Sabotages contre la normalité numérique

De multiples sabotages des antennes-relais et des câbles Internet ont eu lieu ces dernières semaines, non seulement en France mais partout dans le monde. Il y a probablement des motivations très différentes, parfois puantes (complotisme par exemple). Il y a aussi une conscience partagée de la réduction de la liberté par le développement des nouvelles technologies et des possibilités de freiner le cours normal de l’ordre existant par des sabotages à la portée de chacun et chacune. Il n’en fallait pas moins pour que les services de renseignement commencent à diffuser via les médias le spectre de l’ultragauche et de la mouvance anarchiste, citant au passage quelques sites de compas qui publicisent ces sabotages.

La 5G en cours d’installation est la promesse de l’accélération de la restructuration technologique du capitalisme. Une connexion nouvelle génération, en plus puissant, en plus rapide. L’épidémie de coronavirus a accéléré le processus. Comme le web n’est pas matériel, mais s’appuie bien sur une infrastructure très matérielle (des câbles, des antennes, des bateaux câbliers, des data centers, des usines de production d’énergie, etc.), la 5G a besoin de construire un nouveau réseau d’antennes-relais plus puissantes et plus génératrices d’ondes. En outre, la 5G est conçue pour un nouveau saut qualitatif dans la numérisation du monde et de l’intégralité de la vie. Elle est prévue pour l’installation de l’internet des objets (montres, balances, lits, frigos, etc.), des voitures autonomes, des drones livreurs, de la chirurgie à distance, des usines robotisées et connectées, etc. C’est plus qu’une simple accentuation de ce qui existe déjà. En langage d’ingénieur Recherche et Développement, on parle de « technologie de rupture ».

Concrètement, les machines connectées permettent aux entreprises de connaître les taux de productivité en temps réel de manière individualisée et donc de déterminer en permanence les gestes à réaliser par les salariés. Au passage, on se révolte plus difficilement contre des algorithmes que contre le patron, le cadre ou le contremaître.

L’algorithme supplante l’horloge et le contremaître. Le lit connecté permet lui de connaître votre courbe du sommeil pour optimiser votre récupération. Derrière, il s’agit d’être plus efficace, évidemment. Au passage, vous recevrez des suggestions de somnifères, de séjours à la montagne, etc. Il y a toujours du fric à se faire. Pour donner une idée, gagner quelques nanosecondes pour les flux financiers actuels en améliorant les câbles Internet, c’est gagner quelques milliards d’euros.
Le temps, c’est de l’argent. Le fait que tout soit transparent, de sa consommation alimentaire via les frigos connectés à ses déplacements via les cartes à puce de transport, en passant par sa consommation électrique via les compteurs Linky ou sa production de déchets relevée par des poubelles « intelligentes », va surtout permettre d’anticiper les comportements afin de maximiser l’administration du cheptel humain.

Drones, objets connectés, e-commerce, flash codes, caméras intelligentes sont déjà partout. A Saint-Étienne, le fabricant d’armes Serenicity sous l’égide de la municipalité développe un projet d’implantation de capteurs sonores dans les rues afin de repérer les bruits suspects : klaxons, bris de verre, bombes de peinture aérosols, etc. L’objectif est d’aider à une intervention plus rapide de la police. Les capteurs envoient ainsi un signal aux forces de l’ordre. Les premières phases du projet prévoyaient l’utilisation de drones qui auraient décollé automatiquement suite à la captation du son suspect, mais ce recours a finalement été abandonné. Le projet est en partie financé par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine dans le cadre du « Programme d’investissement d’avenir ville et territoires durables ». De quoi faire durer leur monde de merde, en somme. En mai 2019, la réalisation du projet a été repoussée en attente d’un avis de la CNIL. Loin de nous paralyser, cette surveillance peut aussi renforcer notre détermination à agir pour peu qu’on fasse preuve d’un peu d’ingéniosité.

Pas moins de 20 sabotages coordonnés ont eu lieu en région parisienne le 5 mai sur le réseau à fibre optique, faisant cesser le télétravail pour nombre de salariés, freinant les communications de plusieurs commissariats et faisant cesser l’activité de plusieurs entreprises, comme le site de poker en ligne Winamax. Leur système est partout, diffus. Cela en fait quelque chose de vulnérable : des armoires internet à chaque coin de rue, des câbles dans chaque égout, des antennes-relais sur chaque promontoire.

Il y aura toujours quelques citoyens et citoyennes pour promouvoir un alternumérisme et condamner ce genre de sabotages. Mais non, la technique n’est pas neutre et ne dépend pas de l’usage qu’on en fait !
Elle fabrique son monde auquel il faut s’adapter, à l’image des ouvriers et ouvrières captés par le rythme de la machine. Elle fait aussi système dans lequel progrès et catastrophe sont les deux faces de la même médaille. La technique en elle-même contient des potentialités qui seront inévitablement exploitées. Le couteau peut aussi bien servir à couper le pain qu’à planter son adversaire. Le train va avec les déraillements, l’avion avec les crashs, le nucléaire avec la bombe, le numérique avec la surveillance, etc. La question, telle que les Luddites l’avaient perçu, devient alors quelle communauté voulons-nous et à partir de là s’opposer à toute technologie préjudiciable à celle-ci. Il y aura donc toujours des personnes pour tenter de briser la normalité, y compris quand elle prend les allures parfois ludiques de la technologie.

La révolte, c’est la vie… y compris contre le gouvernement de la science.

[Reçu par mail, 12 mai 2020]

https://sansattendre.noblogs.org/archives/13340#more-13340

Traduction d’un article du numéro 9 de “aqui y ahora”

La pandémie de la répression et l’état d’alerte

Pour l’immense majorité d’entre nous, c’est notre première pandémie. Nous sommes novices en matière de quarantaines et en état d’alerte et ce nouveau scenario, qui a avancé à des rythmes vertigineux, a mis en place de nouvelles mesures pratiquement au jour le jour, avec la justification qu’un virus serait ni plus ni moins qu’en train d’éradiquer l’humanité.

État d’alerte

L’état d’alerte est déclaré par le gouvernement par le biais d’un décret royal adopté par le Conseil des Ministres avec consultation du Parlement. Cette situation peut se produire en cas de catastrophes, tremblements de terre, inondations, accidents de grande ampleur, incendies de forêts ou urbains, crises sanitaires, paralysie des services publics essentiels ou de pénurie en produits de première nécessité.

Dans ce pays il y avait eu comme précédent la grève des contrôleurs aériens en 2010, où l’état d’alerte avait été déclaré pour la première fois en 35 ans, et où l’armée avait pris les manettes du service, le trafic aérien se voyant paralysé par la grève, les travailleurs étant obligés de regagner leurs postes de travail avec des peines de prison pour délit de rébellion.

Aujourd’hui, nous retrouvons à nouveau l’application de l’état d’alerte, mais avec des conséquences globales et des répercussions pour la population toute entière. À peine avions-nous le temps d’assimiler une nouvelle mesure du gouvernement, qu’ils décidaient de communiquer la suivante, mais en même temps il n’a pas été difficile de relier ces interdictions avec leur conséquence inévitable : le fait que nos libertés élémentaires allaient être considérablement réduites. Et nous ne nous trompions pas puisque beaucoup de secteurs différents de la société indiquaient déjà que l’utilisation de la panique sociale, l’isolement et la punition pour quiconque ne s’y soumettait pas, entraîneraient d’innombrables conséquences sociales, personnelles, physiques et mentales.

L’armée dans la rue

Est-ce qu’on lutte contre un virus avec les militaires dans les rues? Combat-on une maladie avec des armes, des tanks, des jeeps, des hélicoptères, des camions et tout l’arsenal militaire? Quel sens a la présence des militaires dans une situation telle que celle que nous sommes en train de vivre?

Comme nous l’avons déjà mentionné, si un service public essentiel se met en grève et touche l’ensemble de la population, l’armée peut parfois faire office de briseuse de grève et prendre la main. En l’occurrence, la situation n’a rien à voir, puisque les services essentiels sont précisément ceux qui ont continué à fonctionner, tandis que nous nous sommes passé de la quasi totalité de la production et des autres biens de consommation de ce pays (d’ailleurs nous nous sommes rendu compte que presque tout ce que nous produisons et consommons est inutile). Ainsi, dans un contexte comme celui-ci, qui ne justifie en rien la présence militaire pour prendre les rênes de quoi que ce soit, nous viennent en tête des informations qui collent parfaitement. Les États-Unis ont envoyé en Europe 20 000 militaires et prévoient d’en envoyer 10 000 autres dans le cadre d’une opération appelée “Europe Defender 20” visant à établir les stratégies à employer aux États-Unis et en Europe en cas de menaces pouvant mener à une hypothétique guerre, à des révoltes, des insurrections, etc. De la même manière, dans le sud de l’Italie 7000 soldats ont été déployés afin de “contenir et de repousser les possibles révoltes qui pourraient avoir lieu à cause de la crise économique”, et en Espagne s’annoncent déjà différentes mobilisations sociales, grèves, etc. (certaines se sont déjà produites depuis le début de cette pandémie). Des politiques et des “experts” de tout poil préviennent déjà qu’il est plus que possible que s’approche un scenario d’affrontements de rue et cette fois les militaires pourraient bien être chargés de nous contenir, en collaboration avec la police.

État policier et militaire

Si nous devons retenir une chose de ces deux mois de confinement, c’est l’état policier auquel nous avons été soumis au quotidien. Il faut dire que “ce qui est gravé en lettres de sang rentre” et en terme de punition et d’autorité exacerbées, des normes de comportement et de confinement que nous n’avions jamais vécues nous ont été imposées.

La présence policière sous forme de sanctions et d’arrestations se solde par ces chiffres (pour le moment): plus de 740 000 amendes et plus de 5500 arrestations et ce nombre se rapproche du total des sanctions imposées entre 2015 et 2018 du fait de la ley mordaza, s’élevant à 765 416 selon le Portail Statistique de Criminalité du ministère de l’Intérieur.

La Communauté de Madrid a demandé à plusieurs reprises le déploiement des militaires dans le bidonville de Cañada Real pour faire respecter le confinement, tout comme il y a quelques semaine l’armée de terre a parfois joué les flics avec des tanks dans un quartier de Malaga dans le même but, pour ne citer que deux exemples. Ces deux quartiers sont considérés comme “conflictuels” selon la cataloguisation normative habituelle, nous préférons dire qu’ils se caractérisent par un fort indice de pauvreté, de marginalité et de manque de recours de toute sorte, y compris pour suivre le confinement imposé de la manière obligatoire.

La technologie: une grande alliée de la répression

Le gouvernement a lancé “DaraCovid-19”, un plan pour traquer les mouvements de la population au travers d’une application à télécharger gratuitement sur les téléphones portables. L’excuse est que les données ne seront utilisées que pendant l’urgence sanitaire, qu’elles seront effacées par la suite et qu’elles resteront anonymes durant tout le processus. L’intention est de tracer une carte territoriale sur laquelle on pourrait dessiner des zones différenciées avec leurs modèles comportementaux respectifs en lien avec la quarantaine pour savoir quels quartiers ou quelles zones des villes ont des “comportements type” non désirés, et où l’on pourrait par conséquent appliquer des mesures exceptionnelles. Ce plan n’a pas de visée sanitaire : ils prétendent connaître les mouvements de population par tranche horaires et selon les zones pour pouvoir prévoir celles qui seront plus “compliquées” en cas d’endurcissement des mesures ou si les protestions sociales commençaient à avoir lieu à un moment ou à un autre.

En parallèle et un peu après est apparu “Covid Monitor”, une app développée par Minsait, la filiale de technologies d’information d’ Indra, qui permet à l’utilisateur de connaître à tout moment son niveau d’exposition au virus selon le lieu où il se trouve, et en même temps fournit des informations aux autorités sanitaires sur les comportements individuels des citoyens afin de “combattre la pandémie”. L’application permettra la géolocalisation de l’utilisateur pour vérifier qu’il se trouve dans la région autonome dans laquelle il déclare être, parmi des dizaines d’autres fonctions permettant de connaître l’utilisateur, de manière non anonyme et d’établir ainsi un dossier complet avec toute sorte d’informations, de modèles de conduite, habitudes, etc.

Le Règlement Européen de Protection des Données soutient et donne son feu vert à toutes ces mesures qui seraient dues à une “situation exceptionnelle” et dans la mesure où elles visent à “garantir les intérêts vitaux des personnes affectées et de tiers”. De fait, le règlement autorise ce traitement des données “à des fins humanitaires, incluant les épidémies ou des situations d’urgence en cas de catastrophes naturelles ou d’origine humaine”.

Nous faisons aussi référence aux drones, aux codes QR qui nous diront où et comment nous pouvons accéder à certaines zones de la ville, aux puces, aux systèmes de reconnaissance faciale, etc. Il nous reste encore beaucoup de nouvelles mesures à découvrir qui feront partie de la “nouvelle normalité”, on nous en avise déjà, et dont la quasi totalité passent par des réalisations technologiques plus sophistiquées et perfectionnées pour le contrôle des mouvements de population et ainsi la mise en place d’une d’une répression plus technologique et efficace.

La peur comme justification pour réprimer

“Soyez tranquilles, tout va bien se passer, ne craignez rien, mais nous allons tous mourir”. C’est pratiquement le message qu’on nous a transmis pendant tout ce temps. Intentions faussement rassurantes, messages alarmants, comptage des morts, état policier, délation et punition pour celles et ceux qui ne respectent pas le confinement, aucune information réelle, sensationnalisme… Mais tout cela fait partie d’une campagne de panique sociale ayant pour objectif de générer l’auto-contrôle, l’auto-isolement et la délation sous prétexte de la contagion, des morts, de l’expansion de la pandémie et de la responsabilité personnelle comme presque unique manière d’arrêter le virus; responsabilité personnelle couverte de désinformation et de peur comme façon de faire de la politique. Quelle meilleure manière de contrôler les gens que de leur faire sentir que tout mouvement en dehors du confinement porte directement atteinte à leur santé et à celle de leurs être chers. Partant de là, le contrôle social et la répression de soi-même coulent de source.

Davantage d’autoritarisme

Cette situation met en évidence une réalité posée de manière beaucoup plus immédiate que nous ne le pensions. Plus ou moins tout le monde était conscient du fait que la technologie avançait à pas de géant, qu’elle était faite pour durer et pour se substituer à nous dans une bonne partie de nos espaces d’action. Nous savions que les limitations dans nos marges de liberté et d’action que nous vivions ces dernières années continueraient à augmenter à cause d’une possible nouvelle crise immobilière. Nous savions que nous verrions toujours plus de flics dans les rues, plus de punition, que des délits qui n’étaient auparavant pas punissables le deviendraient, plus d’hostilité et d’austérité, plus de condamnations. Nous savions que l’appauvrissement de la population, y compris dans certains secteurs jusqu’alors plus éloignés de cette situation, pourrait devenir réalité et nous savions que, d’une manière ou d’une autre, ces conséquences, comme beaucoup d’autres encore, du capitalisme retomberaient toujours sur les mêmes. Ce qui n’était pas si clair pour nous, c’est que cela irait si vite, du jour au lendemain, parce que dans notre mentalité étapiste, nous pensions que tous ces changements se produiraient progressivement. Un virus est venu raser l’économie, en finir avec les personnes plus improductives et qui coûtent trop cher, réajuster une fois de plus le capitalisme, implanter des conditions de travail plus esclavagistes que les précédentes, nous expulser de nouveau de nos maisons, transformer les villes en espaces encore plus hostiles, interdire encore plus de choses en lien avec la liberté, le mouvement, l’expression, le dissensus politique. Endurcissant encore plus les lois et les appliquant contre celles et ceux qui se révoltent, faisant table rase de nombre de conquêtes sociales obtenues par les grèves, les attaques, les sabotages, l’auto-organisation, l’action directe, avec des personnes emprisonnées et assassinées.

Il y a une tendance claire à rendre les systèmes dans lesquels nous vivons plus autoritaires et proches d’attitudes fascistes, plus censeurs, restrictifs et répressifs.

Mais tout n’est pas perdu, comme on tente de nous le faire croire dans certains secteurs du pouvoir. La différence entre nous et ceux qui ne voient que la fin du monde, c’est que que pour notre part nous tirons comme conclusion de cette situation de nouveaux scénarios de lutte. Les conspirationnistes s’allient avec le pouvoir pour démobiliser.

Ils ne vont pas nous la faire à l’envers. Des temps difficiles arrivent, mais aussi des luttes et des résistances. Nous nous reverrons dans les rues.

(Nº9) La pandemia de la represión y el estado de alarma

A propos d’un spectacle qui ne devrait pas en être un

Le premier mai, une équipe de tournage de la ZDF, composée de 7 personnes dont trois vigiles, est attaquée par quinze à vingt-cinq personnes masquées après une manifestation dans l’arrondissement de Mitte à Berlin. Six des personnes agressées ont dû être directement hospitalisées. Les assaillant.e.s avaient disparu lorsque les flics sont arrivés sur les lieux. Jusqu’ici tout va bien. Mais un peu plus tard, six suspects sont arrêtés à proximité puis relâchés sans suite. On suppose désormais qu’au moins deux d’entre eux sont des personnes issues du « spectre de gauche ».

C’est assez drôle de voir à quel point un incident de ce type provoque des troubles et à quel point il se transforme en un spectacle largement discuté : des journalistes démocrates* pètent les plombs parce que, malgré et de par leur concurrence respectueuse entre confrères, ils semblent se sentir attaqué.e.s personnellement.

Plusieurs gauchistes (radicaux) s’indignent d’une telle violence envers des représentant.e.s de la presse et, face à cela, expriment leur solidarité avec les victimes sur twitter, facebook, etc. Des néonazis se réjouissent qu’il y ait de l’opposition à ce qu’ils considèrent comme étant la machine médiatique gauchiste, tout en étant pour l’instant contents que les soupçons ne se dirigent par sur eux, comme c’était le cas au début. Les politicien.ne.s réaffirment leur attachement au droit fondamental de la liberté de la presse et en même temps réclament une intervention répressive plus dure de la part de leur État de droit. Beaucoup d’entre eux, en condamnant l’acte, cherchent une motivation ou une explication pour laquelle les gauchistes auraient, semble-t-il, agi de la sorte.

Je ne suis pas surpris que des personnes se donnent rendez-vous pour montrer aux médias dominants ce qu’elles pensent d’eux. Indépendamment du fait de savoir qui sont les auteur.e.s ou quelle est leur motivation, j’aimerais malgré tout faire observer ceci : c’est une bonne chose que la presse* s’en soit mangée une en pleine tronche.

Comme ce trou du cul de Seehofer** l’a logiquement dit au sujet de l’incident, « la liberté de la presse est […] un pilier [de la] démocratie. » Un pilier qu’il s’agit de détruire absolument si nous voulons nous libérer de la domination de la démocratie. A mon avis, cela est très souvent sous-estimé par les soi-disant gauchistes radicaux mais également par certains anarchistes. Je ne me débarrasse pas d’un État en en prenant le contrôle, et encore moins en défendant l’une de ses institutions. La presse est inéluctablement liée aux structures de pouvoir d’un État. J’aimerais ici ne mentionner qu’un seul aspect structurellement inhérent à cette dernière et également à la démocratie actuelle : la représentation.

On tente, par un regard plein d’idéologie sur la réalité, sur la vie réelle, d’en dégager des aspects et de les exhiber de manière représentative aux masses. Que ce soit dans la presse quotidienne ou dans la bouche d’un porte-parole du gouvernement. Cela conduit inévitablement à produire une vision des choses décalée, voire même privée de sens. Je n’ai pas besoin d’expliquer davantage que la démocratie actuelle, avec ses élections et ses politicien.ne.s, ne serait pas possible sans représentation.

La liberté de la presse n’est pas un bien en soi qui mériterait d’être protégé – contre qui que ce soit – mais un appareil institutionnel de la domination formelle sur l’individu. Cela pourrait être dû au fait qu’il s’agirait d’une prétendue liberté d’écrire, de faire des reportages et de publier. Même si en théorie on pourrait dire beaucoup de choses, presque tout ce qui est dit rentre dans le cadre d’un spectre politico-idéologique, à savoir celui de la sphère capitalisto-démocratique. La presse n’est libre que dans les limites de leur consensus structuré selon l’État de droit et s’y place délibérément. Quelle serait donc cette liberté qui s’en tiendrait à de telles frontières imaginaires ? Dans « In der Tat » n°7 [1], il est souligné que la tradition de la liberté de la presse est un fléau fondamental de la civilisation qui, « depuis l’époque du despotisme éclairé cherche à mettre la population aux normes de son mode de vie ». Je ne peux qu’être résolument hostile à une presse qui soutient idéologiquement l’existence de n’importe quel État, qui coopère avec ses laquais, les politicien.ne.s, toutes sortes d’agent.e.s et d’acteur.e.s de l’économie et qui forme avec eux un réseau de domination de vie standardisée pour tous les individus. De tels coups contre l’ordre établi resteront nécessaires, tant qu’ils seront transformés en spectacle provoquant les jacasseries de Seehofer comme celles du voisin. C’est pour cette raison que j’approuve chaque attaque contre les porcs de la presse.


NdA :
[1] Référence à l’article intitulé „Don’t be the media, hate the media!“, publié dans la revue anarchiste « In der Tat » n°7.

NdT :
* Dans ce texte, l’adjectif « bürgerlich » est employé à plusieurs reprises, notamment pour qualifier la presse ou le pouvoir, la domination. Il est difficilement traduisible en français. Cet adjectif signifie à la fois « bourgeois », « civil », « civique » mais  il est ici clairement utilisé pour parler des médias de masse (presse, radio, tv) liés aux intérêts du pouvoir, au service de l’ordre en place et du citoyennisme.
** Horst Seehofer, politicien du parti démocrate-chrétien bavarois (CSU), ministre de l’Intérieur (et des Travaux publics et de la Patrie) du gouvernement allemand de Merkel formé le 14 mars 2018.

[Traduit de l’allemand de Zündlumpen n°64, feuille anarchiste hebdomadaire]

https://sansattendre.noblogs.org/archives/13238

Sabotage du réseau Internet dans le Val-de-Marne : « Du jamais-vu en vingt ans »

[En plus d’Orange, touchée en neuf points par ces sabotages, les autres opérateurs de fibre optique ont comptabilisé une vingtaine de coupures coordonnées dans toute la zone (Valenton, Fontenay, Créteil, Ivry, Vitry). Il y en a par exemple eu trois contre le câble DC2/DC3 sud de Scaleway (Iliad) ayant impacté deux de ses data centers. Des coupes de câbles (notamment de fibre noire réservée aux grosses entreprises) qui se trouvaient dans les chambres souterraines ont aussi touché d’autres gros opérateurs de fibre optique ou de datas centers du coin comme Zayo, Celeste, Jaguar, Octopuce, Sipartech, Level3...]

Sabotage du réseau Internet dans le Val-de-Marne : «Du jamais-vu en vingt ans»
Le Parisien, 6 mai 2020

Environ 20 000 personnes étaient encore privées mercredi de connexion, Orange prévoyant un retour à la normale pour lundi. Une enquête a été ouverte. Elles étaient encore environ 20 000 mercredi 6 mai à attendre le 11 mai sans doute encore plus que les autres. Toutes les personnes privées de leur connexion à Internet ou au réseau mobile d’Orange en raison de la gigantesque coupure survenue la veille en Ile-de-France devraient en retrouver l’accès lundi dans la matinée, jour du début du déconfinement. En raison de la panne, beaucoup n’étaient plus en mesure de télétravailler.

Une enquête menée par le SDPJ du Val-de-Marne a démarré pour déterminer l’origine de ce « sabotage intentionnel à grande échelle », « du jamais-vu en 20 ans », d’après un patron d’une importante entreprise Internet qui opère des centres de données dans la zone. Une source policière évoque pour l’heure un préjudice estimé à un million d’euros. Le parquet de Créteil, contacté par le Parisien, n’a pas répondu à nos sollicitations.

Ce sabotage qui a affecté plus de 50 000 clients mardi ne serait l’acte que « d’une seule personne équipée d’une disqueuse », avance de son côté la direction de la communication d’Orange Ile-de-France, qui précise n’avoir constaté « aucun vol ». Le but « est bien », d’après l’entreprise, « de couper le réseau ». Ces coupures interviennent dans un contexte de sabotages à répétition sur l’ensemble du territoire depuis un mois. Avec toujours les mêmes cibles : les outils de communication. « Plus d’une vingtaine » d’actes de sabotages ou destructions symboliques ont ainsi été recensés en France, selon une note confidentielle du Service central du renseignement territorial (SCRT) datée du 23 avril, comme nous le révélions lundi. Avec, pensent les agents, l’ultragauche à la manœuvre.

Contacté, le Parquet national antiterroriste (Pnat) indique être informé des faits et rester « très attentif à ce phénomène de sabotage ». Des spécialistes de l’antiterrorisme estiment que ce sont des faits graves et préjudiciables, mais que la question doit être posée de savoir s’il y a un trouble à l’ordre public par l’intimidation et la terreur, qui est le propre du terrorisme.

Mercredi, Orange a déposé une nouvelle plainte suite à la « suspicion d’un nouvel acte de vandalisme sur un autre poste à Vitry ». D’après nos informations, les faits ont eu lieu mardi en deux temps : avenue Danielle-Casanova à Ivry-sur-Seine, où des câbles souterrains ont été coupés dans la matinée. Même procédé l’après-midi dans la zone industrielle de Vitry-sur-Seine, où des techniciens ont également constaté les dégâts.

« Il y a quatre lieux de vandalisme répertoriés pour l’instant », comptabilise-t-on à la direction de la communication d’Orange Ile-de-France, qui précise que ses équipes « se relaient nuit et jour 24 heures sur 24 » pour rétablir le réseau. Deux à Ivry à 500 mètres d’intervalle et deux à Vitry à deux kilomètres d’intervalle. Pour le premier point, 4000 lignes ont été touchées avec un rétablissement progressif entamé mercredi après-midi. Le second lieu ne devrait pas être « important en termes d’impact clients », précise-t-on chez Orange. « Le confinement rend la réparation plus longue et plus difficile, il s’agit de petits locaux où l’on ne peut pas se trouver à plusieurs techniciens », affirme un cadre important chez Orange.

Plusieurs commissariats et hôpitaux ont également été touchés comme le centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges (CHIV) qui est « toutefois équipé d’un relais de secours », note-t-on chez Orange, précisant que les hôpitaux « sont prioritaires pour le rétablissement du réseau ». « Notre direction du système d’information a immédiatement réagi pour rétablir un lien réseau, notamment en passant par le réseau du centre hospitalier intercommunal de Créteil », ajoute-t-on à la communication du CHIV.

Les pertes de connexions à Internet ou au réseau mobile d’Orange ne sont-elles que la partie émergée d’un gigantesque iceberg ? Plusieurs entreprises dépendantes de datacenters situés près de Vitry, comme le site de poker et de paris Winamax, ont connu une interruption de service temporaire mardi. Mais alors que certaines ont redémarré, d’autres restaient pour l’heure paralysées car la coupure a aussi frappé d’autres fournisseurs d’accès à Internet qu’Orange qui utilisent ce réseau haut débit.

« Ces individus ont forcé les plaques de rue qui protègent les réseaux souterrains de fibres optiques. Ils ont ensuite coupé les gros câbles et pris le temps de tout recouper en de plus petits morceaux pour retarder les réparations qui pourraient prendre des semaines », assure ce patron d’une importante entreprise du numérique.

L’acte de vandalisme opéré équivaut, dit-il, au fait de s’en prendre à un « réseau de lignes à haute tension », car les auteurs ont, toujours d’après lui, « touché le réseau névralgique du réseau Internet français, où sont aussi situés des nœuds internationaux de communication ».

Il évoque des coupures « méthodiques et organisées sur une vingtaine de points dans un rayon de 5 km dans le Val-de-Marne », quand Orange n’évoque à ce stade que quatre points de vandalisme, un chiffre confirmé par une source proche de l’enquête. Pour ce professionnel du secteur, la piste d’un « groupe très organisé » est crédible, car la localisation de ces points de passage des câbles est « confidentielle ». Sans compter que le fait de couper des fibres optiques en verre protégées par des gainages nécessite d’être bien équipé.

De soin côté, un haut fonctionnaire spécialiste de ces questions affirme : «Aucun élément ne relie procéduralement à l’ultragauche, mais ce qui frappe est le caractère structuré et planifié de l’action qui ne doit rien au hasard. C’est une première depuis longtemps, même s’il ne faut rien exclure

La réparation pourrait prendre « énormément de temps », poursuit une source proche de l’enquête. Parce que les câbles sélectionnés constituent des « points névralgiques », ce que les auteurs qui « cherchaient à nuire le plus possible » ne pouvaient ignorer, explique le même haut cadre chez Orange.

Sabotage du réseau Internet dans le Val-de-Marne : « Du jamais-vu en vingt ans »

Le traçage des potentiels pestiférés s’affine encore

Après avoir détaillé dans un premier temps le traçage humain par les flics en blouses blanches des Brigades Sanitaires, l’État est en train d’organiser son pendant numérique. Pour rappel, le traçage de masse à l’envers devrait définir les cas-contacts comme toute personne s’étant trouvée pendant 15 minutes à moins de deux mètres de distance d’un cas-positif dans les dernières 48 heures. Quelques mesures sont déjà en cours de développement.

Fichier passagers. Afin de faciliter les mises en isolement (des testés positifs) et en quarantaine (des testés négatifs) contraintes de toute personne arrivant sur le territoire dominé par l’État français, le fichage des passagers a été étendu. Il existait bien sûr déjà de telles banques de données inter-étatiques notamment pour les vols internationaux, alors pourquoi se priver de les étendre à n’importe quel mode de transport, de les communiquer à chaque préfecture et d’en faire un outil de contrôle et de surveillance pour que personne n’échappe à l’enfermement forcé ? Lors du vote de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire au Sénat le 5 mai, il a ainsi été décrété que « les entreprises de transport ferroviaire, maritime ou aérien communiquent au représentant de l’État dans le département qui en fait la demande les données de réservation concernant les déplacements».
Pouvoir recouper les fichiers de tests au covid-19 (nommés Sydep et Contact Covid) avec ceux des passagers, en voilà une idée, qui nous fait un peu mieux comprendre pourquoi l’État insiste tant à vouloir instaurer le principe de la réservation obligatoire sur l’ensemble des trains jusqu’à l’intérieur des frontières (Intercités et TER compris).
Précisons en complément sur la question des transports publics comme frontière intérieure permanente (ce qui était déjà le cas pour les migrants ou les mauvais payeurs par exemple), que les contrôleurs risquent d’être habilités à vérifier en plus du billet soit qu’on dispose d’une attestation employeur pour les prendre (Ile-de-France), vu que des horaires seront réservés aux seuls esclaves salariés, soit d’un justificatif de domicile pour la question des 100 km à ne pas dépasser. En plus du filtrage à l’entrée des gares et stations de métro, bien entendu.

L’appli StopCovid. Oublions un instant qu’elle risque encore de changer de nom et tous les débats techniques inutiles sur le système choisi, qui n’intéressent que les partisans de laisses plus courtes ou plus longues, en acier renforcé et centralisé plutôt qu’en lianes tressées et décentralisées. Le sous-fifre officiel chargé du numérique au sein du gouvernement, a annoncé sur BFM le 5 mai que cette appli d’auto-traçage pour smartphones entrait en phase de test en version beta, et serait disponible pour le 2 juin. Pour rappel, si quelqu’un avait l’envie de leur exprimer ses sentiments les moins distingués, l’équipe-projet StopCovid qui travaille pour l’État français sur l’application mobile de contact tracing est composée de : Inria (Institut national de recherche en information et en automatique), ANSSI, Capgemini, Dassault Systèmes, Inserm, Lunabee Studio, Orange, Santé Publique France et Withings.

Bracelets électroniques. Alors que le bracelet électronique de l’entreprise Rombit déjà testé sur les travailleurs du port d’Anvers semble promis à un bel avenir ici aussi, notamment dans les secteurs du BTP, de la logistique et de la pétrochimie qui sont en négociations avancées, le même sous-fifre chargé du numérique vient de l’évoquer pour les personnes âgées et tous les réfractaires. Il l’a mis noir sur blanc dans un article du 3 mai publié dans un magazine online pour geeks (Medium, tout un programme) : « L’équipe projet intègre depuis le début des spécialistes de l’accessibilité (personnes en situation de handicap ou peu habituées aux outils numériques). Pour ceux ne possédant pas de smartphone, une partie de l’équipe est dédié à essayer de trouver une autre solution — par exemple, un boitier ou un bracelet qui permettraient de se passer des téléphones. » Quelqu’un est-il encore étonné que le bracelet auparavant réservé aux prisonniers soit en train de s’étendre à d’autres catégories d’exclus qui auraient refusé pour des raisons diverses de s’équiper volontairement de laisses et autres mouchards électroniques nommés smartphones ? Il y a de moins en moins de doutes que nous survivons au sein d’une gigantesque prison à ciel ouvert.

Patrons innovants. Pour permettre à ses employés de revenir au bureau en toute confiance, le Directeur de la transformation digitale et IT (Serge Magdeleine) du groupe Crédit Agricole, a lancé l’application « Copass». Elle classe les employés selon leur niveau de risque de contamination, pour pouvoir personnaliser les mesures de sécurité. Pour les certifier avec un badge selon leur niveau de “sensibilité” face à la maladie, l’employé doit répondre à un questionnaire sur son âge, type d’hébergement etc. des données de santé (pathologies particulières …) et d’autres comme leur type de transport pour aller au travail. L’application génère en analysant les informations un profil de risque avec un code couleur, consultable à travers un QR code. L’employeur connaîtra uniquement l’identité et la couleur de ses collaborateurs. Selon le code couleur l’employé sera prié de rester en télétravail, de retourner sur site en horaire alterné, dans une unité réduite, encouragé à faire un test de dépistage… etc.  Elle sera tout d’abord déployées dans cinq sociétés pilotes, pour observer comment ces entreprises réussiront à engager un dialogue social avec les représentants du personnel et modifier le règlement intérieur de l’entreprise, avant, selon ses créateurs, d’envisager qu’elle soit « rendue obligatoire à l’ensemble des salariés. »

[Synthèse établie à partir de la presse quotidienne de ces derniers jours]

Le traçage des potentiels pestiférés s’affine encore

Le bel art du sabotage

Entre les idiots de la toile qui ne voient le capitalisme et l’État que sous forme de grandes figures médiatiques ou d’intérêts obscurs qui dirigeraient le monde, et les imbéciles heureux du mouvement rrrévolutionnaire incapables de saisir qu’un rapport social s’incarne aussi dans des hommes et des structures de la domination au coin de la rue, on assiste à un véritable concours de brassage de vent. Les premiers s’inventent de grands vilains expiatoires, si possible les plus éloignés et caricaturaux possibles, quand les seconds conscientisent sur les besoins primaires ou documentent les moindres recoins complexes de la misère et de l’oppression du moment.

Pas étonnant que beaucoup d’entre eux n’aient alors à offrir qu’un silence gêné face à la multiplication d’attaques qui viennent frapper des structures du pouvoir en plein confinement, notamment des télécommunications. Les uns parce que ces attaques tapent forcément à côté du club de tireurs de ficelles qui n’existe que dans leur tête, les autres parce qu’elles ne détruisent pas collectivement des abstractions. Vu que leurs auteurs sont même souvent assez fourbes pour ne laisser aucune indication à personne, cela devient vite le comble de l’incompréhension pour toute grille de lecture trop limitante. Quoi, des individus se permettent de saboter des structures de l’État et du capital hors d’un mouvement social et pour leurs propres raisons, sans rendre de comptes à personne ni transmettre d’autre signe que des tas de câbles brûlés ou coupés ! Quoi, des individus oseraient penser et agir par eux-mêmes aux quatre coins du territoire sans respecter ni le confinement du pouvoir ni étaler leur pathos morbide devant l’horreur du monde ? Serait-ce donc ça l’autisme des insurgés, l’absence de revendication adressée à quiconque (à l’État comme au mouvement), mais dont les actes peuvent directement parler à toutes celles et ceux qui s’y reconnaissent, les partagent et peuvent les reproduire à leur guise ? Comment fait-on pour les rentrer dans nos petites cases, lorsque ces actes sont individuels, anonymes et diffus, voire même coordonnés, et qu’en face l’État nous martèle sa petite musique contre-insurrectionnelle (« conspirationistes », « ultra-gauche », etc…) ? On fait plutôt les perroquets policiers en mode « qui c’est ? » ou plutôt les autruches innocentistes en mode « regardez ailleurs » ? On reprend les grilles de lecture du pouvoir ou on réfléchit par soi-même en défendant chacun à sa manière les actes qui nous inspirent ?

Par exemple, en tirant le constat que la domination a plus que jamais besoin de ces câbles en fibre optique ou de ces antennes-relais pour pousser une numérisation appliquée à tous les domaines de l’économie et de la vie sociale. Non seulement en matière de contrôle et de surveillance (des drones aux tablettes NEO, de la coordination des flics aux caméras, des procès en visioconférence au traçage des potentiels pestiférés), mais aussi pour accélérer le télé-travail, l’école à distance, la télé-médecine ou depuis un moment la circulation d’argent et de transactions. Et sans même parler des aspects les plus misérables de la déréalisation technologique en matière de relations ou de loisirs virtuels, ou tout ce que cette période de restructuration nous promet encore comme réjouissances. Dans cette prison sociale à ciel ouvert, il devient ainsi chaque jour plus évident que le « déconfinement » n’est qu’une extension du « confinement » assortie de statuts différenciés, de la même façon que la normalité nouvelle n’est qu’une intensification de la précédente.

Cela laissera peut-être pantois quelque gratte-papier de préfecture ou de rédaction, mais couper ou incendier les câbles en tout genre où transitent l’énergie et les données, offrant qui plus est l’avantage de se trouver un peu partout, nous semble donc non seulement une proposition de fait à la hauteur des enjeux, mais aussi un moyen sûr de perturber cette normalité mortifère. Celle d’avant le confinement (la multiplication de ce genre d’attaques remonte au moins au temps du mouvement des gilets jaunes), comme celle qui se profile aujourd’hui. Faire taire les quelques voix subversives qui défendent ouvertement le bel art du sabotage contre les rouages de la domination, notamment ses infrastructures critiques, ne changera pas la donne : ces actes diffus et variés sont désormais promis à un bel avenir destructeur dans ce meilleur des mondes technologisé. Un monde d’autorité où la misère et l’empoisonnement de la planète au nom du fric nous rappellent sans cesse que le capitalisme est un système mortifère et que l’État est un ennemi.

Le bel art du sabotage

La quarantaine ou la mort!?

« Les maladies infectieuses sont un sujet triste et terrible, bien sûr, mais dans des conditions ordinaires ce sont des événements naturels, comme un lion dévorant un gnou ou un hibou saisissant une souris »
David Quammen, Spillover, 2012

Ou comme un tremblement de terre qui fait trembler le sol, ou comme un tsunami qui submerge les côtes. Là où ils ne provoquent pas de victimes, ou presque, ces phénomènes ne sont même pas remarqués. Ce n’est que lorsque le comptage macabre commence à grimper qu’ils cessent d’être considérés comme des événements naturels pour devenir d’immenses tragédies. Et ils prennent des dimensions terribles et insupportables surtout lorsqu’ils se produisent sous nos yeux, ici et maintenant, plutôt que sur un continent ou dans un passé lointains et faciles à ignorer. Alors, quand est-ce que ces événements naturels en soi sèment-ils la mort ? Lorsque leur survenance n’est pas du tout prise en considération, préalable pour ne prendre aucune mesure de précaution face à eux. Construire des maisons en béton dans des zones hautement sismiques, par exemple, est une manière assurée de transformer un tremblement de terre en une catastrophe. En attendant les prochaines pluies, déboiser une montagne signifie préparer un glissement de terrain qui balaiera le village en contrebas, tout comme cimenter le lit d’une rivière qui traverse des zones habitées signifie promettre une crue qui inondera souterrains et parties basses des bâtiments.

On peut dire la même chose d’une pandémie. Si un micro-organisme est capable de tuer n’importe où, ce n’est pas parce que la nature est si méchante et doit donc être domestiquée par la science qui est gentille. Prenons par exemple le coronavirus : l’organisation sociale dominante l’a d’abord créé (avec la déforestation et l’urbanisation), puis elle l’a diffusé à travers toute la planète (avec la circulation aérienne et la concentration de population), et elle en a enfin aggravé les effets (avec le manque de moyens adéquats pour les soigner et la concentration des personnes les plus prédisposées et sensibles à la contagion, transformées en cobayes des thérapies les plus disparates administrées selon des critères discutables). En tenant compte de cela, il devrait être clair que la meilleure façon de freiner le plus possible l’apparition d’un mauvais virus – l’éviter étant aussi prétentieux qu’éviter un ouragan, vu que le corps humain est rempli en permanence de virus et de bactéries en tout genre – est de subvertir de fond en comble le monde dans lequel nous vivons, afin de le rendre moins propice au développement des épidémies. Tandis que la meilleure façon d’éviter une éventuelle infection est de renforcer le système immunitaire.

Il s’agit d’une double prévention, sur le milieu en général et sur les corps particuliers, qui ne rencontre pourtant pas les faveurs. La première parce qu’elle implique une transformation sociale jugée utopique puisque trop radicale, la seconde parce que c’est une intervention biologique considérée insuffisante puisque trop individuelle. Des remèdes trop vagues et lointains, surtout gâtés par un vice fondamental : ils ne sont pas applicables par un État auquel on a confié la charge d’alléger la fatigue de vivre. En somme, des mesures pas très pragmatiques et qui peuvent être revendiquées par le haut. Rien à voir avec l’amélioration des services de santé ou l’invention d’un vaccin, remèdes aujourd’hui implorés à grand voix de toutes parts.

Dans notre univers mental à sens unique, la question de la santé est comme toutes les autres, elle oscille entre les deux couloirs de la voie royale tenue pour évidente et obligée : secteur public géré par l’État ou secteur privé géré par des entreprises ? Puisque le second est réservé aux riches, c’est du premier que la très grande majorité des personnes attend urgemment le salut. Tertium non datur, auraient dit les latins (en chœur avec ceux qui accusent les critiques du système hospitalier de faire le jeu des cliniques de luxe). Mais vu que cette voie royale est celle prônée par la domination et par le profit, ce n’est certainement pas en privilégiant un couloir plutôt qu’un autre qu’il sera possible de changer une situation qui résulte de l’exercice de la domination et de la quête du profit.

Voilà pourquoi il est nécessaire de dissiper l’aura d’inéluctabilité qui sert de bouclier à cette société, en empêchant d’entrevoir d’autres possibilités. Mais on rencontre alors une difficulté supplémentaire. Quant et comment sortir de la route pour explorer d’autres sentiers, si lorsqu’on jouit d’une bonne santé on ne pense jamais à la maladie, tandis que lorsqu’on est malade on ne pense qu’à comment être guéris le plus rapidement possible ? Et comment y parvenir sans mettre en cause non seulement l’institution médicale, mais aussi le concept même de santé, ainsi que le sens de la souffrance, de la maladie et de la mort ?

Pensons par exemple à la façon dont ceux qui osent observer que la mort fait partie de la vie, en particulier une fois quatre-vingt ans passés, sont taxés de cynisme malthusien (par qui, par les aspirants à l’immortalité transhumaniste ?). Ou pensons aux considérations formulées en son temps par Ivan Illich dans sa Némésis médicale. Si aujourd’hui, en pleine psychose de pandémie, ce critique certainement pas soupçonnable d’extrémisme anarchiste était encore vivant et qu’il tentait de faire l’une de ses interventions, il serait lynché d’abord sur la place virtuelle, puis sur celle du réel. Face à un public gardant ses distances et muni de ses dispositifs de protection aseptiques, attendant de façon spasmodique un vaccin salvateur, vous imaginez si quelqu’un commençait à défendre qu’ « une société qui réduirait l’intervention de professionnels au minimum serait la plus favorable à la santé », ou que « le vrai miracle médical moderne est diabolique : il consiste en ce que non seulement des individus mais des populations entières survivent à un niveau sous-humain de santé personnelle », ou que « dans les pays développés, l’obsession de la santé parfaite est devenue un facteur pathogène prédominant… Chacun exige que le progrès mette fin aux souffrances du corps, maintienne le plus longtemps possible la fraîcheur de la jeunesse, et prolonge la vie à l’infini. Ni vieillesse, ni douleur, ni mort. Oubliant ainsi qu’un tel dégoût de l’art de souffrir est la négation même de la condition humaine », en concluant peut-être avec cette prière « Ne nous laissez point succomber au diagnostic, mais délivrez-nous des maux de la santé » ?

De telles affirmations, dans des jours hystériques comme ceux que nous traversons, sembleraient au moins de mauvais goût, y compris pour certains militants révolutionnaires, réduits à attribuer à un État capitaliste la tâche d’un virus capitaliste, ou à passer du rugissement la liberté ou la mort ! au miaulement la quarantaine et la survie ! Mais l’autonomie tant convoitée que l’on voudrait atteindre en en finissant avec toutes les dépendances, peut-elle jamais renoncer à ses intentions devant le corps humain, à sa vie comme à sa mort ?

[traduit de l’italien de finimondo, 4 mai 2020]

https://demesure.noblogs.org/archives/2332#more-2332

France – Dénégations – Maria Desmers (Livre)

Dénégations
Dénégation et radicalité : une hypothèse
ou quand le Chat Botté réduit l’ogre en souris…

Chaque événement démesuré voit naître ses détracteurs et ses réducteurs. Ils considèrent (comme le Chat Botté de la fable qui mange l’ogre après l’avoir réduit en souris) que réduire la représentation de ce qu’il se passe pour le mettre à sa portée serait en mesure de donner les moyens de triompher sur ce qui terrifierait, si toutefois on le regardait dans toutes ses dimensions. Ce triomphe obtenu au nom de la peur condamne à l’impuissance et la pandémie de Covid-19 qui est en train de se répandre sur la planète ne fait pas exception à la règle. Elle aussi a ses réducteurs et ses détracteurs. Pourtant il y a bien des choses à redire, à contester, à attaquer face à ce qui se passe, ne serait-ce que l’État et le capitalisme. Mais L’Histoire pousse parfois les adeptes de la perplexité dans le grand bain, et les salariés contraints de continuer à travailler avec le virus comme les émeutiers de la faim ou les révoltés de l’enfermement n’ont pas besoin de dénier la réalité du virus ou de réduire la pandémie à une taille moins effrayante pour se révolter et lutter à la fois contre le virus et contre les modalités de sa gestion par le pouvoir.

Télécharger Dénégations-A5-20p-Couleur-pageparpage

Lire le texte en ligne (bientôt disponible).

(via Ravage Editions)

https://anarchistsworldwide.noblogs.org/post/2020/04/29/france-denegations-maria-desmers/

1er mai : pour des cortèges sans cortèges

Pourquoi faut-il quand même manifester le 1er mai ? Après un rapide historique de l’évolution des manifestations depuis 2016 on se rend compte que la distanciation sociale peut très bien aller dans le sens d’une dissolution des cortèges purement syndicaux et un développement de cortèges sauvages.

Le printemps s’installe et le 1er mai approche, on est en droit de se demander comment allons-nous faire pour manifester ?
Impossible d’imaginer que la fête internationale des travailleurs n’ait pas lieu en temps de Covid-19, alors même que ce sont les travailleurs qui font tourner le pays et que la menace de payer la facture se fait de plus en plus sentir.
Cette manifestation symbolique est déjà un rendez-vous annuel pour beaucoup d’entre nous et c’est une cérémonie que nous aimons partager.
Le 1er mai est un bon test de dépistage pour savoir si nous avons le virus de la peur, un curseur pour savoir où on en est de la conflictualité dans la rue, un thermomètre pour prendre la température de la fièvre insurrectionnelle et de l’état de nos anticorps face à la répression.
Cette année, l’enjeu est de taille : pas sûr que notre grand-père le mouvement ouvrier, ce vieil asthmatique, ne survive au coronavirus.
À l’heure où certains proposent de numériser les manifestations du renoncement je pense qu’il faut plus que jamais penser notre rapport aux manifestations, et pour cela faisons un rapide détour d’histoire immédiate :
Nous sommes au 1er mai 2016, face à l’immobilisme des cortèges « purement syndicaux » et à leur instrumentalisation par le pouvoir, des éléments « perturbateurs », ceux à qui est habituellement réservée la queue de cortège prennent les devants : c’est l’apparition spectaculaire du cortège de tête (dont on peut situer la naissance vers mi-mars 2016), qui, en assumant dans la rue le rapport de force, s’attaque au paradigme de la manifestation. Le corps principal de la manifestation quant à lui, est (enfin !) confronté à la police, parfois il riposte à ces attaques et ainsi le cortège de tête parvient à mettre en lumière les véritables enjeux de la lutte dans la rue, là où le pacifisme du corps « purement syndical » permettait de l’oublier. Contrairement à ce qu’on pouvait penser alors, cette stratégie – visant à montrer la violence là où elle se cachait – n’était pas seulement symbolique et eu aussi de véritables effets dont nous essayons de retrouver le fil aujourd’hui.
Ces premiers affrontements – que d’autres décriaient (et certains continuent de le faire) comme irresponsables, prématurés, « violents », sauvages, incompréhensibles, etc. – non pas qu’un effet révélateur (découvrant l’état conflictuel entre le pouvoir, ses représentants et nous), ils produisent aussi un éclatement historique de l’anatomie des manifestations. La tête ne correspondant plus au corps, crée des lignes de fuite, des parcours de désertions depuis les couches pacifiques et les strates réformistes jusqu’à la tête. Le sang remonte au cerveau et la manifestation comme processus symbolique de protestation est abandonnée par ces nouveaux autonomes fuyant les cortèges bien rangés et « purement syndicaux ». Ailleurs, la tête elle-même, sous la force de la riposte policière s’éclate en bandes, en manifestations sauvages, satellites détachés/rattachés au corps de la manifestation qui devient une hydre à mille têtes (l’hydre se déplaçant dans le sens de la manifestation déposée en préfecture et les têtes de façon anarchique).
Puis, tout au long des années 2016-2017, en passant par le 1er mai 2017 et son spectaculaire cocktail Molotov, les bouffons de la préfecture et leurs stratèges en carton s’acharnent à comprendre la situation (et à investir dans la répression médiatico-juridique) jusqu’à finalement connaître le système.
Ce débordement original de la manifestation symbolico-pacifique prend fin le 1er mai 2018 avec l’échec d’Austerlitz (clin d’œil à l’Histoire des vainqueurs), où les flics via un grossier piège au McDonald-laissé-sans-surveillance parviennent à briser l’élan d’un bon gros cortège de tête. Cachés dans la gare et derrière le jardin des plantes, ils réussissent à attirer et à condenser le cortège de tête (énormissime : on parle d’un bloc de milliers de personnes) sur le pont d’Austerlitz avant son éclatement en multiples têtes. De là, il ne leur restait plus qu’à couper la tête du corps : en détournant, avec la complicité des directions syndicales bien sûr, le cortège principal vers un autre chemin, puis à réduire la tête, prise en sandwich, par des attaques successives.
Bien que la défaite soit cuisante et sente le gaz, les Gilets jaunes arrivent fin 2018, et ils prennent acte de ces limites du black bloc de tête dès les débuts de leurs manifestations : dispersion, illégalité, multiplicité, rapidité… En fait, ils se comportent massivement (c’est la première différence) et radicalement (c’est la deuxième) comme les mille têtes de l’hydre (2016-2018). Par ailleurs, dès leur formation, le recrutement et la captation des désertions militantes ne se font pas seulement dans la manifestation, même plutôt ailleurs : sur les ronds-points par exemple. Les Gilets jaunes s’arrangent pour manifester en ne dépendant d’aucun corps et de ne jamais avoir besoin d’une centralité (ni en France par rapport à la manifestation parisienne ni dans la manifestation parisienne elle-même), cette stratégie se développe au moins jusqu’à son apogée en décembre 2018 – janvier 2019.
Puis tout au long de l’année 2019, les flics tentent de s’adapter (par la violence extrême, par des réorganisations internes : décentralisation des décisions, création des brigades volantes…) jusqu’à maitriser les actes GJ à l’été 2019. Le 1er mai 2019, la situation est encore ambivalente, les cortèges syndicaux sont désorganisés, traversés et emportés par des vagues enthousiastes de Gilets jaunes qui s’étaient invités à la fête, mais si les cortèges sont désagrégés et volatiles, les flics sont partout et frappent à tort et à travers. Puis, par la force, les manifestations GJ prennent la voie des manifestations symbolico-pacifiques, et sont petit à petit désertées, cette longue agonie et le perfectionnement des FDO dure au moins jusqu’à récemment (fin 2019-début 2020).
Avec la lutte contre la réforme des retraites, on voit un retour de la manifestation de masse, étant donné l’importance du nombre de personnes, l’illusion de la seule force du nombre refait surface, la manifestation symbolico-pacifique semble renaître. Dans ces manifestations on trouve les GJ et les autonomes du cortège de tête, les multiples désertions militantes des dernières années, des forces usées et réduites par la répression inédite. On se rend compte que le cortège de tête, sous une forme plus démocratique, plus institutionnalisée et ritualisée est devenu le corps. La manifestation est sans tête, paradoxalement parce que la tête est devenue corps, et le carré « purement syndical », la queue. Retour donc, d’une manifestation symbolico-pacifique mutilée et impuissante. Ce phénomène fut porté à un tel degré d’absurdité, que lors de certaines manifestations du début d’année, on ne savait plus dans quel sens allait la manif, un immense cortège de tête s’étalait sur tout le parcours de la manif. De leur côté les flics s’étaient perfectionnés et ils construisirent dans les rues un réseau de « tout à l’égout » en forme d’entonnoir dans lequel la masse partait d’un bord large (d’où on ne voyait pas les FDO) jusqu’à un goulot d’étranglement, la nasse géante. Toujours la même histoire de l’extension des technicités de contre-insurrection des marges au centre ; des colonies à la métropole ; des banlieues aux centres-villes. Cette technique de nasse, d’enfermement de la manifestation, d’abord réservée à un cortège de tête minoritaire en 2016 est appliquée à tout le corps devenu tête en 2020. À certains moments, la tête-corps, sans jamais éclater en mille têtes, se condensait et s’arrêtait, refusant d’aller plus loin dans l’entonnoir policier et la queue « purement syndicale » ne partait jamais de son point de départ. Dans ce cas, des résidus de tête ou de queues sortaient du dispositif policier, le débordait, mais sans s’agréger, et ses membres détachés flottaient en dehors. S’ensuivait l’humiliation pour ceux qui allaient au bout, de la sortie de la nasse sous pression des FDO et sans aucune chance de sortie honorable. Autrement, lorsque des microtêtes égermaient, la technique de l’écrasement et/ou de la nasse mobile perfectionnée en temps de Gilet jaune en venait vite à bout. Le meilleur exemple de cette pratique reste les dernières manifestations peu nombreuses des GJ (actes « tous à Paris » début 2020) où les FDO ont carrément pris eux-mêmes la tête du cortège et collé la queue, formant une nasse mobile géante. Puis cette stratégie de décapitation a été essayée sur le cortège des dizaines de milliers de manifestants contre la réforme des retraites et a réussi !
Depuis le début de l’année 2020, en réaction à cette ignoble prise d’otage de la manifestation, il y eut : soit les manifestations sauvages sur le mode GJ (sans rattachement à un corps) à Pompidou, aux halles (…) soit les déambulations festives du comité de grève de la place des fêtes (microtêtes dont le corps est plus stable encore que la manifestation syndicale, et en fait complètement différent, car c’est depuis un territoire, le quartier qu’elles se lancent…) Ces déambulations festives et offensives partaient du quartier de Belleville, défilaient dans le quartier puis rejoignaient le cortège principal en cours de parcours. Elles permettaient des lignes de désertions militantes (de la manifestation purement syndicale symbolico-pacifique) plus vastes et plus longues dans le temps encore que le cortège de tête. Puis, en rejoignant d’autres déambulations de quartier (comme celle de Montreuil), elles gagnaient en puissance et atteignaient parfois plusieurs centaines de personnes jusqu’à peut-être un millier. Malheureusement, au lieu de se développer en une nouvelle hydre aux mille têtes, ces déambulations de quartiers, prenant de la force au fur et à mesure qu’elles grandissaient et prenaient conscience d’elles-mêmes se laissaient couler comme des ruisseaux dans le grand lac de la manifestation déclarée. Le « cortège sans queue ni tête 1 » fut une tentative pour détourner, sans jamais prendre la tête, ces déambulations festives et offensives (mine de rien) de l’attrait irrésistible qu’avait sur elles la nasse géante et massive. À plusieurs reprises, ce cortège sans queue ni tête, continuation des déambulations festives, débordait le dispositif policier, s’enfonçait dans le Marais, coupait la manifestation, parvenait jusqu’aux halles…
Peut-être est ce là qu’une reformulation de ce que nous savons déjà, et cette réflexion n’étant pas exhaustive perd de son efficacité, il faudrait aussi parler des blocages GJ, des manifs pour le climat, des nuits en non-mixité, etc. Néanmoins, suivre ce fil d’histoire immédiate nous permet une chose : Ce processus au long des années 2016-2020 peut-être considéré comme une tentative de dissolution de la manifestation symbolico-pacifique vers d’autres formes de contestation, plus riches, plus variées et surtout éloignées de la forme protestataire, massive et compacte. Les différents échecs et les différentes victoires dans la rue nous montrent ce processus à l’œuvre : plus les formations et les dispersions des cortèges sont multiples, rapides, intraçables, autonomes, moins la centralisation et la capture, la stabilisation et la répression sont possibles. La dissolution de la manifestation de type symbolico-pacifique si elle conduit à la constitution de manifestations autonomes et sauvages est une bonne nouvelle pour la lutte en générale.
Or, qui ne rêvait pas, en voyant l’effet d’aimant exercé par la manifestation déclarée en 2020, de voir ressurgir sous une forme radicalisée le tourbillon nomade des GJ ou l’éclatement sauvage de 2016, qui ne rêvait pas qu’on se mette tous et toutes à faire des manifestions par groupe de 3 ou 4, que des petits groupes de 10 personnes se mettent à construire des barricades dans la rue où ils habitent ?
Et bien, peut-être que les mesures de distanciations sociales, les gestes barrières inévitables tant que dure le confinement, s’ils empêchent de fait les manifestations massives, et par là ce qu’elles ont de rassurant et d’effectif : sentir la force du nombre, la chaleur de la foule… ces mesures hygiénistes contestables, désagréables, obligent à un autre type de manifestation. N’est-ce pas là l’occasion historique de manifestations offensives (à tout niveau et pratique, en allant du bruit à la casse) multiples, décentralisées, mobiles, jamais figées, le moins souvent réprimées… ? Nous qui sommes de plus en plus adeptes de la micropolitique, cette résistance au biopouvoir, ne pourrions-nous pas faire des micromanifs une stratégie ? En rappelant que le slogan hongkongais « be water », soyez de l’eau ne voulait pas dire soyez fleuve, mais plutôt soyez goutte, j’espère pour le 1er mai 2020, une pluie de micromanifs pour éviter la sécheresse des luttes à venir.
Ce qui est déjà possible de faire, partout en France, dans n’importe quel village, dans n’importe quelle ville, peut importe le nombre de participant·e·s prévus, c’est bien de manifester le 1er mai en respectant les distances de sécurité et en étant masqué·e·s !

Des fissures apparaissent dans le confinement mondial et des manifestations s’organisent malgré les mesures de distanciations peut-être nécessaires, mais imposées par la force :

Le 4 avril à Montreuil, manifestation du collectif « des Baras » pour exiger « Papiers et Logements ».

Le 11 avril, à Bruxelles, une émeute éclate suite à la mort d’un jeune de 19 ans percuté par une voiture de police.

Le 11 avril à Rome, enterrement d’un ancien révolutionnaire des Brigades rouges suivi par une cinquantaine de personnes.

La nuit du 19 au 20 avril, révoltes dans plusieurs quartiers populaires français après la blessure grave d’un homme à Villeneuve-la-Garenne après une violente tentative d’interpellation policière.

Le 20 avril, deuxième rassemblement en solidarité avec les victimes des violences policières à Montreuil.

Au Liban : des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes contre le gouvernement, la baisse du pouvoir d’achat et la corruption des élites : blocages de routes, barricades, affrontements, banques détruites

En Tunisie : résistance collective face aux confineurs et aux arrestations à Sahline. Affrontement avec les flics qui dispersaient des marchands ambulants, des pneus enflammés sur la route. Plusieurs arrestations.

Au Chili : le confinement n’arrête pas la vague de révolte qui dure depuis des mois. Des manifestations enflammées ont eu lieu à Santiago et dans plusieurs villes.

En Colombie, dans la ville de Medellín, manifestation pour obtenir plus de nourritures et tentative d’autoréduction d’un supermarché.

En permanence et partout dans le monde, des manifestations non déclarées d’animaux sauvages.

Pour un 1er mai offensif et vivant.
Vive les cortèges sans queue ni tête !
Vive les cortèges sans cortèges !

Signé X

https://paris-luttes.info/1er-mai-pour-des-corteges-sans-13901?lang=fr