Turin – ecrit sur l’épidémie en cours

Ces jours, enfermés de force à la maison, semblent une excellente occasion d’essayer de réfléchir et de mettre sur papier quelques considérations sur ce qui se passe, sur les scénarios possibles qui s’ouvriront et vers quoi, en tant que compagnons, il conviendra de tourner notre attention.
Les notes que vous lirez sont des réflexions à chaud sur lesquels nous essaierons de revenir et continuerons de raisonner dans les temps à venir, et donc n’avons aucune prétention à l’exhaustivité.
Une première clarification sur les nombreuses rumeurs qui tendent à minimiser cette épidémie nous semble juste. Nous ne sommes ni médecins ni infirmières mais à notre avis l’absurdité de cette position peut être contestée dans le cadre de la théorie révolutionnaire. Ceux qui visent à changer le présent comme objectif de leur vie devraient être les premiers à savoir que la relation entre le Capital et la Nature, drames et catastrophes surviennent inévitablement qui, malgré le récit dominant, n’ont rien de “naturel”, qui ne sont pas des cygnes noirs mais, selon les périodes, ont une certaine périodicité, comme les crises économiques. Les tremblements de terre dans les zones peuplées, la désertification, la pollution des aquifères, les inondations et les épidémies sont des fils de la même logique. L’épidémie à laquelle nous sommes confrontés, malgré toutes ses spécificités, ne nous semble pas d’une autre nature que cette série de catastrophes produites par le régime capitaliste. Des spécificités qui, bien entendu, sont loin d’être négligeables et qui mériteront d’être approfondies au cours de cet écrit.

Les origines

La maladie s’est développée sur le marché de Wuhan, la capitale du Hubei, l’une des régions les plus peuplées de Chine. Région devenue le haut fourneau du pays: voici le cœur battant des hauts fourneaux et des cimenteries qui a soutenu la croissance industrielle du géant asiatique. La grande quantité de matériaux de construction et la formation d’ingénieurs qualifiés dont la région est le berceau ont soutenu toute la période post-crise de 2008: l’État chinois a en effet lancé au cours de ces années d’impressionnants projets d’infrastructure et de construction.
La couverture sanitaire dans toute la Chine est presque inexistante, un très grand nombre de travailleurs d’autres régions sont en effet illégaux dans celles [les régions] dans lesquelles ils se retrouvent à travailler (en raison du système diabolique hukou ) et vivent donc dans un état semi-clandestin et sans aucune protection. Il est important de souligner en quoi il s’agit d’une situation structurelle et non due à la dureté plus ou moins grande des dirigeants en place. Comme nous l’avons déjà souligné dans d’autres écrits [https://macerie.org/wp-content/uploads/2018/03/def-tuttattorno.pdf ] la fin des politiques keynésiennes a une de ses explications pour la baisse des profits mondiaux, un phénomène accentué par la récession qui a commencé en 2008. Une étude publiée dans un article intéressant du blog de Chuang [ http://chuangcn.org/2020/02/social-contagion/ ou en italien https://pungolorosso.wordpress.com/ 2020/03/12 / social-contagion-class-warfare-micro-biologique-in-china / ] – dont nous recommandons fortement la lecture – souligne comment, si dans la région de Dongguan les entreprises devaient prendre en charge la couverture sanitaire du leur main-d’œuvre, ceux-ci réduiraient leurs profits de moitié et seraient donc contraints de délocaliser la production ailleurs.
La concentration de la population dans des endroits insalubres et surpeuplés et l’impossibilité d’avoir un système de santé décent ont contribué à l’apparition du fameux Covid-19. Diverses études indiquent que le passage de formes virulentes des animaux aux humains sera de plus en plus probable à l’avenir et, ajoutons-nous, de plus en plus meurtrier.

Le choc

La Chine, suivie de l’Italie et de nombreux autres pays, a réagi à cette pandémie en mettant en quarantaine l’ensemble de la population. Les effets et l’impact de ces mesures sur les économies nationales et mondiales font encore débat. Des images satellite impressionnantes des émissions de CO2 ont été prises dans les journaux, avant et après l’arrêt de la plupart des activités en Chine, dont il est possible de d’obtenir “seulement” les donnée pour un mois du géant asiatique qui s’est arrêté complètement presque [ https://www.corriere.it/cronache/20_marzo_02/coronavirus-cina-measures-counter- the- epidemic- will-scale-l- pollution-of-the-air-eceb67ba-5c8a-11ea-9c1d- 20936483b2e0.shtml ] . Il n’est pas clair/certain que cela signifie que l’arrêt de l’économie ai de fait transporté le monde hors des sables mouvants de la récession. Certes, les banques centrales rejoigent ce choc, que beaucoup comparent à l’éclatement de la bulle des prêts hypothécaires à risque, avec un essoufflement. Dix ans de liquidités forcées sur les marchés nationaux et les taux d’intérêt maintenus constamment bas pour maintenir en vie le système financier mourant, laissant peu de marge de manœuvre. Une confirmation est la réaction des marchés, un bruit sourd historique pour Piazza Affari suite aux propos qui auraient dû être rassurants et réconfortants par le nouveau président de la BCE Lagarde, le 12 mars.
Il faut certes faire attention à interpréter les à-coups du monde financier qui sont souvent le résultat de manœuvres spéculatives; Cependant, il ne semble pas hasardeux de prédire que de nombreuses économies nationales seront à genoux après ces mois de quarantaine: de nombreuses entreprises devront peut-être fermer leurs portes et nombre de celles qui survivront devront plutôt faire face à une profonde restructuration à plusieurs niveaux. Tout laisse penser que cette crise sera en fait la cause, et aussi l’occasion, avec le temps nécessaire, d’une restructuration de l’économie vers une nouvelle automatisation, avec tout ce que cela implique en termes d’emploi, de conditions de travail et de concentration du capital.[Https://www.repubblica.it/economia/affari-e-finanza/2020/03/16/news/l_impatto_del_coronavirus_sull_italia_spa_possibile_un_danno_da_641_miliardi-251367463/].

En Italie

Depuis le 10 mars, une sorte de couvre-feu est également appliqué ici en Italie. Tous les magasins sont fermés, seuls les magasins alimentaires, les buralistes, les quincailleries, les usines, les services essentiels (par exemple nettoyage publique, l’élimination des déchets et les transports publics) et pas beaucoup plus.
Le gouvernement Conte, soutenu par l’Europe qui concède beaucoup en termes de déficit toléré, légifère avec frénésie pour essayer de mettre quelques correctifs à cette situation d’arrêt forcée: le plan est d’essayer de rassembler autant de liquidités que possible et de les faire pleuvoir d’en haut, en cascade, sur les entreprises. Le financement spécial, le fonds de prêt extraordinaire et l’amortissement semblent faire partie de la solution. Nous convenons tous que les fonds ne seront pas suffisants. La réalité de la production italienne est parsemée de moyennes et petites entreprises dont la faible rentabilité depuis au moins une décennie et le fort endettement suggèrent, comme nous l’avons dit, que le contrecoup contre la pandémie, en termes de sociétés fermées et d’emplois éliminés, pourrait être extrêmement violent .
Quant aux travailleurs, une série de parachutes sociaux sont en préparation: un chômage spécial de trois mois, l’arrêt des hypothèques et des factures pour les licenciés et la suspension de certaines taxes municipales. Des mesures qui semblent insuffisantes à plusieurs points de vue.
L’environnement de travail italien est largement constitué de contrats dits atypiques: pour les numéros de TVA et pour les pseudo [travailleurs] indépendants, le gouvernement travaille sur un remboursement de seulement cinq cents euros pour trois mois; on ne sait pas ce qui arrivera à ceux qui ont des contrats temporaires ou qui sont complètement au noir.  On parle vaguement d’aides pour les loyers mais aussi ici liées à ceux qui peuvent prouver qu’ils sont restés à la maison en raison de la crise sanitaire. Des milliers de travailleurs sont hors jeu depuis mars, sans voir un sou et avec des dépenses à payer qui deviendront bientôt insoutenables.
Cela mériterai une discussion séparée pour ceux qui sont obligés d’aller travailler malgré l’urgence sanitaire.
Les infirmières et le personnel de santé sont soumis à une forte pression: entre ceux qui sont obligés de travailler avec des horaires exténuants et ceux qui, parce qu’ils étaient initialement employés dans des services fermés en raison d’urgence, ont été mis en congé forcé. Sans oublier qu’en vue du contrôle des dépenses, les sociétés hospitalières et coopératives disposent de peu de réserves de gants et de masques et découragent souvent voire interdisent totalement leur utilisation.
Les travailleurs des usines ou des secteurs stratégiques sont ensuite envoyés au cases pipe sans le minimum de protections nécessaires et de compensation contractuelle. Dans un climat rendu particulièrement morose par l’interdiction de se rassembler, et donc par une grève “active”, il existe cependant de nombreux sites de production où la main-d’œuvre a décidé de croiser les bras [refusé de travailler, ndt], au point de contraindre les syndicats confédéraux à faire pression sur le gouvernement pour avoir un entretien avec les parties concernées. Après cette réunion, la fermeture des usines a été officialisée pour quelques jours afin de permettre la réorganisation des espaces conformément au décret et l’achat de protections individuelles pour les travailleurs.
Le cadre pour l’avenir semble particulièrement sombre, dans un horizon qui va bien au-delà de la contingence du coronavirus . Dans les discours prononcés en permanence par le Premier ministre Conte, il est fait constamment référence à l’unité nationale, à l’Italie qui, ensemble, surmontera ce moment. Rien de plus faux. Il est vrai que le virus affecte tout mais les conséquences, tant sanitaires qu’économiques, seront vécues de manière différente: ceux qui ont accumulé des réserves au cours de ces années pourront se permettre de se débrouiller, ceux qui ne vivront que de leur salaire seront obligés de faire d’énormes sacrifices. Les morts du Covid-19 pourraient avoir une connotation aussi bien plus singulière : la privatisation féroce du secteur de la santé menée depuis plusieurs années a entraîné la perte de nombreuses places en soins intensifs et nous imaginons que ceux qui peuvent se le permettre ont déjà recours à des cliniques privées et une quarantaine plus ou moins dorée, sans oublier toutes les autres maladies qui actuellement ne reçoivent aucun traitement car l’attention est toute dirigée vers le coronavirus , à moins que vous ne puissiez accéder à des installations privées.
L’Etat jouera un jeu fondamental sur le plan idéologique. L’exécutif dirigé par Conte après les premières bévues semble avoir trouvé la boussole de la gouvernementalité et ces mesures de mise en quarantaine extrême à la Chinoise semblent trouver un soutien dans la population. Les mesures économiques, même insuffisantes, seront probablement chaleureusement accueillies par ceux qui pensent avoir un peu plus de répit. Mais ces aides coûteront cher, difficile de ce point de vue de tracer des scénarios précis: si l’Europe veut tout reprendre avec des intérêts et une série de politiques d’austérité féroce et de mémorandum de larmes et de sang, pour ainsi dire, elle tombera sur l’Italie; ou si, d’autre part, cette crise fera plutôt vaciller définitivement l’Europe ou remodeler substantiellement ses contours et ses équilibres.

Paravants et tapis roulants

Si nous tournons maintenant notre regard vers tous ces camarades et compagnons qui ont depuis longtemps décidé de lutter contre l’État et le système capitaliste dans lequel nous vivons, nous ne pouvons que commencer par une dure autocritique:cette crise nous laisse sans préparation.
Non préparés de plein de points de vue, à partir desquels nous commencerons à comprendre comment y remédier, au moins à récupérer le terrain perdu et à comprendre si nous aurons la capacité d’intervenir si le mécontentement généralisé devait se transformer en colère puis en action. Non préparé non seulement à cause de nos limites et de notre incapacité, mais aussi à cause d’un faible conflit social répandu parmi les couches exploitées de la population, qui a certainement influencé les possibilités d’intervention des compagnonnes et compagnons. Difficultés causées également par le travail idéologique mené par l’État dans la décennie de l’après-crise de 2008, par sa capacité à accepter des conditions d’exploitation toujours plus élevées et par les mesures répressives mises en place petit à petit. Des difficultés qui ont créé peu d’opportunités d’affrontement et de confrontation, tout en limitant limiter l’osmose entre révolutionnaires et franges du prolétariat disposé à lutter.
Mais comme cela arrive souvent, chaque crise génère des processus d’accélération, dans les conditions matérielles de la vie ainsi que dans la perception des gens qui nous entourent, de manière à nous faire penser que tout n’est pas perdu … en effet. Et que nous devons retrousser nos manches avant qu’il ne soit trop tard. Première étape et objectif minimum réalisable, sortir de la phase d’urgence (si l’on peut parler de sortie) avec une bonne compréhension du phénomène qui se déroule et des défis auxquels il est confronté.
Même pour nous, dans notre ville spécifique, il n’était pas facile de comprendre immédiatement ce qui se passait. À quel point ce virus est-il dangereux? Comment ce danger est-il lié aux caractéristiques structurelles du système de santé et du système socio-économique qui le sous-tend? Comment va se développer le phénomène qui nous entoure? Quelles mesures l’Etat prendra-t-il?
Nous ne cachons pas qu’au cours des deux premières semaines, nous avons continué les éventements, obligés de revoir quotidiennement nos idées et nos ébauches de propositions, sans trop combiner. La réaction qui s’est produite dans les prisons a perturbé tous les plans, montrant peut-être au plus profond de notre inadéquation à la situation, à la capacité de réagir aux événements et de soutenir ce qui se passait.
Que les effets de l’épidémie soient strictement liés à une vie forcée dans des villes de plus en plus peuplées et à un système de santé consacré de plus en plus à d’autres objectifs plutôt qu’à la prise en charge les tranches exploitées, est incontestable. Que l’épidémie existe vraiment, également. Réaliser un plan de confrontation, des discours et des propositions de lutte qui ne prennent pas en compte le réel danger de contagion est naïf, pour le moins irresponsable. Penser que vous pouvez remettre un dépliant à un monsieur de 70 ans qui vit à côté de nous sans les précautions nécessaires, au risque de l’infecter, n’est pas acceptable. Penser à proposer une assemblée dans le quartier pour discuter de la manière de traiter les problèmes économiques, sans penser aux spécificités du moment, serait tout aussi téméraire.
Il est évidemment aussi du devoir des compagnons de ne pas céder à la paranoïa généralisée et de se consacrer à une analyse attentive et précise des événements, pour être ensuite transmis à ceux qui nous entourent. Une analyse qui a ses difficultés intrinsèques en raison de la complexité du phénomène, qui ne peut certainement pas être assimilé, par exemple, à l’étude des politiques de logement public dans une ville, au niveau de militarisation d’une nation ou aux effets d’un ouvrage majeur nuisible au territoire. Analyse rendue encore plus difficile par le fait que le détenteur des données et informations, ainsi que le promoteur des décisions qui guident les critères (pensez par exemple au critère du nombre de tampons à réaliser et sur qui ) est l’État avec ses institutions de recherche.
Permettez-nous donc une brève digression pour essayer de se focaliser sur le problème. On semble pouvoir dire que dans le débat «du milieu» les lectures et les positions sont écrasées sur deux pôles discursifs. D’une part, une tentative de minimiser, sinon de nier, la gravité de la situation, d’autre part, de s’approprier la raison d’État avec sa rhétorique sur l’urgence à laquelle tout doit être subordonné. Une polarisation qui vient de loin et n’est certainement pas le produit de l’épidémie en cours, même si cela ne fait que la rendre plus évidente. Une polarisation qui affecte une grande partie de l’activité et de la production théoriques révolutionnaires, au moins à cette époque et qui oscille entre 1) la possibilité d’entrevoir et d’essayer de prendre une voie indépendante par rapport au système capitaliste et 2) la nécessité de pour faire face à une série de besoins pour lesquels, jusqu’à l’achèvement d’un processus révolutionnaire, ce système ne peut être ignoré. Un contraste donc entre la nécessité de lutter pour obtenir et déchirer, même cet ordre de choses, ce dont nous avons besoin pour vivre mieux et celui d’essayer de comprendre entre-temps quels chemins d’autonomie sont «constructibles» “Au fur et à mesure que les luttes grandissent et se répandent. Des voies d’autonomie dans lesquelles les aspects matériels et théoriques / imaginatifs doivent s’entremêler et se nourrir mutuellement.
En général, soit nous avons tendance à être écrasés par le poids de la nécessité, en devenant plus réalistes que le roi, et au mieux en invoquant un “retour dans le passé” dans lequel l’ État providence “fonctionnait mieux” , soit nous parlons d’autonomie et inconnu, ne tenant en rien compte de la sphère de la nécessité qui, petit problème, est celle grâce à laquelle on peut vivre. On oublie donc que la condition pour pouvoir vivre dans un monde libre et égal est celle de pouvoir vivre. Une question qui se pose de manière extrêmement claire dans une situation comme celle actuelle où les problèmes ont tendance à émerger nus et crus, sans le verni habituel qui les entoure, du moins dans ce coin du monde. À moins que nous ne nions la gravité actuelle de la santé ou que nous n’émettions l’hypothèse que, fatalement, étant donné les conditions actuelles, il n’y a rien d’autre à faire que d’accepter de mourir du capitalisme – parce qu’il s’agit de ça- nous devrions nous efforcer d’élaborer et de soutenir dans la pratique un discours qui viser à protéger votre propre santé et celle des autres et à prendre en compte les besoins de santé, sans être submergé par l’ état . Nous nous rendons compte que cette déclaration ne semble guère plus qu’un slogan, certainement plus facile à dire qu’à faire ou même juste à raisonner correctement. Mais il n’y a rien de simple dans cet ordre de problèmes, et les difficultés structurelles devant lesquelles nous nous trouvons doivent être explicitées et nous accompagner à chaque étape de nos tentatives comme de nos réflexions. La question est évidemment de n’accepter en aucune façon la raison d’État avec ses logiques d’urgence, utile pour discipliner la population, freiner et préparer à l’avance l’émergence du mécontentement et des conflits, ainsi que d’être une expérience importante vers laquelle les autorités tendrons certainement à l’avenir pour tirer plus de leçons. Il n’est pas nécessaire de préfigurer une situation dystopique, de normalisation totale des mesures de confinement actuelles des demain, pour comprendre leur gravité . D’un autre côté, c’était hier, ou plutôt depuis des décennies, que les États s’emploient à étudier les techniques de contre-insurrection et la gestion militaire des crises de toutes sortes. Par exemple, il est possible que la contrepartie exploite cette situation pour relancer la 5G (en faisant appel et en se légitimant, ne serait-ce que comme imaginaire, à une gestion de l’épidémie coréenne. Https://ilmanifesto.it/alta-diagnostica-e-controllo-sociale -le-modèle-corée du sud-bascule-les-nombres-pour-retourner-les-nombres / ) ou d’appliquer un couvre-feu atténué dans d’autres situations critiques.
Cette logique d’urgence, cependant, répond également à des besoins indéniables pour contenir la contagion et c’est la différence profonde entre la situation actuelle et d’autres situations d’urgence sociale ou de catastrophes liées pour ainsi dire à des phénomènes naturels. Négliger ou minimiser ces données ou faire semblant de les oublier ne renforcera certainement pas notre capacité à critiquer et à essayer de contraster les dispositifs et le processus d’auto-légitimation mené par les autorités. Il serait intéressant, par exemple, de comprendre quelles critiques nous devrions adresser à une stratégie comme celle du Royaume-Uni visant à créer la soi-disant immunité de masse …
La critique et l’opposition au soi-disant état d’urgence doivent alors être au moins complémentaires à un discours et aux luttes qui parviennent à mettre au centre les dégradantes politiques de santé, guidées par la féroce logique du profit, de plus en plus au fil des ans et surtout maintenant, ils font de la possibilité d’être soigné pour ceux qui n’ont pas certaines ressources économiques un luxe extrêmement sélectif. Cela ne signifie certainement pas revendiquer le rôle et la logique de la santé publique comme objectif ultime vers lequel tendre, mais la lutte pour pouvoir vivre librement , nous le répétons, passe par la possibilité de vivre et la restructuration dans le domaine de la santé a été et continue d’être de véritables actes de guerre contre de nombreux exploités. Un échec dans la possibilité de se guérir que dans un monde comme [le monde] capitaliste, structurellement hostile à toute forme d’autonomie, équivaut à de vraies condamnations à mort, même au-delà de Covid-19. S’efforcer d’élargir ces possibilités, parallèlement à la construction d’une connaissance et d’une logique autres que celles de la santé publique, représente un élément fondamental pour une perspective révolutionnaire qui ne veut pas s’opposer idéologiquement à la liberté et à la nécessité de la vie. Comment articuler des propositions concrètes à cet égard est un problème qui va certainement au-delà de ce court essai et, au moins pour le moment, des compétences et de l’expérience de ses auteurs. Nous apprendrons à le faire, si nous apprenons, à le faire et à raisonner de manière critique sur les luttes que nous serons en mesure de construire.
Tenter, dans la mesure du possible, d’analyser correctement le phénomène a des répercussions à la fois éthiques et stratégiques: d’une part, nous ne pouvons pas contribuer à mettre en danger les autres et les éventuels complices face au risque de contagion. Nous, les compagnonnes et compagnons, qui sont déjà peu nombreux et avec des énergies limitées, ne pouvons pas être malades. Nos éventuels complices ne peuvent pas tomber malades et mourir … laissez les riches, les dirigeants et les patrons tomber malades, au moins. D’autre part, nous devons essayer de comprendre comment la situation et les scénarios qui pourraient se produire évolueront pas à pas.
Nous ne pouvons certainement pas nous permettre d’attendre, car malgré le déterminisme le plus approximatif ou même vouloir imaginer une catastrophe certaine et sûre qui se présente à nous, il s’agit de savoir comment essayer de transformer la catastrophe en révolution.

Lutter… [mais] comment

Reprenant le fil de ce qui a manqué, nous ne pouvons manquer de constater une certaine lacune dans notre relation avec les exploité.e.s qui vivent autour de nous. Certaines choses qui devraient être à la base de notre intervention sont déjà difficiles: créer des relations de solidarité avec les personnes les plus touchées par les répercussions sociales et matérielles en contournant certains diktats idiots du gouvernement et la dépendance à l’égard de l’appareil de contrôle;contraster le récit dominant et révéler les répercussions futures qui auront sur la qualité de vie; tenter de partager avec le prolétariat et les migrants prolétariens des outils pour comprendre le phénomène du virus et les mouvements de l’État; aider à comprendre le type de répression mis en place et comment y faire face (pensez à l’application généralisée de l’article 650 du code pénal). Que les amortisseurs [aides d’état, ndt] mis en place seront destinés à ne soutenir que la partie la plus récupérable de la population est certain, mais aussi le récit mis en place jusqu’à présent dénote une certaine sélection face à l’infection elle-même: une grande partie des migrant.e.s exploité.e.s, qui ne savent pas bien la langue italienne, ont de sérieuses difficultés à comprendre quelque chose, même si seulement comprendre comment bien utiliser un masque ou des gants. [sic, ndt]
Là aussi, il est nécessaire de saisir les aperçus qu’une situation de crise entraîne et d’essayer de prendre ce processus d’accélération, d’essayer de rencontrer en peu de temps beaucoup plus de personnes que nos luttes spécifiques n’ont pu le faire ces derniers temps. Un déficit qui ne peut peut-être pas être entièrement comblé. En même temps pour comprendre si et comment rencontrer à nouveau ces personnes avec qui nous avons partagé des morceaux de lutte, ou avec qui nous les partageons toujours. Par exemple, si les luttes dans les CRA n’avaient pas cessé et s’ils n’avaient pas retiré les téléphones portables à l’intérieur de ces cages, cela aurait peut-être été un autre champ de bataille comme les prisons, mais avec plus de possibilités d’interaction.
Si nous voulions nous pencher sur les défis auxquels nous sommes confrontés même en se concentrant sur une analyse temporelle, nous devrions commencer à imaginer ce qu’il faut faire dans la phase sortante de cette urgence sanitaire (si et quand il y en aura), et les conséquences sociales que cela entraînera … avec plus la possibilité de retourner dans la rue. Il n’y aura pas une feuille qui bouge et tout le monde sera content du retour à la normale avec le cri de “RinascItalia”? Y aura-t-il plutôt des glissements de terrain qui canaliseront une colère collective colérique? Une série de conflits va-t-elle commencer dans des secteurs spécifiques de la société (travailleurs de la restauration, agents de santé, chômeurs, personnes atteintes de maladies aggravées par l’urgence du coronavirus , lutte pour les factures, etc.)? Ici aussi, nous partons des lacunes.
Qui plus ou moins, dans les différentes régions de l’Italie, a développé au fil des années des études et des recherches dans les différents domaines qui composent cette société, consacrée à la production et à la reproduction du système capitaliste. Souvent avec l’idée d’extraire une analyse qui guiderait et éclairerait les propositions de lutte et d’action. Pourtant, au moins pour l’écrivain, si l’urgence se termine maintenant et par exemple un entonnoir de visites de santé suspendues à récupérer est créé, avec le risque pour les situations les plus urgentes de devoir se tourner vers le particulier cher, saurions-nous également à quelle entreprise aller casser les bonbons? Indiquer en détail qui sont les responsables de cette condition? Il faudra se doter d’étude et d’observation, mais aussi d’un échange avec les éventuels complices que nous connaîtrons. En revanche, nous sommes nous-mêmes immergés dans la société et subissons l’exploitation qu’elle apporte. Au travail, parmi les voisins de l’immeuble, les amis et les amis étudiants, des proches enfermés dans les zones rouges et avec des postes de soins intensifs épuisés. D’éventuels complices, nous en connaissons peut-être déà.
Certains problèmes immédiats concerneront principalement la santé des personnes et présenteront immédiatement un aspect de classe: qu’adviendra-t-il de toutes les chronicités et pathologies qui, dans cette situation de crise et de manque de traitement, seront entrées en stade critique? Quel avantage le détournement d’une partie des consultations vers les cliniques payantes aura-t-il pour la santé privée? Comment les personnels de santé, contraints depuis longtemps à des conditions contractuelles dégradantes et à des horaires de travail épuisants, dont la sortie de crise sanitaire sera beaucoup plus longue?
Habitués au fil des ans aux coups répressifs, aux difficultés des conflits sociaux, au côté partiel des luttes, nous risquons de perdre l’élan imaginatif et utopique. Un élan qui doit nécessairement pouvoir tirer des mondes idéaux libérés du capitalisme, mais jeter le cœur au-delà de l’obstacle de la résignation. Et voyons grand.
Un regard qui, pour couper le problème avec la hache de guerre, oscille entre la capacité d’attaquer et l’autogestion des ressources dans la reproduction de la vie dans un processus insurrectionnel, ainsi que ses méthodes d’organisation. Parce que si nous soutenons que le monde capitaliste en tant que tel est à la base de la crise des coronavirus , si nous soutenons que la possibilité s’ouvre à de nombreuses personnes d’acquérir cette conscience à travers une lutte difficile, alors la portée est radicale.
Nous nous arrêterons à «remuer» ou à soutenir plus trivialement les manifestations de rue et leur niveau de confrontation, ou en même temps nous nous poserons le problème de savoir comment se ravitailler, comment continuer à se soigner sans reproduire ses modèles à but lucratif, comment utiliser la terre et des espaces agricoles pour produire de la nourriture? Comment pourrons-nous nous défendre des attaques de l’homologue contre un territoire, même partiel, en ébullition? Comment dialoguer avec d’autres territoires loin de nous? D’un autre côté, s’ils coupent l’eau et le courant d’une section en révolte d’une prison, pourquoi ne le feraient-il pas avec tout un quartier?
Ici le vertige s’insinue trop, mieux vaut dormir. Nous espérons seulement que ces arguments partiels pourront guider la confrontation à venir.

Turin, 16 mars 2020