production sociale et appropriation privée se concrétise dans toute une série d’antagonismes qui s’en dérivent. L’une d’elles, que l’on a développée plus en profondeur à d’autres occasions, explique le rôle de la terre dans l’épuisement de la valeur en tant que relation sociale. Le développement du capital tend à créer une demande toujours plus forte en ce qui concerne l’utilisation des terres, ce qui fait que son prix – la rente foncière – tend à augmenter historiquement. C’est logique : plus la productivité augmente, plus la quantité de valeur par unité de produit diminue et, par conséquent, plus de marchandises doivent être produites pour obtenir les mêmes bénéfices qu’auparavant. Puisqu’il y a de moins en moins de travailleurs dans l’usine et de plus en plus de robots, la production a besoin d’un plus grand volume de matières premières et de ressources énergétiques. La demande foncière s’intensifie donc : méga exploitation minière, déforestation, extraction intensive de combustibles fossiles sont les conséquences logiques de cette dynamique. D’un autre côté, la concentration du capital entraîne à son tour la concentration de grandes masses de main-d’œuvre dans les villes, ce qui pousse les logements urbains à augmenter leur prix de façon permanente. D’où aussi les pires conditions de vie dans les métropoles, le surpeuplement, la pollution, le loyer qui enlève une part de plus en plus importante du salaire, la journée de travail qui se prolonge indéfiniment à cause des trajets en transports.

L’agriculture et l’élevage sont confrontés à deux grands concurrents fonciers : le secteur lié à la rente urbaine et celui lié à l’extraction des matières premières et de l’énergie. Si les exploitations agricoles ou d’élevage sont situées à la périphérie de la ville, peut-être que leur parcelle de terrain sera plus rentable pour la construction d’un immeuble résidentiel ou d’une zone industrielle qui est pratique pour la logistique en raison de sa proximité avec la métropole. S’ils sont plus éloignés, mais que leur lopin de terre contient des minéraux utiles et demandés pour la production de marchandises ou, pire encore, une réserve d’hydrocarbures, ils ne pourront pas être exploités sur ce terrain que le capital utilise à des fins plus prolifiques[1]. S’ils veulent rester en place et continuer à payer le loyer, ils devront augmenter la productivité comme le font les capitalistes industriels. Et en plus ils se trouvent subordonnés à l’augmentation incessante des bouches urbaines à nourrir. L’agro-industrie est la conséquence logique de cette dynamique : seulement en augmentant la productivité, en utilisant des machines automatisées, en produisant en monoculture, en utilisant de plus en plus de produits chimiques (engrais et pesticides dans l’agriculture, produits pharmaceutiques dans l’élevage) et des plantes génétiquement modifiées et des animaux, les bénéfices suffisants pourront être réalisés dans un contexte où la rente foncière augmente sans cesse.

Tout cela est nécessaire pour encadrer l’urgence pandémique. Comme l’expliquent très bien les camarades de Chuang, le coronavirus n’est pas un fait naturel étranger aux relations capitalistes. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de mondialisation, c’est-à-dire des possibilités exponentielles de propagation d’un virus. C’est la manière même de produire du capital qui favorise l’apparition de pandémies.

Premièrement, afin de rendre l’agriculture et l’élevage plus rentables, il est nécessaire de mettre en œuvre des formes de production beaucoup plus intensives et beaucoup plus agressives pour le métabolisme naturel. Lorsque de nombreux membres de la même espèce – les porcs, par exemple, l’une des sources possibles du COVID-19 et la source sûre de la grippe A (H1N1) apparue en 2009 aux États-Unis – sont entassés dans des fermes industrielles, leur mode de vie, leur alimentation et l’application permanente de médicaments sur leur corps affaiblissent leur système immunitaire. Il n’y a pas de résilience dans le petit écosystème que constitue une très grande population de la même espèce, immunologiquement compromise et surpeuplée dans de petits espaces. De plus, cet écosystème est un terrain d’entraînement, un lieu privilégié pour la sélection naturelle des virus les plus contagieux et virulents. D’autant plus si cette population a un taux de mortalité élevé, comme cela se produit dans les abattoirs, car la vitesse à laquelle le virus est capable de transmettre détermine sa possibilité de survie. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’un de ces virus puisse se transmettre et persister dans un hôte d’une autre espèce : un être humain, par exemple.

Maintenant, disons que cet être humain est un prolétaire et vit, comme les porcs dans notre exemple, entassés dans une maison malsaine avec le reste de sa famille, il va travailler entassé de nouveau dans un train ou un bus où il est difficile de respirer à l’heure de pointe et il a un système immunitaire affaibli par la fatigue, la mauvaise qualité des aliments, la pollution de l’air et de l’eau. La hausse permanente du prix du logement et des transports, les emplois de plus en plus précaires, la mauvaise alimentation, bref la loi de la misère croissante du capital rendent également notre espèce très peu résistante.

La recherche d’une plus grande rentabilité et compétitivité de l’agriculture sur le marché mondial a également ses effets sur la prolifération des épidémies. Nous avons un bon exemple à travers l’épidémie d’Ebola qui s’est propagée dans toute l’Afrique de l’Ouest en 2014-2016, qui a été précédée par l’introduction de monocultures dédiés à l’huile de palme : un type de plantation vers lequel les chauves-souris – la potentielle source de la souche qui a provoqué l’épidémie – sont très attirées. La déforestation de la jungle, en raison non seulement de l’exploitation agro-industrielle mais aussi de l’exploitation forestière et des méga-mines, oblige de nombreuses espèces animales – et certaines populations humaines – à aller plus profondément dans la jungle ou à rester à proximité, en s’exposant aux porteurs du virus tels que les chauves-souris (Ebola), les moustiques (Zika) et d’autres hôtes réservoirs – c’est-à-dire porteurs d’agents pathogènes – qui s’adaptent aux nouvelles conditions établies par l’agro-industrie.

Bien que la source la plus probable du coronavirus soit la chasse et la vente d’animaux sauvages vendus sur le marché du Hunan à Wuhan, cela n’est pas déconnecté du processus décrit ci-dessus. À mesure que le bétail et l’agriculture industrielle se répandent, ils poussent les chasseurs d’animaux sauvages à pénétrer plus profondément dans la jungle à la recherche de leur subsistance, augmentant ainsi les risques de contagion auprès de nouveaux agents pathogènes et donc de leur propagation dans les grandes villes.

Le roi nu

Le coronavirus a démasqué le roi : les contradictions du capital se révèlent et se font sentir dans toute leur brutalité. Et le capitalisme est incapable de gérer la catastrophe qui résulte de ses contradictions, car il ne peut en échapper qu’en les repoussant momentanément pour qu’elles explosent avec plus de virulence plus tard.

Pour identifier cette dynamique, essentielle à l’histoire du capitalisme, nous pouvons l’observer à travers l’exemple de la technologie. L’application des connaissances techno-scientifiques à la production est peut-être l’une des particularités qui a le plus caractérisé ce système. La technologie est utilisée pour augmenter la productivité afin d’extraire un profit supérieur à la moyenne, de telle sorte que l’entreprise qui produit plus de biens que ses concurrents avec le même temps de travail peut choisir entre réduire quelque peu le prix des biens, même pour gagner de l’espace sur le marché, ou le maintenir et gagner un peu plus d’argent. Cependant, dès que leurs concurrents appliquent des améliorations similaires et ont tous le même niveau de productivité, les capitalistes constatent qu’au lieu de faire des bénéfices, ils ont encore moins de bénéfices qu’auparavant, car ils ont plus de biens à mettre sur le marché – ce qui engendre que dans des conditions de concurrence, ses prix baissent – et moins de travailleurs à exploiter proportionnellement. En d’autres termes, ce qui avait été initialement présenté comme une solution, l’application de la technologie pour augmenter la productivité, est rapidement devenu le problème. Ce mouvement logique est permanent et structurel dans le capitalisme.

Le développement de la médecine et de la pharmacologie suit ce même mouvement. Le capitalisme ne peut éviter, depuis ses premiers débuts, de rendre sa population malade. Il ne peut qu’essayer de développer des connaissances médicales et pharmacologiques pour comprendre et maîtriser les pathologies qu’il privilégie. Cependant, dans la mesure où les conditions qui nous rendent malades ne disparaissent pas, mais augmentent même avec la crise de plus en plus prononcée de ce système, le rôle de la médecine s’inverse et peut fonctionner comme un carburant qui alimente la maladie. L’utilisation d’antibiotiques non seulement pour l’espèce humaine, mais aussi pour l’élevage, favorise la résistance des bactéries et l’apparition de souches de plus en plus difficiles à combattre. Il se produit la même chose avec les vaccins viraux. D’une part, ils ont tendance à être inefficaces lors de l’émergence d’une épidémie, étant donné que la logique commerciale elle-même, les brevets, les secrets industriels et la négociation des sociétés pharmaceutiques avec l’État retardent leur application rapide sur la population infectée. En revanche, la sélection naturelle amènera de plus en plus les virus à surmonter ces barrières, favorisant l’apparition de nouvelles souches pour lesquelles les vaccins ne sont pas encore découverts. Le problème ne réside donc pas dans le développement des connaissances médicales et pharmacologiques, mais lorsque les relations sociales continuent d’être entretenues, car ce sont elles qui produisent durablement la maladie et facilitent son expansion rapide. Ces connaissances ne feront donc qu’encourager l’apparition de souches de plus en plus contagieuses et virulentes.

De la même manière que le développement technologique et médical cache une forte contradiction avec les relations sociales capitalistes, il en va de même en ce qui concerne la contradiction entre le niveau national et international du capital lui-même.

Le capitalisme dès sa naissance a présenté une dimension mondiale. À la fin du Moyen Âge, des réseaux de commerce à longue distance se sont développés. Ajoutés à l’impulsion nouvelle due à la conquête du continent américain, ces réseaux ont favorisé l’accumulation d’une énorme masse de capitaux marchands et d’usure. Cela aurait servi de tremplin aux nouvelles relations qui se dessinaient au moment de la prolétarisation de la paysannerie et l’imposition du travail salarié en Europe. La peste noire qui a dévasté le continent européen au XIVe siècle est précisément le résultat de cette mondialisation des échanges, survenue chez les marchands italiens alors en Chine. Logiquement, les systèmes immunitaires des différentes populations à cette époque étaient moins préparés à subir des maladies d’autres régions, et l’intensification des liens dans le monde allait faciliter une expansion des épidémies aussi importantes que les réseaux commerciaux étaient vastes. À l’image des épidémies que les colons auraient portées et qui auraient détruit la majorité de la population indigène dans de grandes régions d’Amérique.

Cependant, ces réseaux commerciaux mondiaux ont servi, paradoxalement et contradictoirement, à encourager la formation de bourgeoisies nationales, un effort de plusieurs siècles pour homogénéiser un marché national unique, une seule langue nationale et un seul État. S’y ajoutent deux siècles durant lesquels une guerre après l’autre se poursuivait sans cesse, au point qu’il n’y a eu que quelques années de paix en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. Le caractère mondial du capital est indissociable de l’émergence historique de la nation et, avec elle, de l’impérialisme entre nations. Ce double plan en contradiction permanente, le resserrement des liens mondiaux avec les racines nationales du capitalisme, s’exprime dans toute sa force dans la situation actuelle avec le coronavirus. D’une part, la mondialisation permet aux agents pathogènes d’origines diverses de migrer des réservoirs sauvages les plus isolés vers les centres de population du monde entier. Ainsi, par exemple, le virus Zika a été détecté en 1947 dans la jungle ougandaise, d’où il tire son nom, mais ce n’est que lorsque le marché mondial de l’agriculture s’est développé et que l’Ouganda est devenu l’un de ses chaînons, que le Zika a pu atteindre le nord du Brésil en 2015, aidé sans aucun doute par la production de la monoculture de soja, coton et maïs dans la région. Un virus, soit dit en passant, que le changement climatique – une autre conséquence des relations sociales capitalistes – contribue à propager : le moustique porteur de Zika et de la dengue – le moustique tigre dans ses deux variantes, Aedes aegypti et Aedes albopictus – a déjà atteint des régions comme l’Espagne en raison du réchauffement climatique. De plus, l’internationalisation des relations capitalistes est exponentielle. Depuis l’épidémie de l’autre coronavirus, le SRAS-CoV, entre 2002 et 2003 en Chine et en Asie du Sud-Est, le nombre de vols de ces régions vers le monde entier a décuplé.

Ainsi, le capitalisme favorise l’émergence de nouveaux agents pathogènes que son caractère international propage rapidement. Et pourtant, il est incapable de les gérer. Dans la lutte impérialiste entre les principales puissances, il n’y a pas de place pour la coordination internationale que nécessitent de plus en plus les relations sociales mondiales, et encore moins la coordination que cette pandémie requiert déjà. Le caractère intrinsèquement national du capital, aussi mondialisé soit-il, implique que les intérêts nationaux dans le contexte de la lutte impérialiste l’emportent sur toutes sortes de considérations internationales favorisant la lutte contre le virus. Si la Chine, l’Italie ou l’Espagne ont retardé jusqu’au dernier moment leur prise de mesures, comme l’ont fait plus tard la France, l’Allemagne ou les États-Unis, c’est précisément parce que les mesures nécessaires pour contenir la pandémie ont consisté en la mise en quarantaine des personnes infectées et, à l’arrivée d’un certain taux de contagion, de l’arrêt partiel de la production et de la distribution des marchandises. Dans un contexte où la crise économique qui éclate actuellement, au milieu d’une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis et au cours d’une récession industrielle, se déroule depuis deux ans maintenant, cette rupture ne peut être permise. La décision logique des responsables du capital était alors de sacrifier la santé et quelques vies au capital variable – êtres humains, prolétaires – pour tenir un peu plus longtemps le coup et maintenir la compétitivité sur le marché mondial. Le fait qu’elle se soit révélée non seulement inefficace mais même contre-productive n’exempte pas cette décision de la logique suivante : une bourgeoisie nationale, sensible uniquement aux hauts et aux bas de son propre PIB, ne peut pas manifester une philanthropie internationale. Cela doit être laissé aux discours de l’ONU. Et c’est que la grande contradiction que le coronavirus a révélée est celle du PIB, celle de la richesse basée sur le capital fictif, celle d’une récession sans cesse repoussée sur la base d’injections de liquidité sans fondement matériel dans le présent.

Le coronavirus a démasqué le roi et a montré que nous ne sommes jamais vraiment sortis de la crise de 2008. La croissance minimale, la stagnation qui a suivi et la récession industrielle des dix dernières années n’ont été que la réponse à peine perceptible d’un corps dans le coma, un corps qui n’a survécu que grâce à l’émission permanente de capital fictif. Comme nous l’avons expliqué précédemment, le capitalisme est basé sur l’exploitation du travail abstrait, sans lequel il ne peut faire de profit, et pourtant sa propre dynamique le pousse à expulser le travail de la production de façon exponentielle. Cette contradiction très forte, cette contradiction structurelle qui atteint ses catégories les plus fondamentales, ne peut être surmontée qu’en l’aggravant plus tard par le biais du crédit, c’est-à-dire attendre des profits futurs pour continuer d’alimenter la machine dans le présent. Les entreprises de « l’économie réelle » n’ont d’autre moyen de survivre que de fuir en permanence, d’obtenir des crédits et de maintenir des stocks élevés.

Le coronavirus n’est pas la crise. C’est simplement le déclencheur d’une contradiction structurelle qui s’exprimait depuis des décennies. La solution que les banques centrales des grandes puissances ont donnée pour la crise de 2008 a été de continuer à fuir et d’utiliser les seuls instruments dont la bourgeoisie dispose actuellement pour faire face à la putréfaction de ses propres relations de production : des injections massives de liquidités, c’est-à-dire des crédits bons marchés basés sur la question du capital fictif. Bien entendu, cet instrument n’a guère servi à maintenir la bulle, car en l’absence de réelle rentabilité, les entreprises ont utilisé cette liquidité pour racheter leurs propres actions et continuer à emprunter. Ainsi, aujourd’hui, la dette par rapport au PIB mondial a augmenté de près d’un tiers depuis 2008. Le coronavirus n’a été que le coup qui a fait tomber le château de cartes.

Contrairement à ce que proclame la social-démocratie, selon laquelle on se retrouverait dans cette situation car le néolibéralisme a fait place à l’avidité des spéculateurs de Wall Street, l’émission de capital fictif – c’est-à-dire de crédits fondés sur les gains futurs qui ne se réaliseront jamais – est l’organe de respiration artificielle nécessaire de ce système basé sur le travail. Un système qui, cependant, en raison du développement d’une productivité extrêmement élevée, a de moins en moins besoin de travail pour produire de la richesse. Comme nous l’avons expliqué précédemment, le capitalisme développe une production sociale qui entre directement en collision avec la propriété privée sur laquelle repose l’échange commercial. Nous n’avons jamais été aussi espèce que maintenant. Nous n’avons jamais été aussi liés dans le monde. Jamais l’humanité ne s’est autant reconnue, a eu autant besoin d’elle-même, quelles que soient les langues, les cultures et les barrières nationales. Et pourtant le capitalisme, qui a construit le caractère mondial de nos relations humaines, ne peut y faire face qu’en affirmant la nation et les marchandises et en niant notre humanité. Il ne peut faire face à la constitution de notre communauté humaine qu’à travers sa logique de destruction : l’extinction de l’espèce.

Hobbes et nous

Une semaine avant la rédaction de ce texte, en Espagne, a été décrété l’état d’urgence, de quarantaine et de confinement, sauf lorsqu’il s’agissait de vendre notre main-d’œuvre. Des mesures similaires ont été prises en Chine et en Italie, et l’ont déjà été en France. Seuls, chez nous ou séparés d’un mètre de l’autre dans la rue, la réalité de la société capitaliste est présente : nous ne pouvons nous lier aux autres qu’en tant que marchandises, pas en tant que personnes. Les images qui l’expriment le mieux ce sont peut-être les photographies et les vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux lorsque débutait les confinements : des milliers de personnes s’entassées dans les trains et les métros sur le chemin du travail, tandis que les parcs et les voies publiques étaient fermés à toute personne qui ne pouvait présenter une bonne excuse aux patrouilles de police. Nous sommes des travailleurs, pas des personnes. Pour l’État, c’est évident.

Dans ce contexte, nous avons vu apparaître une fausse dichotomie fondée sur les deux pôles de la société capitaliste : l’État et l’individu. En premier lieu, l’individu, la molécule sociale du capital : les premières voix qui se sont fait entendre lors de l’alerte de la contagion ont été celles du « sauve qui peut », celles « que crèvent les vieux !», celles qui blâmaient les uns et les autres pour avoir toussé, pour s’être enfuis, pour avoir travaillé ou pour ne pas l’avoir fait. La première réaction a pris la forme de l’idéologie qui transpire spontanément de cette société : on ne peut pas demander à une société construite sur des individus isolés de ne pas agir en tant que tels. Face à cette situation et au chaos social qui s’opérait, l’émergence de l’État a été globalement vécue comme un soulagement. Etat d’alerte, militarisation des rues, contrôle des voies de communication et des transports sauf pour l’essentiel : la circulation des marchandises, notamment la main-d’œuvre marchandise. Face à l’incapacité de s’organiser collectivement face à la catastrophe, l’État se révèle être l’outil de l’administration sociale.

Et il n’est que ça. Une société atomisée a besoin d’un État pour l’organiser. Mais il le fait en reproduisant les causes de notre propre atomisation : celles du profit contre la vie, celles du capital contre les besoins de l’espèce. Des modèles de l’Imperial College de Londres prédisent 250 000 décès au Royaume-Uni et jusqu’à 1,2 million aux États-Unis. Les prévisions mondiales, en imaginant une contagion dans les pays moins développés et avec une infrastructure médicale beaucoup plus précaire, atteindront vraisemblablement plusieurs millions de personnes. L’épidémie du coronavirus aurait cependant pu s’arrêter beaucoup plus tôt. Les États qui ont été au centre de la pandémie ont agi comme ils le devaient : privilégier les bénéfices des entreprises pendant au moins quelques semaines de plus, contre le coût de millions de vies. Dans un autre type de société, dans une société régie par les besoins de l’espèce, les mesures de quarantaine prises en temps voulu auraient pu être ponctuelles, localisées et rapidement surmontées. Mais ce n’est pas le cas dans une société comme la nôtre.

Le coronavirus exprime dans toute sa brutalité les contradictions d’un système mourant. De tout ce que nous avons essayé d’analyser ici, le plus essentiel est : le capital contre la vie. Si le capitalisme pourrit en raison de son incapacité à faire face à ses propres contradictions, nous seuls, en tant que classe, en tant que communauté internationale, en tant qu’espèce, pouvons y mettre fin. Ce n’est pas une question de culture, de conscience, mais un pur besoin matériel qui nous pousse collectivement à lutter pour la vie, pour notre vie ensemble, contre le capital. Et le temps de le faire, bien que ce ne soit qu’un début, a déjà commencé. Beaucoup d’entre nous sont déjà en quarantaine, mais nous ne sommes ni isolés ni seuls. Nous nous préparons. Comme les camarades qui se sont levés en Italie et en Chine, comme ceux qui se tiennent en Iran, au Chili ou à Hong Kong depuis un certain temps, nous nous dirigeons vers la vie. Le capitalisme est en train de mourir, mais c’est seulement en tant que classe internationale, en tant qu’espèce, en tant que communauté humaine, que nous pouvons l’enterrer. L’épidémie du coronavirus a fait tomber le château de cartes, a dépouillé le roi, mais nous seuls pouvons le réduire en cendres.

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[1] Le remplacement des combustibles fossiles par des énergies renouvelables ne résout pas le problème, bien au contraire : les énergies renouvelables nécessitent des surfaces beaucoup plus grandes pour produire des niveaux d’énergie inférieurs

Les pandémies du capital

Venansault (Vendée) : Confinement? Couvre-feu? Non, vandalisme!

[Tiré du blog Attaque, à son fois du Journal du pays Yonnais]

[…] Après avoir dégradé la caméra de vidéosurveillance du foyer des jeunes Color’Ado, les vandales ont caillassé les baies vitrées du bâtiment. Des tables de pique-nique, des plaques sur un regard et des panneaux sur le chemin VTT ont été dégradés.

[…] La mairie a porté plainte et le chiffrage des dégradations est en cours. « La gendarmerie a des indices et est en train d’effectuer des recoupements pour mettre des identités sur les têtes vues sur les vidéos. » Selon les premiers éléments, il pourrait s’agir de deux jeunes, probablement originaires de la commune.
[…] Aussi, l’édile n’a pas hésité, dès lundi 23 mars, à instaurer un couvre-feu sur sa commune, entre 20 heures et 6 heures, jusqu’au 31 mars. Une mesure forte, comme à La Roche-sur-Yon, qui visait à faire respecter le confinement aux plus récalcitrants.
Sauf que le préfet a mis son veto, dès le mardi 24 mars, et a annulé l’arrêté. « La préfecture n’est pas favorable à ce que des collectivités prennent ce genre d’initiative. Je trouve ça dommage, mais j’obéis aux décisions préfectorales », s’est plié le maire […].

Besançon – Incendie pré-confinement

[Du blog Attaque qui l’a tiré de Indymedia Nantes]

Dans les premières heures du 11/03/2020 à Besançon, un véhicule utilitaire de la mairie est livré aux flammes sur un parking des Vaîtes.

Alors que se propageait le virus Corona en pleine période électorale, on a préféré foutre le feu à une bagnole de l’autorité de la ville plutôt que d’aller rendre visite un-e à un-e à chaque candidat-e- au poste de mai(t)re.

Le feu est un moyen adapté pour endiguer le virus de l’Etat et de ses laquais.

AntiCorona

Madrid Cuarentena City – Publication pour la guerre sociale en temps d’État d’Alerte n°1 (mars 2020)

Traduction de deux textes extraits de Madrid Cuarentena City, publication pour la guerre sociale en temps d’État d’Alerte n°1, deuxième quinzaine de mars 2020

Vers des eaux inconnues

Nous sommes en état d’urgence depuis plus d’une semaine. La capacité destructrice du virus n’est pas questionnable. Mais nous aimerions faire quelques remarques sur ses conséquences non cliniques et sur ses origines.

Savoir si le Covid-19 est apparu à travers une chauve-souris ou à cause d’une tentative étasunnienne, partie en vrille, de déstabiliser l’économie chinoise nous semble peu pertinent maintenant. Ce virus, comme d’autres dans l’histoire qui ont auparavant décimé des populations entières dans l’Amazonie, en Amérique Centrale, en Afrique et en Océanie, est un phénomène biologique. Mais le contexte où il naît, la manière dont il se propage et dont il est géré sont des questions sociales. Ce virus est le résultat d’un système qui marchandise chaque processus, chaque objet, chaque rapport ou tout être vivant sur la terre. Il se répand rapidement de par l’énorme concentration de main d’oeuvre et de corpus consumériste dans les grandes villes, qui s’alimente de l’agro-industrie et de l’élevage intensif. Un flux constant de biens humains (5000 millions de personnes volent chaque année autour de la planète) à des vitesses effrénées qui se reflètent en 200 caractères et 5000 likes.

C’est précisément cet acharnement à arficialiser tout, y compris nos émotions, en basant tout sur le profit, en voyant le monde à travers un écran, en laissant notre esprit être colonisé par l’“efficacité” qui nous a mené à la perte progressive de l’“humain”, du “vivant”. Cela a facilité le fait que des mesures aussi extrêmes qui n’autorisent à sortir de chez soi que pour deux motifs (travailler et consommer) soient passées de manière assez peu traumatique. En même temps, on nous propose comme voie de sortie les mêmes dynamiques technophiles qui nous ont conduit au désastre. Si nous ajoutons à cela la peur, le gouvernement de la peur, nous finissons par perdre le nord et par réinterpréter des concepts tels que la responsabilité ou la solidarité.

Tu te feras traiter d’irresponsable, par exemple si tu ne te soumets pas à l’assignation à résidence volontaire. Sacrée perversion du sens qui n’est en réalité rien d’autre que l’accolade entre le coeur et la tête, entre l’analyse, la décision et l’action. En te criant par la fenêtre au minimum “inconscient-e” si tu passes dans la rue main dans la main avec ton compagnon-ne, on te gueule en réalité “Obéis à la norme!”. C’est aussi ce qui se passe avec les appels à la solidarité qui se traduisent par une servitude volontaire collective en se transformant en un acritique #yomequedoencasa [je resteàlamaison].

Qu’en est-il des centaines de personnes qui s’accumulent à Antocha ou Chamartin [1] entre 6h30 et 8h30 du matin ? Pourquoi les chantiers de construction n’ont-ils pas été arrêtés dans une ville qui dispose d’un excédent exorbitant de logements ? Les personnes entassées dans le parc des expositions IFEMA [2] ne sont-elles pas des personnes ? C’est éprouvant de passer une semaine enfermée ? Et l’être 5, 10, 15, 30 ans, à présent sans même pouvoir recevoir une visite, un parloir intime, alors que dans de nombreux cas les appels téléphoniques et le courrier sont tout-à-fait restreints ? Pour ne citer que quelques exemples qui font mal.

Pour les personnes sans domicile, toute survie anonyme est désormais impossible puisqu’elles ne peuvent plus passer inaperçues quand la jungle de verre s’est transformée en désert de béton. Elles sont, plus encore qu’avant si possible, interdites de séjour. Dans le meilleur des cas, elles seront menées en troupeau dans des enclos comme l’IFEMA. L’impunité policière, déjà exacerbée en tant que telle, s’est aussi déchaînée contre les autres prohibé-e-s, celles et ceux qui ne peuvent accréditer par des papiers bureaucratiques leur statut de personnes de “pleins droits” ou dont la physionomie ou la couleur de peau induit les bourreaux en uniforme à penser que ce n’est pas le cas. (La presse officielle fait état de nombreuses agressions policières dans les quartiers de Lavapiés, dans le centre et dans d’autres villes). Parce qu’une pandémie reste une question de classe, de privilèges, de morts pas si aléatoires.

On ne nous a pas accordé le pouvoir de divination comme à Cassandra, mais par contre la malédiction d’Appollon si. C’est-à-dire que nous n’avons pas la certitude que ces pronostics se réaliseront, (même s’il y a des signes peu trompeurs de vers où le pouvoir veut aller et des preuves, déjà irréfutables, de ce genre de mesures) tout en craignant d’être difficilement écouté-e-s. Nous pensons que toutes ces mesures de contrôle deviendront permanentes, comme cela s’est déjà produit avec les lois anti-terroristes après le 11 Septembre, ou qu’elles se répèteront; il ne nous étonnerait guère d’être rappelé-e-s au confinement à l’avenir, dans des circonstances comme des tempêtes, des ouragans, et toutes sortes de crises climatiques qui arriveront sûrement, ou encore de vieilles et nouvelles épidémies qui viendront à nouveau frapper à nos portes. Traçage des mouvements par le téléphone, contrôles biométriques et de température, limitation des déplacements en fonction de cela … sont déjà une réalité et sont destinés à rester. Il faudrait ajouter à cela la précarisation généralisée qui ne tardera pas à arriver, la socialisation de la pauvreté …

À ce stade, nous voulons partager l’idée que le présent, ou plutôt le passé, le monde tel que nous le connaissons, fondé sur la domination, avec ses structures perpétuant la misère, son orthodoxie, son zèle liberticide … ne nous satisfait pas. Et nous ne souhaitons en aucune manière y revenir.

Commençons à la tenter. En tenant compte du fait que nous n’aimerions pas infecter certaines personnes, brisons l’isolement. Agissons si besoin au niveau individuel. Dans cette réalité, même en frappant à l’aveuglette, il est très facile de tomber pile. Communiquons, parlons, faisons tourner l’information et soyons critiques; forçons les couvre-feu, cartographions le contrôle (où et quand les patrouilles ont lieu, quels espaces ont été interdits, où il y a de l’approvisionnement … )

Fomentons les grèves et la fermeture des entreprises. Nous ne voulons pas une gestion de la crise. Nous voulons expérimenter, choquer, lutter, porter le conflit …

Efforçons-nous d’intervenir dans le présent, même si nous ne voyons pas l’horizon lorsque nous levons les yeux. La clef se trouve peut-être précisément là, laissons derrière nous vérités, certitudes et sécurités, naviguons avec passion pour l’aventure vers des eaux inconnues, vers des aurores de liberté et de révolte.


NdT:
[1] Grandes gares ferroviaires de Madrid.
[2] Réquisitionné pour en faire un hôpital de campagne]

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Revenir où ? Revenir à quoi ?

L’état d’alerte nous arrache la normalité de nos vies pour tous nous placer à un moment vital avec davantage d’incertitude que de réponses. Et il fait entrer la plupart d’entre nous dans un scénario que nous n’avions jamais vécu. Quelque chose de nouveau.

Et à la télé, à la radio, dans les journaux, nous les voyons répéter certaines formules comme des mantras pour nous transmettre la tranquillité : tout va bien se terminer, nous nous en sortirons et nous reviendrons à la normalité.

Avec pour seul horizon celui de revenir au point où nous en étions avant le début de la pandémie, nous sortons sur les balcons pour applaudir, avec nos bourreaux, notre nouvelle condition d’esclaves. Nous applaudissons notre confinement.

Et il semble que l’incertitude et l’enfermement nous aient fait oublier en quoi consiste la normalité. Ils nous ont fait oublier la soumission quotidienne et d’une vie entière à des boulots aliénants qui nous précipitent dans le vide existentiel, que les flics ne sont pas nos amis mais l’institution chargée de maintenir l’ordre social que les riches lancent contre les pauvres.

Ils nous ont fait oublier la misère, l’exploitation, la précarité, la répression, les expulsions locatives, les mensonges des politiques et des entrepreneurs, le désastre permanent auquel l’industrie condamne la planète. Ils nous ont même fait oublier l’urgence climatique!

Face à cette normalité, il ne faudrait se souvenir que de la haine.

Ne nous voilons pas la face, l’état d’alerte était déjà latent dans nos vies. Cette crise a seulemeent fait tomber les masques avec lesquels l’Etat cache ses véritables intentions : le contrôle et son extension totale sur nos corps, nos pensées et nos sentiments.

Comme toujours, c’est à nous de payer les pots cassés de leur désastre. Profitons de cette occasion pour renoncer à la normalité, pour la dépasser et déborder ses marges. Que la seule épidémie qui se répande soit celle des passions. Dirigeons notre haine contre tous ceux qui nous condamnent à une normalité en état d’urgence permanent : contre tes chefs, contre les flics, contre les politiques, contre la passivité.

Reprends ta vie en main, ne reviens pas à la normalité.

Pour l’anarchie.

Sur l’attaque portée à nos relations

“Je suis scotché à la mienne et toi à la tienne. Ecoute ta montre, son tic-tac est un murmure”

Le confinement a des conséquences sur l’un des fondements les plus importants de notre vie: les liens entre individus. Ceux-ci sont contraints de s’éloigner, de se rompre, de remplacer le contact de chair et d’os par l’isolement des débits et des écrans. Ce n’est pas comme lorsque quelque’un que l’on aime traverse des situations essentielles dans un pays éloigné, où on a la certitude que, même si ce lien est sûrement poussiéreux, il sera intact à son retour, ou qu’il vivra dans la mémoire; mais là, on a le soutien de toutes les autres relations sur lesquelles on compte dans notre vie quotidienne. Cette situation de quarantaine a interrompu de force le cours de nos interactions sociales du jour au lendemain, a confiné nos vies en un module d’isolement.

Il y a celles et ceux qui ont de la chance et au moins (au moins parce que cela ne remplit absolument pas le vide laissé par les liens à distance) peuvent passer le confinement avec des personnes qui s’aiment et qui se soutiennent mutuellement, mais qu’en est-il des personnes qui vivent seules? Qui entendra leurs appels à l’aide lorsqu’un suicide alimenté par l’anxiété frappent à leur porte? Et les femmes qui ont leur propre maton à la maison? On dit que la police est à l’affut d’appels pour violences sexistes, mais nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la police résolve ces problèmes, encore moins lorsqu’on sait que les flics contribuent la plupart du temps à la maltraitance et à l’humiliation des femmes violentées. De plus, en étant vraiment enfermé.e avec une personne qui vous domine, est-il possible de prendre le téléphone? De sortir du domicile? Les chiffres des violences et meurtres sexistes nous montrent que ce n‘est pas le cas. Et celles et ceux qui n’ont pas d’endroit où vivre? Celles et ceux que les militaires “aideront” et “déplaceront”. Nous ne devons absolument pas faire confiance à ce que l’armée dit vouloir faire quand on est en train de regarder parce que nous sommes enfermé.e.s chez nous.

Et pour en remettre une couche, la panique sociale a non seulement fait que les gens ont individuellement rompu leurs liens, mais qu’ils cherchent également à briser ceux des personnes qui tentent de résister. En invectivant de leur balcon pour avoir marché ensemble dans la rue, pour s’être donné la main, s’être fait des câlins, s’être embrassé.e.s… Angoisse collective sur la base de “Je reste à la maison et toi tu te fous de nous”. Mais parler sur whatsapp, skype, les réseaux sociaux et d’autres alternatives fournies par la technologie n’est même pas valable pour sortir du bourbier d’anxiété dans lequel nous avons été plongé.e.s. On a besoin de contact, on a besoin de marcher avec quelqu’un pour maintenir des liens et ne pas sombrer dans l’hystérie, sans avoir à penser qu’une patrouille de flics va nous mettre une amende.

Que se passera-t-il lorsque nous pourrons retourner dans la rue et que nous serons incapables d’interagir en groupe, de vis-à-vis sur une place? Lorsque l’anxiété sociale sera généralisée et qu’il faudra s’unir pour lutter contre ce monde de merde dans lequel nous vivons?

Ne laissons pas la panique sociale et le contrôle étatique détruire ce que nous avons de plus précieux, renforçons nos liens pour qu’ils soient indestructibles et qu’ils balayent la domination.

Sur l’attaque portée à nos relations

https://sansattendre.noblogs.org/post/2020/03/29/madrid-cuarentena-city-publication-pour-la-guerre-sociale-en-temps-detat-dalerte-n1-mars-2020/

Rébellion en période de couvre-feu

Nous nous trouvons dans une situation totalement inédite pour tout le monde : nos libertés formelles sont réduites au minimum comme en temps de guerre ou de condamnation pénale, sauf que cette fois, « l’ennemi » est invisible et la prison est notre domicile. Catastrophe, état d’urgence, couvre-feu, pandémie, bombardement médiatique, panique, inquiétude et isolement… A ce stade, il ne s’agit pas de relativiser ou d’évaluer les conséquences du Coronavirus – Il m’est impossible de juger cela d’un point de vue médical. Mais ce que je cherche, c’est à critiquer la forme autoritaire en cours, autrement dit la situation de guerre décrétée par l’État et ses conséquences pour nous et pour la société. Alors qu’on laisse passer chaque projet de loi et décret avec l’appui des experts compétents du moment, et que personne ne peut prédire à quoi ressemblera la situation dans une semaine, nous n’avons besoin d’aucun expert pour savoir que l’état d’urgence en temps de crise et de guerre devient bien trop vite une normalité (qui se souvient encore de la « guerre contre le terrorisme » ou « la crise des réfugiés »?).

La misère sociale : solitaire, numérique et docile

Dans cette société toujours en mouvement, la rapidité et l‘omniprésence des informations atteint un palier supplémentaire : dans le suivi mis à jour en direct, on peut observer les chiffres des personnes contaminées et notre insécurité grandit d’autant plus vite… La peur vis-à-vis de la personne contaminée, du malade, du semblable, du voisin.

Pendant ce temps-là, les politiciens se tiennent en première ligne dans la guerre contre l’ennemi en nous assurant qu’ils savent ce qui est le mieux à faire. « Rester à la maison ! Rester tranquilles ! » serait tout ce que nous aurions à faire. Faire preuve d’unité et suivre les ordres, car après tout, « ce n’est pas le moment de critiquer ». Et nous nous retrouvons très vite dans un scénario totalitaire de société de contrôle : on ne devrait plus quitter son domicile et en plus dénoncer celles et ceux qui n’obéissent pas à ce décret. Le brave citoyen prend conscience de sa responsabilité et compose le 110 si il soupçonne les voisins de faire la fête. Pendant ce temps-là, l’utilisation d’internet atteint un nouveau sommet, car on nous fait avaler qu’il y aurait un autre monde vers lequel on pourrait fuir quand il n’est plus possible de faire confiance à ce qui nous entoure : le monde numérique. Car plutôt que de se déplacer et de maintenir des contacts, la vie passe au numérique. Plutôt que de sortir et de rencontrer des potes, on peut bien chatter ensemble, regarder des séries, travailler à la maison, se faire tout livrer devant la porte, regarder des pornos, exprimer des critiques sur internet ou tout simplement jouer à des jeux. Dans cette frénésie numérique, la vie devient artificielle et aliénée, et en fin de compte toute possibilité de transformer quoi que ce soit dans la réalité disparaît. Stressés, inactifs, dépassés en glandant entre quatre murs, les yeux éberlués, ce serait donc ça le futur ? Enfermés en permanence et effrayés par des infos horrifiantes, le nombre de personnes qui décident de mettre fin à une vie pareille augmente en général dans de telles circonstances ; tout comme la violence entre les personnes et dans les familles qui, le plus souvent, est exercée par des hommes sur les femmes.

Vers une période sans fin dans la prison à ciel ouvert

Pendant que j’écris ce texte, une voiture de police continue de patrouiller dans quelques rues parallèles, avec les haut-parleurs annonçant haut et fort que nous devons rester à la maison. Dans le même temps, quelques politiciens puissants siègent ensemble et réglementent dans quelle mesure les assignations à résidence doivent être harmonisées. L’antenne-relais dressée sur le toit de l’immeuble du voisin collecte les données de contact et de mouvement de tous les portables qui se trouvent dans son périmètre. Puis les opérateurs Telekom et Vodafone les transmettent afin de pouvoir analyser avec qui les personnes contaminées ont été en contact et dans quelle mesure la limitation de sortie est respectée. Dans quelques jours, l’État va probablement entériner l’assignation à résidence et suspendre les droits tels que le secret postal et l’inviolabilité du domicile. Ainsi, il va éplucher en continu qui est en contact avec qui et où, qui habite et séjourne où, et ainsi catégoriser, ranger et classer voire diviser les sujets de l’État. Par ailleurs, à travers l’appel à une obéissance totale, on aboutit à une militarisation globale de la société sans précédent. Frontières fermées, soldats se préparant à intervenir dans les rues, interdiction de tout rassemblement de personnes et hélicoptère à leur recherche à l’aide de caméras thermiques. Le fait que la Chine soit considérée comme un État modèle dans la lutte contre l’épidémie montre vers où on va : des drones qui planent au-dessus de nos têtes en nous donnant des ordres, des codes-barres sur nos smartphones qui nous autorisent à aller aux supermarchés selon des algorithmes incompréhensibles ou de nous mettre en quarantaine par la force, des villes entières bouclées et des barrages à chaque carrefour. Le fait qu’un « expert » en Italie ait déjà proposé de mettre des bracelets électroniques aux chevilles des personnes mises en quarantaine afin de pouvoir être sûr qu’elles ne quittent pas leurs domiciles signifie que la ville a désormais été transformée en prison à ciel ouvert et que les méthodes de discipline, de contrôle, de gestion, de punition et de surveillance s’appliquent à l’ensemble de la population. Ceux qui dorénavant se contentent d’attendre durant cette brève période d’assignation et de s’amuser sur internet se contrefoutent non seulement de la liberté, mais ils ne comprennent pas non plus que cette situation durera bien plus que quelques jours.

La normalité est la véritable crise

Du point de vue politique des dominants sur la population, maintenir cet état d’urgence uniquement pendant deux semaines n’a vraiment aucun sens. Pour ceux qui veulent figer la société, il faudrait le faire pendant au moins un an du point de vue de virologues afin de stopper le virus. Et même si les restrictions sont assouplies ou levées, les conséquences seront énormes : ceux qui vivent seuls par le numérique et l’obéissance, adoptent aussi ce comportement. Alors que nous avons vu il y a quelques mois encore des explosions de révoltes et de soulèvements partout dans le monde, les moyens de contre-insurrection et d’abrutissement social laisseront de profondes cicatrices : ceux qui vivent isolés et dans le monde numérique se font également priver de toute possibilité et moyen de discuter, de se révolter et de s’auto-organiser avec leurs amis. Pendant que l’État se met en scène en tant que protecteur des corps et des vies, il nous interdit toute vie sociale. Mais nous savons ce que sont l’État et son industrie qui tuent en permanence, couvrant ce monde de guerres, laissant les réfugiés mourir aux frontières, détruisant et exploitant la terre depuis des siècles. L’État se la joue gardien du bien commun mais en réalité, il veut nous voir comme des esclaves du travail et des soldats obéissants qui produisent pour son industrie polluante et sont prêts à mourir dans ses guerres. L’État protège en premier ressort les riches et s’il venait à l’idée de quiconque, dans cette crise économique, d’aller prendre ce qui lui manque, ses larbins n’hésiteront pas à tirer sur les pilleurs et les voleurs. Le capitalisme et l’État ont besoin des crises et des états d’urgence afin d’accroître et durcir leur pouvoir sur nous – le virus n’étant pas la raison mais l’élément déclencheur. L’État nous appelle à prendre nos responsabilités, mais il nous empêche de nous auto-organiser, de nous rencontrer et de s’entraider. On nous somme de rester assis devant l’écran, de dire « oui » et « amen », mais l’État nous déclare la guerre quand nous abandonnons ce rôle de sujet.

Si l’État veut contrôler et empêcher chacun de nos mouvements et chacune de nos relations, il est nécessaire de chercher des moyens pour nous déplacer et nous rencontrer malgré tout. Si ce qui est nécessaire pour vivre se raréfie, il est primordial d’aller le prendre là où il y en a en abondance. Si nous sommes enfermés et séparés les uns des autres, on ne peut pas se considérer comme des concurrents ou des ennemis, mais comme des personnes avec lesquelles s’associer – comme de potentiels soutiens et complices. Si les yeux de l’État se font de plus en plus omniprésents et si l’étau du capitalisme nous étrangle de plus en plus, il est nécessaire de chercher des moyens de les crever et de les briser.

« Être gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu…

Être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé.

C’est, sous prétexte d’utilité publique, et au nom de l’intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale ! Le gouvernement de l’homme par l’homme, c’est la servitude !Quiconque met la main sur moi pour me gouverner est un usurpateur et un tyran ; je le déclare mon ennemi. »

[Tiré et traduit de Zündlumpen Nr. 58 – Anarchistisches Wochenblatt – München, den 23. März 2020]


NdT : La Bavière a été le premier Land d’Allemagne à décréter le confinement. Markus Söder, chef de la CSU et ministre-président du Land, a décrété à partir de minuit samedi 21 mars l’assignation à résidence pour l’ensemble de la population. Cette mesure est appliquée pour une durée de 14 jours, c’est-à-dire jusqu’au 3 avril minuit. Elle sera certainement reconduite à partir de cette date.
L’armée a été déployée dans les rues pour épauler les patrouilles de keufs pour maintenir l’ordre et veiller au confinement. Toute personne violant l’interdiction de sortie est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 25 000 euros, selon le ministre de l’intérieur Joachim Herrmann.
Les quelques autorisations de sortie sont presque les mêmes qu’en France. Il est autorisé de sortir pour aller au travail, dans les commerces considérés comme « essentiels » ou retirer de l’argent à la banque (DAB), pour aller chez le médecin ou à la pharmacie, rendre visite à son/sa conjoint.e ou faire de l’aide à domicile à un proche ou autres…. Bars, restaurants, musées et théatres, commerces « non essentiels » sont fermés.

https://sansattendre.noblogs.org/post/2020/03/29/rebellion-en-periode-de-couvre-feu/

Territoires du Nord-Ouest (Canada) – Entraide en contexte de pandémie (ou le vieux rêve du monde ébréché)

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Les discours qui circulent actuellement dans la population oscillent à différents degrés entre la béatitude procurée par une pause bien méritée et la course aux munitions causée par les replis identitaires. L’objet de ce texte n’est pas l’analyse exhaustive des situations exceptionnelles causées par la pandémie, bien que nous encourageons toute initiative en ce sens. Plutôt, nous voulons soulever le fait que la peur éprouvée par plusieurs a des chances d’être et est déjà récupérée par des attitudes, des propos et des comportements fascistes.

Le stress, les conflits, les commentaires douteux entendus dans les épiceries et dans les hôpitaux en témoignent. Les violences conjugales et les tensions personnelles exacerbées dans les appartements et les régions confinées en sont un autre exemple. Pour faire face à cette récupération illégitime de la crise, nous croyons qu’il est nécessaire de visibiliser activement un discours honnête d’entraide et de prise de pouvoir commune. S’assurer que nos discours qui prônent la responsabilisation, la communalisation et les libertés politiques et économiques soient visibles et surplombent les récupérations fascistes est primordial.

Tant que nos corps seront mobilisés et/ou mis en danger par la coercition de l’État, tant que nos actions seront surveillées et nos droits suspendus, tant que le capital négociera violemment son pouvoir dans les vides laissés par la pandémie, nous devront concentrer nos efforts à répondre aux bonnes questions et à regarder en face la tension à laquelle nous sommes tout·e·s confronté·e·s : obéir à des mesures totalitaires pour protéger la vie ou assumer des formes d’indocilité qui risquent de l’écorcher en passant.

Ce texte a été écrit par des personnes blanches cisgenre appartenant au spectre hétérosexuel.

Notre point de vue situé peut expliquer certaines mécompréhensions et/ou exclusions pouvant être véhiculées par ce texte. Les réinterprétations sont les bienvenues.
Ce texte sera écrit au « nous » dans le contexte paradoxal où la distanciation physique est popularisée. Nous avions déjà commencé à prendre de la distance, mais voilà que cette reine virale nous demande d’agrandir le fossé entre les individus, entre les communautés. Nous souhaitons prendre acte de cette situation afin de choisir nos camps. Nous souhaitons bâtir des ponts entre les îlots qui continuerons à résister à l’ensemble des plaies – et pas seulement au virus.

L’état d’exception nous a toujours fait rêver. Il est à la fois étrange et fascinant de voir les rythmes basculer, les consciences s’affûter, les allié·e·s se pointer. Il est à la fois inquiétant et merveilleux de voir que les privilèges dont chacun·e jouissait (consciemment ou non) sont mis au jour, rendus disponibles à la vue de tout·e·s, révélés.

Au même moment, certaines questions se précisent. Nos privilèges étaient-ils si invisibles?

N’avions-nous pas amorcé un travail solide pour les révéler? Et aussi, la situation d’exception engendrée par la pandémie sera-t-elle suffisante pour que tous nos privilèges soient mis au jour? Sommes-nous tout à fait conscient·e·s des enjeux territoriaux, coloniaux ou environnementaux qui nous assurent encore un certain confort, une certaine portée dans nos actions? Si les réponses à ces questions seront structurantes pour les prochains mois, la situation nous oblige à voir que les privilèges auxquels certain·e·s d’entre nous s’étaient habitué·e·s participaient à un refus général du changement social, au déni collectif de la largeur des possibles qui nous étaient déjà permis.

Les amitiés, l’accès à un toit, à un puits, à de l’eau potable, aux denrées de base, des légumes, de la farine, des protéines, de la drogue ou de l’alcool, de l’espace pour marcher sans se faire accoster par un flic ou un macho. Les connexions, les bandes passantes, les vitamines, l’entraide, la blancheur, l’argent.

Une autre question centrale nous taraude : qu’est-ce qu’on fait avec tous ces privilèges?

Certains vont nous être utiles. Il faudra apprendre à les partager, à les démanteler pour mieux les distribuer, à renoncer à quelques-uns d’entre eux. Continuer à se remettre en question personnellement. Les temps de crise ne sont pas une excuse pour s’asseoir sur ce qu’on a accumulé, ni pour manquer de responsabilité sous le couvert de l’urgence.

L’état d’exception soulève avec plus d’acuité encore d’autres questions que nous nous posions déjà. Des questions comme : pour ou contre la survie de l’espèce humaine et sinon, à quel prix?

Pour ou contre le capitalisme et sinon, à quel prix? À quelle forme de responsabilité individuelle et collective pouvons-nous réellement aspirer et de quelle nécessité sera-t-elle garante?

Autant que nous croyons que les questions seront amenées à se préciser dans les prochains mois, autant que nous croyons que l’organisation politique qui est déjà là est suffisante.

Nous croyons que nous avons déjà tout ce qui est nécessaire pour survivre et pour faire exister les systèmes et les mondes dont nous rêvions – et ce, dans le sens où nous allions déjà.

Nous croyons que toutes les personnes qui liront ce texte et qui se reconnaîtront font déjà partie de ce monde parallèle dont nous parlons depuis longtemps, celui qui s’est construit lentement à partir de nos infrastructures, celui qui s’est solidarisé, déjà, à partir d’idées et de consciences communes, celui qui permet nos pluralités, nos différences.
Bien que la peur soit tout à fait légitime, nous souhaitons amorcer le mouvement des corps et le mouvement des idées vers la réalisation d’une situation commune, d’un intérêt commun – soit, le rayonnement de nos mondes au-delà des territoires oppressifs.

Bien que la méfiance soit compréhensible, nous souhaitons confirmer la théorie par la pratique et assumer, ensemble, l’incertitude inévitable d’une telle démarche. Nous souhaitons respecter les rythmes de chacun·e tout en incitant au mouvement. Nous souhaitons continuer à prendre soin les un·e·s des autres, à soigner nos relations, à assumer nos responsabilités les un·e·s envers les autres.

Nous souhaitons voir apparaître, bientôt, la cartographie située de nos communs.
Avant la pandémie, nous nous demandions déjà comment sortir de l’immobilisme, de
l’isolement, du mal-être dans ce monde d’oppression. Nous nous demandions comment sortir de nos quotidiens pour avoir un peu de temps, pour penser à d’autres façons de vivre et d’être ensemble. Nous nous disions que pour sortir de l’isolement, il faudrait se reconnaître, avoir envie de faire des choses ensemble, avoir un imaginaire qui nous donnerait envie. Nous nous demandions : quelle vision du futur nous motive, pour vrai? Qu’est-ce qu’on trouverait important de faire, ici et maintenant?

Les premières réponses que nous avons trouvé à ces questions étaient contenues dans les théories et les pratiques féministes. Nous croyons que la diversité peut être un atout en temps de nécessité et cela doit être porté en assumant que les féminismes radicaux sont des moteurs centraux, prioritaires et transversaux qui affectent tous les aspects de nos vies – privés, sociaux et politiques.

Lorsque nous appelons à l’entraide, nous nous fions sur les consciences et les condamnations actives déjà présentes sur le terrain pour refuser tous les comportements racistes, coloniaux, homophobes, validistes, sexistes, transphobes, classistes. Mais nous ne voulons pas nier l’écart qui persiste entre les discours et la pratique. L’effort déjà déployé témoigne de ce que beaucoup d’entre nous aimeraient. La réalité, qui est que nous n’y sommes pas tout à fait, doit encore faire
partie de l’équation.

D’autre part, nous avions déjà fait le choix d’identifier quatre aspects systémiques de
l’oppression :

• le sexisme et l’hétéro-patriarcat dans la parenté-affinité
• le capitalisme dans l’économie
• l’autoritarisme en politique
• le racisme et le colonialo-impérialisme dans la communauté

Ces différents systèmes d’oppression s’entrecroisent, interagissent et se renforcent les uns les autres, d’où la nécessité de les combattre comme un tout et non de façon isolée.

À partir de maintenant, nous voulons choisir de prioriser les luttes anti-capitaliste et antiautoritaire, ce qui implique de sortir du capitalisme et de s’organiser sans l’État actuel. Nous devons dès maintenant repenser nos façons de fonctionner ensemble : d’où l’idée de préciser nos communs(1) et de se doter de nos propres structures. L’état d’exception dévoile ce que nous savions déjà : des structures, qu’on les veuille ou non, sont déjà là. Nous devons choisir les nôtres et non celles imposées par l’État.

Dans le quotidien, nous continueront à travailler à ce que l’on travaille déjà, soit, à sabler l’engrenage du colonialisme pour le faire disparaître, à mettre en place des relations de solidarité avec les réfugié·e·s et les personnes plus vulnérables, à mettre en place des moyens pour mieux se comprendre, à solidifier nos structures de soin qui nous permettent de rester inclusif·ve·s et accueillant·e·s (« care »), à travailler les opportunités que l’on a de prévenir/sortir de l’isolement, de la dépression, de l’anxiété, et cette fois-ci, des impacts du coronavirus.

Idéalement, cela se ferait par région-clé – les déplacements, l’accès aux ressources et les pratiques anti-autoritaires seraient codifiées à partir de ce qui se fait déjà.
Récupérer les communs, hors des directives gouvernementales, est le devoir politique,
économique et écologique de notre temps. La condition de possibilité du communalisme, c’est tout sauf « chacun·e fait ce qu’ielle veut ». Car le communalisme engage. Il est incompatible avec toute forme de libéralisme. Il ne peut exister sans certaines obligations (2). Dans le communalisme, il y a le principe de l’auto-organisation de ses membres et le droit de sanction: l’idée n’est pas de se surveiller, mais de s’assurer qu’il n’y a pas d’abus. Il y a aussi l’idée du déplacement (ir)régulier des pouvoirs, qui prévient toute forme d’accaparement.

Même si nos pratiques sont déjà libertaires, subversives et que l’on peut s’en féliciter, les louanges que l’on peut en faire aujourd’hui ne sont que la moitié de ce que nous pourrons en faire dans quelques mois et dans quelques années, lorsque nous aurons fait émergé la nouvelle cartographie de cet état d’exception.

Nous ne pouvons plus nous en remettre à des lendemains qui chantent en allusion à
d’hypothétiques pratiques communautaires isolées. Nous avons plusieurs choses à partager:

nos pratiques anti-oppressives, nos structures, nos pratiques de soin, le matériel, les denrées de base.

Nous ne savions pas trop comment libérer du temps pour nous organiser.

Nous n’arrivions pas trop à voir comment redéfinir les échanges commerciaux/economiques sans l’argent sale du capitalisme.

Nous ne savions pas trop comment revenir à l’essentiel, comment nous passer collectivement et activement des avantages que nous procuraient les systèmes oppressifs.

Nous ne nous attendions pas vraiment à une pandémie mondiale.

Après un mois d’exception en Italie, les dauphins sont revenus à Venise. Ce n’est qu’une facette des possibles qui sont ouverts par la situation qui commence.

Nous ne voulons pas être sauvé·e·s par l’État et nous ne voulons surtout pas que les choses reprennent comme avant.

Proposition d’entraide et actions concrètes

• Nous proposons que toute personne se reconnaissant dans cet appel à l’entraide puisse choisir en toute liberté un lieu d’atterrissage. Le lieu d’atterrissage est le lieu qu’on choisit pour s’impliquer, former ou se joindre à une commune. Nous croyons qu’à
ce stade-ci, la proximité territoriale est le facteur le plus important., bien que le
ravitaillement, les affinités et la connexion internet soient des ressources précieuses;

• À partir de là, continuer activement la mutualisation des moyens de production
(production alimentaire, ateliers de tout genre, cliniques, etc) et la mutualisation des
ressources (bouffe, argent, soins, etc);

• Continuer à s’assurer que les gens autour de nous ont accès à l’information, relayer
des points de vue critiques et différents des médias mainstream;

• S’assurer que nos discours soient présents dans les médias sociaux, les espaces,
les territoires et dans nos échanges avec nos voisin·e·s;

• S’assurer que la grève des loyers et que toute action collective réduisant le pouvoir
du capitalisme soient effective(s);

• Multiplier les actions solidaires avec les personnes les plus précaires (isolement,
vieillesse, pauvreté, sans-statuts, monoparentalité, personnes vivant avec un handicap,
etc) et s’autoformer, s’autoéduquer à la pluralité des vécus et des situations.

 

1 Les communs impliquent que la propriété n’est pas conçue comme une appropriation ou une privatisation mais comme un usage. Hors de la propriété publique et de la propriété privée, les communs forment une troisième voie.

2 Voir l’exemple du tequio zapatiste, ces sessions de travail collectives auxquelles chaque membre des communautés chiapanèques doit se soumettre. La définition du travail ici doit être élargie aux formes souvent invisibilisées ou hiérarchisées par le capitalisme (travail domestique, charge mentale, travail émotionnel, etc).

 

(Berlin) – La catastrophe est le capitalisme. Et c’est la règle.

“Nous allons occuper …

… jusqu’à plu devoir le faire”, écrivions-nous. Nous avons souvent occupé
des maisons à Berlin, beaucoup ont été évacuées à nouveau. Mais maintenant,
la situation est différente. En période de “crise”, cette phrase peut être
Appel: “Vous devez vous unir – à travers l’Europe!”

COVID-19 se propage dans de plus en plus de régions du monde et il semble
que le soi-disant état catastrophique est la règle. Parce que là où les
gens sont forcé pour papa-état supposément nécessaire et strict: «Rester à
la maison», tout le monde n’a pas de maison. Comme si cela ne suffisait
pas, l’État lui-même a augmenté le nombre de sans-abri en les expulsant.
Dans son double standard, au même temps qu’il ferme les logements précaires
que cettes personnes ont besoin pour mieux reoussir un peu de pain, d’eau
et de savon il nous exhorte patriarcalment: “Attention à l’hygiène!”

“Évitez les contacts sociaux!” c’est ce que les gouvernements nous
demandent de faire. Mais où devraient se réfugier les refuges lorsqu’ils
sont entassés dans des camps de déportation et des prisons aux frontières
extérieures de l’Europe et à la périphérie allemande? En plus de leur
retirer leurs droits humains – tels que l’asile, la liberté de circulation
et le logement- ils ont également été privés de la possibilité de se
protéger efficacement contre le COVID-19.

La catastrophe dans ce pays est que même les derniers vestiges ruinés de ce
système de santé ne sont pas accessibles à tous. Il y a une farce sociale:
les médecins, les ambulanciers paramédicaux et le personnel infirmier ont
déclaré cet état d’urgence bien avant COVID-19 et ils/elles ont été
ignorés. Pour cela, ils peuvent faire le moins possible et méritent toute
notre solidarité. Ils devront bientôt décider, comme en Italie, qui est
autorisé à vivre et qui doit mourir. C’est en soi catastrophique.

La catastrophe est le capitalisme. Et c’est la règle.

Pendant des jours, les locataires, les associations sociales et les partis
sociaux-démocrates ont exigé la confiscation des maisons de vacances et des
lieux vacants pour les mettre à la disposition des sans-abri et des
demandeurs d’asile. Avec ambiguïté l’etat dis que les apparts sont la
protection la plus efficace contre le coronavirus allors que la ville de
Berlin a créé 350 places dans une auberge de jeunesse et une installation
de refroidissement. Vendre cela comme une solidarité est cynique.

Dans la situation actuelle, la confiscation du domicile est un devoir
social. Voilà pour quoi nous allons occuper. Faisons l’union!

Salutations depuis Berlin à tous ceux qui se battent!