La promesse du Feu

La petite ville de 9000 habitants de Vauclin, située dans les Antilles sur la côte atlantique de la Martinique, présente depuis un mois quelques particularités qu’il serait bien dommage d’ignorer. Par exemple, quand on tire son propre nom de celui d’un colon – le comte de Vauquelin qui a débarqué à partir de 1720 pour faire fortune sur des plantations de canne à sucre et de tabac exploitées avec le sang et la sueur des esclaves–, de garder en mémoire ce que Progrès veut dire.

Avec la pandémie de covid-19, les colonies françaises subissent un traitement spécial, puisqu’elles sont quasi toutes placées sous couvre-feu permanent, et que les troupes militaires de l’opération Résilience ont vite été dépêchées sur place, pour empêcher là comme ailleurs d’éventuels pillages et protéger les infrastructures critiques. La Martinique n’y a pas échappé, avec l’obligation de rester chez soi entre 20h et 5h depuis le 1er avril, et l’arrivée le 19 avril du porte-hélicoptères amphibie Dixmude en provenance de Toulon, notamment chargé d’un hélicoptère de la gendarmerie et de deux autres Puma de l’armée de Terre. De la même façon que les flics et les pandores sont d’importants vecteurs de contamination du covid-19 parmi la population, notamment celle des réfractaires au confinement, les militaires ne sont pas en reste, comme le montrent les plus de mille marins à bord du porte-avion Charles de Gaulle testés positifs. Les assassins en uniforme du Dixmude qui avaient goûté aux charmes du Yémen lors de l’opération anti-piraterie dans l’Océan indien ou à ceux maliens lors de l’intervention française Serval, ne pourront donc certainement qu’admirer de loin le sommet du Mont Vauclin, culminant à un peu plus de 500 mètres.

Tant pis pour eux, car un peu plus en aval, à Morne Carrière, ils auraient pu apercevoir quatre pylônes de 55 mètres de hauteur d’une blancheur étincelante, qui font la fierté des autorités locales depuis 2004, puisqu’il s’agissait du premier « parc éolien » implanté en Martinique (depuis 2019, un second se trouve à Grand-Rivière). Des monstres d’acier propriété du groupe pétrochimique Total (Quadran), concentrant terres rares et métaux arrachés des profondeurs terrestres avec le sang des esclaves modernes, mais qui peuvent également offrir un spectacle remarquable lorsqu’ils s’en donnent la peine, comme cela s’est produit lundi 20 avril.

Après s’être tranquillement consumée en douceur et sans bruit en plein confinement, la turbine d’une de ces quatre éoliennes qui était couchée au sol depuis plusieurs semaines (ou pas selon les sources) a ainsi fini par exploser après manger. Eh ben, n’aurait-elle pas supporté la vue des militaires en rade au point de renoncer à leur fournir de l’énergie ? Ça se comprendrait. S’agirait-il plutôt d’un de ces petits miracles d’auto-combustion aussi spontanée qu’inexplicable qui viendrait se rajouter à la liste de suicides assistés d’aérogénérateurs industriels comme il s’en produit régulièrement en métropole ? Peut-être. S’agirait-il même d’un phénomène de lucidité inédite entre nuisances technologiques, puisque qu’un incendie s’était déjà déclenché le 19 mars dernier dans cette petite commune du Vauclin, cette fois contre un local technique d’Orange, privant 2000 personnes et entreprises d’internet et de téléphone ? Et pourquoi pas.

Alors que les journaflics du coin s’intéressent aux lois de la gravité bien que la saison des cyclones n’ait pas encore débuté (« Chute d’une éolienne et incendie») ou s’alarment surtout des herbes folles (« Une éolienne en feu provoque un feu de broussailles»), il faudrait être un peu rêveur pour noter que les flammes ayant par deux fois touché des piliers de ce monde à un mois d’intervalle, ont dansé près de ces mêmes pentes où s’étaient réfugiés les derniers indiens Caraïbes qui avaient échappé à l’extermination des colons français bénis par les prêtres.

Qu’on se rassure, nul mysticisme ici, juste un petit fil ténu. Selon la légende, leurs derniers combattants de l’autre côté de l’île se seraient suicidés plutôt que de se rendre, en se jetant d’une falaise portant aujourd’hui le nom de Tombeau des Caraïbes. L’un d’eux aurait alors lancé cette malédiction : « La montagne de Feu me vengera ». Les plus superstitieux y verront certainement une prémonition à l’éruption du volcan de la montagne Pelée qui ravagea l’alors capitale de la Martinique deux cents cinquante ans plus tard. Pour notre part, qui sommes plus terre-à-terre, nous y voyons surtout une promesse qui reste toujours d’actualité : le feu comme la plus belle des vengeances face à l’invasion technologique qui amène domestication, dépossession et ravages dans son sillage. Et ce n’est pas cette éolienne noircie par les flammes au Vauclin qui nous démentira.

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