Liban – Vers une contagion de la révolte?

Ce mardi 29 avril, les émeutes se sont poursuivies pour la deuxième journée consécutive à Tripoli. A l’aube, l’annonce de la mort d’un manifestant, Fawaz Fouad Samman, tué par balles la veille lors d’affrontement avec l’armée, a attisé les feux de la révolte dans plusieurs villes, notamment au sud du pays, comme à Beyrouth et à Saïda. 

A Tripoli, deuxième ville du pays, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées place al-Nour, sous le slogan « Ça va être dévastateur », allusion faite à la nature de la manifestation: des centaines de jeunes ont barricadé les axes routiers, saccagé et incendié une demi-douzaine de banques (notamment celle de la Banque Libano-Française), arraché les pavés des trottoirs pour les lancer sur les militaires et incendié deux véhicules militaires. Ils ont été dispersés à coups de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Les militaires se sont également lancés à la poursuite d’individus ayant vandalisé plusieurs véhicules de l’armée. Les désordres se sont produits juste après les funérailles du jeune père de famille, organisées en début d’après-midi au milieu d’une foule dense venue lui rendre un dernier hommage en dépit de la menace du coronavirus.

Avant que la tension ne monte sur la place al-Nour, des manifestant-e-s avaient jeté des pierres sur la résidence de l’ancien Premier ministre Nagib Mikati à Mina. L’armée et les forces de sécurité, fortement déployées, ont alors gazé en abondance pour disperser les manifestants. Des protestataires ont brisé les façades d’agences bancaires se trouvant à proximité.

« Je veux élever la voix contre la faim, la pauvreté, l’inflation et l’injustice », a lancé un manifestant de 41 ans, Khaled. Ce vendeur de pièces de rechange pour motos dit ne plus pouvoir subvenir aux besoins de ses trois enfants depuis la perte de son emploi, dans un contexte dégradé avec la pandémie.

A l’autre bout du pays, à Saïda (sud), un rassemblement s’est tenu devant le siège de la Banque du Liban (BDL), où un peu plus tard des manifestant-e-s ont lancé des pétards, puis une dizaine de cocktails Molotov en direction du bâtiment, ce qui a provoqué de petits incendies et poussé l’armée à intervenir. Avant cela, le jet de pétards avait provoqué des échauffourées avec les forces de l’ordre faisant des blessés.
Les émeutier-e-s ont détruit les façades de plusieurs agences bancaires dans la ville du sud, notamment celles de Bank Audi et Bankmed. Un soldat de l’armée libanaise a également été blessé par des jets de pierres dans le marché de Saïda.
En début de soirée, des dizaines de jeunes avaient allumé des bougies à même le sol à la mémoire du manifestant décédé à Tripoli. Ils ont scandé des slogans contre la BDL et son gouverneur Riad Salamé, ainsi que contre l’armée. « Pourquoi Fawaz est mort, ce sont les balles de l’armée qui l’ont tué », ont-il crié.

A Beyrouth, des manifestant-e-s se sont également rassemblé-e-s devant le siège de la Banque du Liban avant de marcher dans les rues de Hamra en scandant des slogans contre son directeur. Ils se sont ensuite rendus à Corniche Mazraa, Béchara Khoury, la place des Martyrs, la place Riad el-Solh avant de retourner devant le siège de la BDL contre lequel ils ont lancé des pierres. Les forces de l’ordre se sont déployées sur les lieux.

Enfin, plusieurs routes ont de nouveau été coupées à travers le pays : celles de Kfarzabad et Rachaya, Masnaa dans la Békaa, la route de Khaldé en direction de Naamé dans le Sud, et la route Halba-Kobeyate dans le Nord.

Depuis le début du confinement, la misère frappe de plein fouet la population libanaise. Le pays connaît une hausse de l’inflation sans précédent en quelques semaines (+150%). Le ministre de l’Economie, Raoul Nehmé, a fait état d’une hausse de 55% des prix sans préciser la période correspondante.

[A partir des agences de presse libanaise et française, 28 et 29.04.20]

https://sansattendre.noblogs.org/archives/12940