Foi dans la science

Dans ce contexte, il semble que la science a pris les commandes de la situation, que c’est elle qui vient apporter des certitudes au milieu du chaos, nous sauver de la catastrophe. Mais il nous faut rompre définitivement avec cette idée, certainement cinématographique, d’une science déployant tout son potentiel pour garantir la santé des personnes. La technoscience, telle que nous caractérisons l’état actuel des connaissances rationnelles, est un système complexe entrepreneurial—technico-scientifique et constitue l’une des multiples facettes simultanées qu’articule la machinerie capitaliste. Elle n’est absolument pas neutre. Il n’y pas de science séparée du Capital. Ils se sont développés en synergie, en s’alimentant mutuellement.

Nous ne pouvons oublier que ces envoyés de la Science sur Terre sont les mêmes qui justifient l’utilisation de produits agrotoxiques dans la région, qui développent non seulement les armes pour les guerres, mais aussi les médicaments qui nous rendent malades et nous tuent, ainsi qu’une liste interminable d’éléments qui étayent ce système apparemment irrationel.

Le Capital produit des experts scientifiques comme pleine expression de la division du travail. Ils définissent le problème et tracent la stratégie, profitant de l’une des multiples dépossessions qui sous-tendent la société moderne : la privation des savoirs du soin et de la préservation de la dynamique du vivant. Les spécialistes quantifient le monde, exercent une réduction mathématique du réel, créant des modèles de compréhension-domination de la nature humaine et non-humaine. Un savoir qui, en dépassant le plan discursif pour devenir action concrète, brutalise la matérialité de manière irréversible.

Cette forme de compréhension du monde assigne des “propriétés” aux “objets d’étude”, dans ce cas au virus, qui posséderaient certaines caractéristiques absolues, indépendamment du milieu ou ils surgissent et déploient leur existence. Tout se focalise sur l’agent. L’operation efface les conditions matérielles ou l’action a lieu. On parle du virus, de la maladie et des mesures pour en réduire les effets, mais jamais des rapports sociaux de production et de reproduction qui incubent les événements.

Un autre aspect de la codification que le savoir dominant fait du monde est l’identification de l’étrange(r) en tant qu’ennemi. C’est le totalitarisme imposé par la métaphore militaire, le jeu macabre de la défense et de l’attaque, la destruction systématique de l’autre. Les gouvernements appliquent la tactique, le comment faire du que faire imposé par l’armée rationnelle, et ainsi se prennent des décisions déterminantes comme déclarer une quarantaine, arrêter telle ou telle ligne de production, fermer un établissement ou un autre, obliger à ou interdire de travailler, poursuivre, enfermer et torturer quiconque ne se conforme pas à leur directives.

La subordination des actions à une branche technoscientifique spécifique est temporaire et changeante. Dès qu’un autre type d’action sur le réel sera nécessaire, le savoir expert s’adaptant le mieux à la gestion de cette situation sociale particulière prendra les manettes. Ils sont aussi facilement interchangeables que l’on remplace une roue de secours. Parce qu’ils font partie de la même chose. Engrenages de ce système qui se mettent alternativement aux commandes ou à disposition. Qui parlent si nécessaire des personnes, de l’environnement, du passé, du futur ou de la vie, mais toujours la calculette à la main.

Coronavirus y questión social

https://boletinlaovejanegra.blogspot.com/2020/04/fe-en-la-ciencia.html

La Rebelle N°2

This is a newspaper in french (the two previous issues cannot be found on the internet, by choice).

The theme is the situation of prisons in Italy (and an article on the migrant retention centers), with translations (from italian to french) of texts mainly from roundrobin.org and macerie.org

Le Rebelle 2

Le virus de la contrainte. Pieces et Main d’oeuvre

dimanche 12 avril 2020,  par Pièces et main d’œuvre

Voici nos derniers rapports sur les événements en cours. D’abord, une analyse théorique de la société de contrainte, puis une illustration d’actualité à partir de l’état d’urgence sanitaire et de la mise en place de la traque électronique.

Il se dit beaucoup ces jours-ci que la première victime d’une guerre – y compris d’une guerre sanitaire -, c’est la vérité (merci Kipling). Aussi, nous en apprenons chaque jour davantage sur les opérations du Virus.
En janvier, nous avions pitié des Chinois incarcérés par leur technocratie et traqués par des moyens technologiques. En avril, nous sommes tous chinois.
Gouverner, c’est mentir.
Gouverner, c’est contraindre.
Et ce qui nous est communiqué par la Voix des Ondes derrière le masque du Virus, ce sont les ordres de nos experts, scientifiques et technocrates.

L’épidémie, la vraie, c’est la peste numérique dont les puces électroniques sont le vecteur, et qui saisit l’occasion pour nous réduire à l’état de numéros esclaves. De machins dans la machine. Le virus, le vrai, c’est celui de la contrainte technologique, qui trouve un terrain d’autant plus favorable dans le désir de prise en charge de ceux à qui la liberté pèse trop lourd.

Il se dit aussi que les zéros sociaux murmurent sur les « réseaux sociaux » : ce sera pire après.
Ce n’est pas de manière virtuelle que les zéros sociaux, physiquement dispersés par l’urgence sanitaire, peuvent résister à la contamination numérique.
Ce n’est pas sur les réseaux sociaux qu’un peuple physiquement dispersé par l’épidémie d’autorité peut résister au coup d’Etat permanent de la technocratie dirigeante.

Numéros zéros ! il ne tient qu’à vous de briser vos chaînes numériques. Fuyez les « réseaux sociaux », jetez vos smartphones, refusez le puçage électronique (notamment les compteurs Linky), boycottez Amazon et la consommation virtuelle !

(Pour lire les deux textes, ouvrir les documents ci-dessous.)

Lire aussi :
(vieux articles, sauf le premier)

 

Leurs virus, nos morts. Pieces et Main d’oeuvre

L’espoir, au contraire de ce que l’on croit,
équivaut à la résignation.
Et vivre, c’est ne pas se résigner.
Albert Camus, Noces

Les idées, disons-nous depuis des lustres, sont épidémiques. Elles circulent de tête en tête plus vite que l’électricité. Une idée qui s’empare des têtes devient une force matérielle, telle l’eau qui active la roue du moulin. Il est urgent pour nous, Chimpanzés du futur, écologistes, c’est-à-dire anti-industriels et ennemis de la machination, de renforcer la charge virale de quelques idées mises en circulation ces deux dernières décennies. Pour servir à ce que pourra.

1. Les « maladies émergentes » sont les maladies de la société industrielle et de sa guerre au vivant
La société industrielle, en détruisant nos conditions de vie naturelles, a produit ce que les médecins nomment à propos les « maladies de civilisation ». Cancer, obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires et neuro-dégénératives pour l’essentiel. Les humains de l’ère industrielle meurent de sédentarité, de malbouffe et de pollution, quand leurs ancêtres paysans et artisans succombaient aux maladies infectieuses.

C’est pourtant un virus qui confine chez lui un terrien sur sept en ce printemps 2020, suivant un réflexe hérité des heures les plus sombres de la peste et du choléra.

Outre les plus vieux d’entre nous, le virus tue surtout les victimes des « maladies de civilisation ». Non seulement l’industrie produit de nouveaux fléaux, mais elle affaiblit notre résistance aux anciens. On parle de « comorbidité », comme de « coworking » et de « covoiturage », ces fertilisations croisées dont l’industrie a le secret (1).

« “Les patients souffrant de maladies cardiaques et pulmonaires chroniques causées ou aggravées par une exposition sur le long terme de la pollution de l’air sont moins capables de lutter contre les infections pulmonaires, et plus susceptibles de mourir”, alerte Sara De Matteis, professeur en médecine du travail et de l’environnement à l’Université de Cagliari en Italie. C’est principalement dans les grandes villes que les habitants seraient les plus exposés à ce risque (2). »

Encore plus efficace : la Société italienne de médecine environnementale a découvert un lien entre les taux de contamination au Covid 19 et ceux des particules fines dans l’air des régions les plus touchées d’Italie. Fait déjà constaté pour la grippe aviaire. Selon Gianluigi de Gennaro, de l’Université de Bologne :

« Les poussières transportent le virus. [Elles] agissent comme porteurs. Plus il y en a, plus on crée des autoroutes pour les contagions (3). »

Quant au virus lui-même, il participe de ces « maladies émergentes » produites par les ravages de l’exploitation industrielle du monde et par la surpopulation. Les humains ayant défriché toute la terre, il est naturel que 75 % de leurs nouvelles maladies soient zoonotiques, c’est-à-dire transmises par les animaux, et que le nombre de ces zoonoses ait quadruplé depuis 50 ans (4). Ebola, le Sras, la grippe H5N1, le VIH, le Covid-19 et tant d’autres virus animaux devenus mortellement humains par le saccage des milieux naturels, la mondialisation des échanges, les concentrations urbaines, l’effondrement de la biodiversité.

La sédentarisation d’une partie de l’espèce humaine et la domestication des animaux avaient permis la transmission d’agents infectieux des animaux aux hommes. Cette transmission s’est amplifiée avec l’élevage industriel, le braconnage, le trafic d’animaux sauvages et la création des parcs animaliers.

La déforestation, les grands travaux, l’irrigation, le tourisme de masse, l’urbanisation détruisent l’habitat de la faune sauvage et rabattent mécaniquement celle-ci vers les zones d’habitat humain. Ce ne sont pas le loup et la chauve-souris qui envahissent les villes, mais les villes qui envahissent le loup et la chauve-souris.

La société industrielle nous entasse. Dans les métropoles, où les flux et les stocks d’habitants sont régulés par la machinerie cybernétique. La métropole, organisation rationnelle de l’espace social, doit devenir, selon les plans des technocrates, l’habitat de 70 % des humains d’ici 2050. Leur technotope. Ville-machine pour l’élevage industriel des hommes-machines (5).

Entassés sur la terre entière, nous piétinons les territoires des grands singes, des chauves-souris, des oies sauvages, des pangolins. Promiscuité idéale pour les contagions (du latin tangere : toucher). Sans oublier le chaos climatique. Si vous craignez les virus, attendez que fonde le permafrost.

Faut-il le rappeler ? L’humain, animal politique, dépend pour sa survie de son biotope naturel et culturel (sauf ceux qui croient que « la nature n’existe pas » et qui se pensent de pures (auto)constructions, sûrement immunisées contre les maladies zoonotiques). La société industrielle prospère sur une superstition : on pourrait détruire le biotope sans affecter l’animal. Deux cents ans de guerre au vivant (6) ont stérilisé les sols, vidé forêts, savanes et océans, infecté l’air et l’eau, artificialisé l’alimentation et l’environnement naturel, dévitalisé les hommes. Le progrès sans merci des nécrotechnologies nous laisse une Terre rongée à l’os pour une population de 7 milliards d’habitants. Le virus n’est pas la cause, mais la conséquence de la maladie industrielle.

Mieux vaut prévenir que guérir. Si l’on veut éviter de pires pandémies, il faut sortir de la société industrielle. Rendre son espace à la vie sauvage – ce qu’il en reste –, arrêter l’empoisonnement du milieu et devenir des Chimpanzés du futur : des humains qui de peu font au mieux.

2. La technologie est la continuation de la guerre – de la politique – par d’autres moyens. La société de contrainte, nous y entrons.
Nul moins que nous ne peut se dire surpris de ce qui arrive. Nous l’avions prédit, nous et quelques autres, les catastrophistes, les oiseaux de mauvais augure, les Cassandre, les prophètes de malheur, en 2009, dans un livre intitulé À la recherche du nouvel ennemi. 20012025: rudiments d’histoire contemporaine :

« Du mot “crise” découlent étymologiquement le crible, le crime, l’excrément, la discrimination, la critique et, bien sûr, l’hypocrisie, cette faculté d’interprétation. La crise est ce moment où, sous le coup de la catastrophe – littéralement du retournement (épidémie, famine, séisme, intempérie, invasion, accident, discorde) –, la société mise sens dessus dessous retourne au chaos, à l’indifférenciation, à la décomposition, à la violence de tous contre tous (René Girard, La Violence et le Sacré, Le Bouc émissaire, et toute la théorie mimétique). Le corps social malade, il faut purger et saigner, détruire les agents morbides qui l’infectent et le laissent sans défense face aux agressions et calamités. La crise est ce moment d’inquisition, de détection et de diagnostic, où chacun cherche sur autrui le mauvais signe qui dénonce le porteur du maléfice contagieux, tremblant qu’on ne le découvre sur lui et tâchant de se faire des alliés, d’être du plus grand nombre, d’être comme tout le monde. Tout le monde veut être comme tout le monde. Ce n’est vraiment pas le moment de se distinguer ou de se rendre intéressant. […]

Et parmi les plus annoncées dans les années à venir, la pandémie, qui mobilise aussi bien la bureaucratie mondiale de la santé, que l’armée et les autorités des mégalopoles. Nœuds de communication et foyers d’incubation, celles-ci favorisent la diffusion volontaire ou accidentelle de la dengue, du chikungunya, du Sras ou de la dernière version de la grippe, espagnole, aviaire, mexico-porcine, etc. […] Bien entendu, cette “crise sanitaire” procède d’une “crise de civilisation”, comme on dit “maladie de civilisation”, inconcevable sans une certaine monstruosité sociale et urbaine, sans industrie, notamment agro-alimentaire et des transports aériens. […]

On voit l’avantage que le pouvoir et ses agents Verts tirent de leur gestion des crises, bien plus que de leur solution. Celles-ci, après avoir assuré pléthore de postes et de missions d’experts aux technarques et aux gestionnaires du désastre, justifient désormais, dans le chaos annoncé de l’effondrement écologique, leur emprise totale et durable sur nos vies. Comme l’État et sa police sont indispensables à la survie en monde nucléarisé, l’ordre vert et ses technologies de contrôle, de surveillance et de contrainte sont nécessaires à notre adaptation au monde sous cloche artificiel. Quant aux mauvais Terriens qui – défaillance ou malfaisance – compromettent ce nouveau bond en avant du Progrès, ils constituent la nouvelle menace pour la sécurité globale. »

Au risque de se répéter : avant, on n’en est pas là ; après, on n’en est plus là. Avant, on ne peut pas dire ça. Après, ça va sans dire.

L’ordre sanitaire offre une répétition générale, un prototype à l’ordre Vert. La guerre est déclarée, annonce le président Macron. La guerre, et plus encore la guerre totale, théorisée en 1935 par Ludendorff, exige une mobilisation totale des ressources sous une direction centralisée. Elle est l’occasion d’accélérer les processus de rationalisation et de pilotage des sans-pouvoir, au nom du primat de l’efficacité. Rien n’est plus rationnel ni plus voué à l’efficacité que la technologie. Le confinement doit être hermétique, et nous avons les moyens de le faire respecter.

Drones de surveillance en Chine et dans la campagne picarde ; géolocalisation et contrôle vidéo des contaminés à Singapour ; analyse des données numériques et des conversations par l’intelligence artificielle pour tracer les contacts, déplacements et activités des suspects en Israël (8). Une équipe du Big Data Institute de l’université d’Oxford développe une application pour smartphone qui géolocalise en permanence son propriétaire et l’avertit en cas de contact avec un porteur du virus. Selon leur degré de proximité, l’application ordonne le confinement total ou la simple distance de sécurité, et donne des indications aux autorités pour désinfecter les lieux fréquentés par le contaminé (9).

« Les données personnelles, notamment les données des opérateurs téléphoniques, sont aussi utilisées pour s’assurer du respect des mesures de quarantaine, comme en Corée du Sud ou à Taïwan. C’est aussi le cas en Italie, où les autorités reçoivent des données des opérateurs téléphoniques, ont expliqué ces derniers jours deux responsables sanitaires de la région de Lombardie. Le gouvernement britannique a également obtenu ce type d’information de la part d’un des principaux opérateurs téléphoniques du pays (10). »

En France, Jean-François Delfraissy, le président du Comité consultatif national d’éthique et du « conseil scientifique » chargé de la crise du coronavirus, évoque l’éventualité du traçage électronique au détour d’un entretien radiophonique.

« La guerre est donc un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. » Ceux-là même qui n’ont pas lu Clausewitz, savent aujourd’hui que la technologie est la continuation de la guerre par d’autres moyens. La pandémie est le laboratoire du techno-totalitarisme, ce que les opportunistes technocrates ont bien compris. On ne rechigne pas en période d’accident nucléaire ou d’épidémie. La technocratie nous empoisonne puis elle nous contraint, au motif de nous protéger de ses propres méfaits.

Nous le disons depuis quinze ans : « La société de contrôle, nous l’avons dépassée ; la société de surveillance, nous y sommes ; la société de contrainte, nous y entrons. »

Ceux qui ne renoncent pas à l’effort d’être libres reconnaîtront avec nous que le progrès technologique est l’inverse et l’ennemi du progrès social et humain.

3. Les experts aux commandes de l’état d’urgence : le pouvoir aux pyromanes pompiers.
Nous ayant conduits à la catastrophe, les experts de la technocratie prétendent nous en sauver, au nom de leur expertise techno-scientifique. Il n’existe qu’une seule meilleure solution technique, ce qui épargne de vains débats politiques. « Écoutez les scientifiques ! » couine Greta Thunberg. C’est à quoi sert l’état d’urgence sanitaire et le gouvernement par ordonnances : à obéir aux « recommandations » du « conseil scientifique » et de son président Jean-François Delfraissy.

Ce conseil, créé le 10 mars par Olivier Véran (11), à la demande du président Macron, réunit des experts en épidémiologie, infectiologie, virologie, réanimation, modélisation mathématique, sociologie et anthropologie. Les prétendues « sciences humaines » étant comme d’habitude chargées d’évaluer l’acceptabilité des décisions techniques – en l’occurrence la contrainte au nom de l’intérêt supérieur de la santé publique.

Excellent choix que celui de Delfraissy, un homme qui vit avec son temps, ainsi que nous l’avons découvert à l’occasion des débats sur la loi de bioéthique :

« Il y a des innovations technologiques qui sont si importantes qu’elles s’imposent à nous. […] Il y a une science qui bouge, que l’on n’arrêtera pas (12). »

Ces cinquante dernières années en effet, les innovations techno-scientifiques se sont imposées à nous à une vitesse et avec une violence inégalées. Inventaire non exhaustif : nucléarisation de la planète ; OGM et biologie synthétique ; pesticides, plastiques et dérivés de l’industrie chimique ; nanotechnologies ; reproduction artificielle et manipulations génétiques ; numérisation de la vie ; robotique ; neurotechnologies ; intelligence artificielle ; géo-ingénierie.

Ces innovations, cette « science qui bouge », ont bouleversé le monde et nos vies pour produire la catastrophe écologique, sociale et humaine en cours et dont les progrès s’annoncent fulgurants. Elles vont continuer leurs méfaits grâce aux 5 milliards d’euros que l’État vient de leur allouer à la faveur de la pandémie, un effort sans précédent depuis 1945. Tout le monde ne mourra pas du virus. Certains en vivront bien.

On ignore quelle part de ces 5  milliards ira par exemple aux laboratoires de biologie de synthèse, comme celui du Genopole d’Évry. La biologie de synthèse, voilà une « innovation si importante qu’elle s’impose à nous ». Grâce à elle, et à sa capacité à fabriquer artificiellement des organismes vivants, les scientifiques ont recréé le virus de la grippe espagnole qui tua plus que la Grande Guerre en 1918 (13).

Destruction/réparation : à tous les coups les pyromanes pompiers gagnent. Leur volonté de puissance et leur pouvoir d’agir ont assez ravagé notre seule Terre. Si nous voulons arrêter l’incendie, retirons les allumettes de leurs mains, cessons de nous en remettre aux experts du système techno-industriel, reprenons la direction de notre vie.

4. L’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine. L’effet cliquet de la vie sans contact.
Le contact, c’est la contagion. L’épidémie est l’occasion rêvée de nous faire basculer dans la vie sous commande numérique. Il ne manquait pas grand-chose, les Terriens étant désormais tous greffés de prothèses électroniques. Quant aux attardés, ils réduisent à toute allure leur fracture numérique ces jours-ci, afin de survivre dans le monde-machine contaminé :

« Les ventes d’ordinateurs s’envolent avec le confinement. […] Tous les produits sont demandés, des équipements pour des vidéoconférences à l’ordinateur haut de gamme pour télétravailler en passant par la tablette ou le PC à petit prix pour équiper un enfant. Les ventes d’imprimantes progressent aussi. Les Français qui en ont les moyens financiers sont en train de reconstituer leur environnement de travail à la maison (14). »

Nous serions bien ingrats de critiquer la numérisation de nos vies, en ces heures où la vie tient au sans-fil et au sans-contact. Télétravail, téléconsultations médicales, commandes des produits de survie sur Internet, cyber-école, cyber-conseils pour la vie sous cloche – « Comment occuper vos enfants ? », « Que manger ? », « Tuto confinement avec l’astronaute Thomas Pesquet », « Organisez un Skypéro », « Dix séries pour se changer les idées », « Faut-il rester en jogging ? » « “Grâce à WhatsApp, je ne me suis jamais sentie aussi proche de mes amis”, constate Valeria, 29 ans, chef de projet en intelligence artificielle à Paris. »

Dans la guerre contre le virus, c’est la Machine qui gagne. Mère Machine nous maintient en vie et s’occupe de nous. Quel coup d’accélérateur pour la « planète intelligente » et ses smart cities (16). L’épidémie passée, quelles bonnes habitudes auront été prises, que les Smartiens ne perdront plus. Ainsi, passé les bugs et la période d’adaptation, l’école à distance aura fait ses preuves. Idem pour la télémédecine qui remplacera les médecins dans les déserts médicaux comme elle le fait en ces temps de saturation hospitalière. La « machinerie générale » (Marx) du monde-machine est en train de roder ses procédures dans une expérience à l’échelle du laboratoire planétaire.

Rien pour inquiéter la gauche et ses haut-parleurs. Les plus extrêmes, d’Attac à Lundi matin, en sont encore à conspuer le capitalisme, le néolibéralisme, la casse des services publics et le manque de moyens. Une autre épidémie est possible, avec des masques et des soignants bien payés, et rien ne serait arrivé si l’industrie automobile, les usines chimiques, les multinationales informatiques avaient été gérées collectivement, suivant les principes de la planification démocratique assistée par ordinateur.

Nous avons besoin de masques et de soignants bien payés. Nous avons surtout besoin de regarder en face l’emballement du système industriel, et de combattre l’aveuglement forcené des industrialistes.

Nous, anti-industriels, c’est-à-dire écologistes conséquents, avons toujours été minoritaires. Salut à Giono, Mumford, Ellul & Charbonneau, Orwell et Arendt, Camus, Saint Exupéry, et à quelques autres qui avaient tout vu, tout dit. Et qui nous aident à penser ce qui nous arrive aujourd’hui.

Puisque nous avons du temps et du silence, lisons et méditons. Au cas où il nous viendrait une issue de secours.

Pièces et main-d’œuvre
Grenoble, 22 mars 2020

Notes

1. Rappel : la pollution de l’air tue chaque année 48 000 Français et plus de 100 Grenoblois.
2. http://www.actu-environnement.com, 20/03/20.
3. Idem.
4. Revues Nature et Science, citées par Wikipedia.
5. Cf. Retour à Grenopolis, Pièces et main-d’œuvre, mars 2020, http://www.piecesetmaindoeuvre.com
6. Cf. J.-P. Berlan, La guerre au vivant, Agone, 2001.
7. Pièces et main-d’œuvre, À la recherche du nouvel ennemi. 2001-2025 : rudiments d’histoire contemporaine, Éditions L’Échappée, 2009.
8. « Israël approves mass surveillance to fight coronavirus », https://www.ynetnews.com, 17/03/20
9. https://www.bdi.ox.ac.uk/news/infectious-disease-experts-provide
10. Le Monde, 20/03/20.
11. Le nouveau ministre de la Santé est un médecin grenoblois, député LREM après avoir été suppléant de la socialiste Geneviève Fioraso, ex-ministre de la Recherche. Selon Le Monde, « un ambitieux “inconnu” » qui « sait se placer » (lemonde.fr, 23/03/20).
12. Jean-François Delfraissy, entretien avec Valeurs actuelles, 3/03/18
13. Virus recréé en 2005 par l’équipe du professeur Jeffrey Taubenberger de l’Institut de pathologie de l’armée américaine, ainsi que par des chercheurs de l’université Stony Brook de New York.
14. http://www.lefigaro.fr, 19/03/20.
15. Le Monde, 19/03/20.
16. Cf. « Ville machine, société de contrainte », Pièces et main-d’œuvre, in Kairos, mars 2020 et sur http://www.piecesetmaindoeuvre.com

(Mis en ligne le 22 mars 2020 sur le site de Pièces et main d’œuvre)

ici pdf prete a circuler

Les faux amis du déconfinement

Certaines voix médiatiques se font entendre depuis quelques jours
appelant au déconfinement, notamment par souci de préserver les libertés
individuelles. Mais c’est une conception particulière de la liberté,
celle où autrui est une limite plutôt qu’une extension de ma propre
liberté, et surtout une liberté qui s’incarne dans la valorisation du
capital et l’acquisition de marchandises. Une liberté du libéralisme,
c’est-à-dire une liberté qui s’appuie sur l’exploitation et s’acoquine
avec l’arbitraire.
Nous sommes dans des sociétés basées sur l’exclusion radicale, où
certains et certaines peuvent être considérés comme superflus. A l’image
des déchets qui s’accumulent avec la consommation, de plus en plus de
personnes sont considérées comme des rebus. Le durcissement des peines
de cette machine à broyer qu’est la Justice et les prisons sont aussi là
pour accueillir les rebus de nos sociétés. La taule est d’abord un outil
d’élimination sociale – qui est parfois purement et simplement une
élimination physique, particulièrement dans ces temps épidémiques où le
pouvoir choisit de laisser crever prisonniers et prisonnières dans leur
cage.
L’immunité collective prônée dans un premier temps dans les pays
anglo-saxons face à l’épidémie du coronavirus est motivée par une forme
de darwinisme social propre au capitalisme : les jeunes, les
bien-portants et les riches s’auto-immuniseront pour la plupart, tandis
que les vieux, les inutiles et les bouches à nourrir crèveront. Certains
chiens de garde du libéralisme sont ainsi montés au créneau après
quelques semaines de confinement. C’est le cas d’Eric le Boucher,
journaliste ayant frayé dans la commission d’Etat sur la libération de
la croissance en 2008, macroniste convaincu, qui appelle dans les
colonnes des Echos au déconfinement au nom des libertés individuelles,
mais surtout pour « accélérer la reprise d’activité » en « acceptant les
morts qui vont avec ». Qu’on ne s’y trompe pas, les politiques de
confinement mises en place dans la précipitation sont d’abord là pour
sauvegarder l’économie et la relancer au plus vite. C’est pourquoi
certains et certaines peuvent se retrouver en télétravail, pendant que
d’autres doivent s’exposer au virus en allant au turbin, y compris pour
honorer les contrats d’armement. L’appareil productif doit être le moins
désorganisé possible, même au prix d’une désorganisation partielle
temporaire. L’armée de réserve doit être préservée, mais si le
surnuméraire peut y passer, tant mieux. Le capitalisme fonctionne ainsi.
C’est comme si une fraction toujours plus importante de la population
était excédentaire, en trop. Ce darwinisme social, basé sur l’idée que
la vie repose sur la lutte concurrentielle pour l’existence et dont les
formes les plus modernes se retrouvent aujourd’hui dans les théories
génétiques et sociobiologiques, est un pilier du capitalisme. Si
l’arbitraire du confinement et l’accélération du contrôle social sont à
combattre , encore faut-il préciser les motivations clairement. Ce n’est
certainement pour revenir à la “normale” comme le rêvent ces chiens de
garde, c’est-à-dire une société où les morts quotidiennes moins
médiatiques, les vies amputées et les boulots idiots étaient
relativement acceptés par la majorité des gens. Cette normalité est à
détruire pour faire place à une société plus désirable. Ce n’est pas la
peine de sortir d’un confinement pour retourner se confiner dans la même
société absurde, cynique et autoritaire dans laquelle s’est propagé le
coronavirus.

France – Vers un nouveau durcissement du confinement

Qui peut encore penser un instant que la situation de confinement actuelle n’est pas destinée à se durcir ? Il suffit d’une part d’observer ce qui se fait dans les pays proches (Italie, Espagne) qui ont plusieurs jours d’avance dans la progression du pic de l’épidémie, et d’autre part de comprendre qu’apparemment tout cela passe mieux petit à petit, comme un mauvais remède autoritaire à avaler goutte à goutte en se pinçant le nez avant de s’y habituer, mais pour notre bien à tous. En tout cas si on pense que la domination travaille au bien de ses sujets.

Après la fermeture des écoles (12 mars) puis des lieux publics « non essentiels » le 14 mars après diminution progressive des rassemblements en leur sein (5000 personnes le 29 février, 1000 personnes le 8 mars, 100 personnes le 13 mars), le recours massif à la technologie, la création d’attestations de sorties limitées le 17 mars, l’instauration de peines de prison pour les violations de confinement répétées le 21 mars, la déclaration de l’état d’urgence (sanitaire) et un gouvernement par ordonnances pendant deux mois le 23 mars, la limitation à une heure de sortie par jour par activité personnelle le 24 mars, le déploiement des militaires de Résilience annoncés le 25 mars, il reste encore de la marge, si on regarde ce qui se fait ailleurs : les couvre-feu (déjà en vigueur dans une centaine de communes et dans les colonies*) à horaires extensibles, la fixation d’horaires restreints des magasins de bouffe (deux heures le matin, deux heures l’après-midi) ou même seulement certains jours de la semaine (beaucoup sont déjà fermés le dimanche), la diminution des cas possibles de sortie, la fermeture de certaines entreprises moins essentielles, etc.

Deux prétextes sont idéals pour ce faire, vu le degré de peur et de délégation (critique ou pas, cela ne change rien) absolue à l’Etat : la dramatisation des morts quotidiens du covid-19 qui ne cesseront d’augmenter jusqu’au sommet du pic (un pic qui peut durer, l’Italie et l’Espagne ne sont pas encore en descente de courbe, pour donner une idée ; et les régions du Sud de l’Hexagone ne sont encore qu’en début de courbe), mais aussi pointer tous les « comportements irresponsables » qui justifieront ces durcissements, en faisant classiquement porter le poids de la responsabilité des décès sur chacun. Un truc citoyenniste déjà bien connu en matière d’environnement (trie tes déchets !) ou d’autogestion de la dose d’irradiation, depuis Tchernobyl et Fukushima. Une vieille carotte qui fonctionne plutôt bien, jusque dans les milieux radicaux si axés sur le tout collectif, et qui découvrent soudain le sens du mot « responsabilité individuelle »… mais à l’envers : des individus qui se comportent tous de manière conforme, sans unicité, autonomie ni auto-organisation face à n’importe quel problème, ne sont pas des individus. C’est un troupeau.

Ce 6 avril au soir, le ministre de l’Intérieur vient donc de donner carte blanche aux préfets pour « examiner au cas par cas » la « nécessité de durcir les mesures », « là où des signes de laisser-aller se feraient jour et où ces règles viendraient à être contournées » (histoire aussi de reprendre la main sur les maires zélés). Le cas emblématique cité par le ministre du terrorisme d’Etat est celui des citoyens qui découvrent l’horreur du jogging quotidien. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cela concernera d’autres domaines aussi, et la fameuse question du « jogging » (initialement la possibilité de se dégourdir les jambes tout court une heure par jour, y compris non-sportivement) présente surtout l’avantage de pouvoir raccourcir les distances de circulation autour de chez soi (actuellement 1km), en renforçant également toute possibilité de vérifier policièrement la domiciliation.

Heureusement, tout le monde ne semble pas encore disposé à respecter le Grand Confinement (pour des motifs variés), et ces nouveaux durcissements, s’ils calmeront peut-être ici une partie des réfractaires, augmenteront ailleurs la tension avec la police et le voisinage délateur. Plus chacun se confine selon les modalités de l’Etat, plus il isole les réfractaires combatifs, et cela relève également de la responsabilité individuelle. Briser le confinement pour continuer à alimenter la guerre sociale, chacun chacune à sa manière en prenant bien sûr les précautions d’usage (masqués et gantés), est alors non seulement une manière de faire vivre ses propres perspectives, mais aussi d’être solidaires avec tous les autres qui ne cèdent pas.

* A Mayotte le 24 mars, en Guyane le 25 mars, en Polynésie française le 27 mars, puis en Guadeloupe et en Martinique le 2 avril (entre 20 heures et 5 heures du matin).

 

France : vers un nouveau durcissement du confinement

Le diable se niche…

Parfois, ce n’est ni dans le titre d’un article de journal, ni dans le corps principal du texte, mais au détour d’une petite phrase que se niche l’information importante. Depuis un philosophe allemand qui se proposait d’aller au-delà du Bien (étatique) et du Mal (épidémique), il est d’ailleurs bien connu que le diable se niche parfois dans les détails. Un de ces articles, publié par La Provence du 2 avril, nous apprend ainsi la reprise précoce du travail dans une usine de Marignane. Et pas qu’un peu, puisqu’on y parle de 2200 salariés.

Si le nom de la boîte est certes dans le titre, Airbus Helicopters, tout le bla bla des journaflics se concentre essentiellement sur la seule urgence tolérée du moment, à savoir les mesures de précaution concernant la sécurité de ses collaborateurs en roulements (pas plus d’un millier à la fois). Comme il se doit, la parole est alors donnée aux deux partenaires du pouvoir : la direction toujours confiante, et les syndicats toujours inquiets. Mais pensez-vous que les esclaves salariés ou leurs dignes représentants iraient jusqu’au droit de retrait massif ou au sabotage de l’outil de travail pour l’imposer ? Que nenni, ils sont bien trop attachés à leur chaîne (de production).

Bref, l’info se trouve au creux d’une petite phrase, lâchée par le délégué de la CGC, qui explique que des visites préalables de Safety ambassadors ont été effectuées avant la reprise. C’est même « Pour cette raison, [que] la chaîne d’assemblage du NH90 n’a repris qu’aujourd’hui ». Le NH90, sigle barbare lâché en passant, kesako ? Oh, trop fois rien, juste un hélicoptère militaire de manœuvre et d’assaut bi-turbine européen. Connu sous le sobriquet prometteur de Caïman dans l’armée et la marine françaises, il est issu d’un programme de recherche de l’OTAN, en ayant notamment pour mission « le transport silencieux de groupes d’opérations spéciales, la guerre électronique, l’utilisation de l’appareil en tant que poste de commandement volant, le largage de parachutistes ». Et on vous passe le reste, tant notre estomac éprouve tout de même quelques limites physiques.

Le 23 mars 2020, après quatre petits jours d’interruption, la production du NH90 sur le site de Marignane (Bouches-du-Rhône) a donc enfin pu reprendre, à la grande joie masquée et gantée des 2200 travailleurs qui le produisent. Ben oui quoi, le programme de livraison pour l’armée de terre ne se termine qu’en 2024, celui de la marine en 2021, et pas de bol, les assassins en uniforme de l’opération Barkhane en ont déjà paumé un en plein désert africain l’année dernière.

Pendant que l’industrie de guerre ne cesse de turbiner pour répandre sang et misère grâce à ses esclaves essentiels munis de belles attestations de déplacement professionnel signées Airbus Helicopters, continuez de vous auto-confiner en paix en attendant un illusoire retour à la normalité, braves citoyens. Le monde continue de toute façon de tourner sans vous, quoi que vous en pensiez, et surtout contre vous. A moins que chacun y mette un peu du sien pour sortir et l’en empêcher, bien entendu.

 

Le diable se niche…

Panne électrique – les impacts d’une attaque physique sur le réseau électrique

Renverse.co / lundi 30 mars 2020

“ Tout groupe terroriste qui souhaiterait mettre un pays à genoux a les moyens de le faire. ”
Grégoire Chambaz, Capitaine de l’armée suisse, au sujet des attaques sur le réseau électrique

Qu’ont en commun les aéroports, les installations de traitement de l’eau, les stations-service et les machines à espresso ? Une dépendance à l’égard d’un réseau fiable et stable de production et de distribution d’électricité. Dans le monde entier, nos réseaux électriques sont vieillissants, sur-sollicités, et de plus en plus exposés aux attaques. La centralisation et l’interdépendance accrue de ces réseaux signifient que le risque de défaillance à grande échelle n’a jamais été aussi grand. La prochaine fois que les lumières s’éteindront, elles pourraient ne plus jamais s’allumer.

Avant toute chose, imaginons ce que provoquerait une coupure de courant généralisée (un blackout). D’abord, les lumières, les vidéoprojecteurs et ordinateurs s’éteignent. Faute de pouvoir travailler ou étudier, vous cherchez donc à sortir. Il s’avère que la plupart des portes automatiques et portiques ne marchent plus, mais finalement vous parvenez à regagner la rue.

Vous souhaitez peut-être manger quelque chose. Cela dit, vous rencontrez plusieurs problèmes. Premièrement, si vous n’avez pas de monnaie, vous ne pouvez rien acheter, car la carte bancaire a besoin du réseau pour fonctionner. Au bout de quelques heures, l’ensemble des denrées qui étaient congelées dans les restaurants et supermarchés doivent être consommées ou jetées, ce qui entraine d’énormes pertes. Enfin, la plupart des plaques de cuisson étant électriques, vous devez probablement ressortir votre réchaud de camping pour pouvoir cuisiner.

Bien évidemment, les avions sont immédiatement cloués au sol faute de contrôle aérien. Les trains et transports publics (tram, métro) marchent à l’électricité, ils sont également à l’arrêt. La circulation terrestre est gênée, car les feux de circulation sont éteints, provoquant accidents et ralentissements. Cependant, cela ne dure pas bien longtemps : les pompes à essence fonctionnent aussi à l’électricité. Bientôt, les routes se vident.

Les échanges monétaires cessent, la bourse s’interrompt immédiatement. Sans informatique, sans communication, sans transport, la plupart des activités économiques s’arrêtent.

Vous suivez toutes ces informations avec attention. Puis vos téléphones, les antennes relais et les postes émetteurs n’ont plus d’énergie en stock. À partir de là, les nouvelles ne vous parviennent que de manière sporadique. Les décideurs aussi naviguent à vue : sans instruments de contrôle ou de communication centralisés, ils sont assez impuissants.

Le blackout : un super-risque

Vous l’aurez compris, l’électricité est critique. Elle est nécessaire pour tous les pans de notre activité, et nous ne savons plus vivre sans. Voici ce qu’explique Grégoire Chambaz :

En quoi le risque de blackout est-il si singulier ? Avant tout, il s’agit d’un risque directement lié à un secteur critique, ce qui n’est pas le cas d’une pandémie ou d’une crise économique. Ce secteur critique, c’est l’approvisionnement en électricité. En effet, sans électricité, nos sociétés ne pourraient pas fonctionner. Si elles peuvent se permettre de se passer quelques jours de pétrole, une coupure de courant les affecte immédiatement.

Comment cela se fait-il ? Pour deux raisons principales. La première, c’est que l’électricité irrigue tous les autres secteurs et infrastructures critiques. Ceux-ci sont pratiquement incapables de fonctionner sans elle. La deuxième raison, c’est que le blackout paralyse les deux secteurs critiques les plus importants après l’électricité, à savoir les télécommunications et les systèmes d’information. Sans eux, la coordination devient très difficile, surtout lors d’une situation de crise comme celle d’une coupure de courant. Cette centralité de l’électricité a été mise en évidence en 2010 dans un rapport de l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP) sur la criticité des secteurs critiques. L’OFPP y définit la criticité comme « l’importance relative d’un secteur critique en fonction des effets que son arrêt ou sa destruction auraient pour l’économie et la population ».

Dans ce cadre, le rapport effectue une évaluation qualitative (sur quatre degrés : 0, 1, 2, 3) de l’importance de chaque secteur critique par rapport aux autres. Les résultats font apparaître la centralité de l’approvisionnement électrique, touchant plus de secteurs que tout autre et provoquant le plus d’effets sur l’ensemble (voir tableau ci-dessous). Les systèmes d’information et les télécommunications passent respectivement en deuxième et troisième position. À l’inverse, les secteurs les plus vulnérables à l’arrêt des autres sont les services de secours et hôpitaux. En conséquence, la criticité de l’approvisionnement électrique détermine le blackout comme le risque plus important et motive sa qualification de « super-risque ».

“Le blackout, un « super-risque » : Une explication par la criticalité“, G. Chambaz, RMS No 05-2018 (cf. plus bas)

Recouvrement du réseau

Quand tout le réseau électrique s’est effondré, redémarre-t-il en quelques instants ? Pas si simple. C’est une étape très délicate, parce que la demande doit être en permanence ajustée à l’offre, alors que les consommateurs veulent juste utiliser de l’électricité. Cette reconstruction se fait petit à petit, secteur par secteur, le tout sans télécommunication. Cela peut s’étaler sur des mois. Si le blackout ne dure qu’une journée, la récupération est rapide. S’il dure plus de 48 h, la récupération du réseau est moins probable, voire impossible. Tous les instruments qui pilotent les réseaux sont alimentés eux-mêmes en électricité, ils ont une autonomie de 2 à 5 jours. Une fois qu’ils n’ont plus de batterie, il faut se rendre sur place pour les redémarrer, de manière synchronisée avec le reste du réseau, toujours sans télécommunication. Si l’on n’a pas rétabli le réseau au bout de 5 jours, il ne pourra pas l’être sans aide extérieure. Si le blackout est régional, il y a des services d’urgence et de réparation qui peuvent être dépêchés. S’il est national ou continental, la situation peut perdurer voire même être fatale pour le réseau.

Ce scénario — catastrophique pour certains, rêvé pour d’autres —semble en tout cas irréaliste. Et pourtant… Ce réseau dont nous dépendons tant est loin d’être aussi solide qu’on pourrait le croire. Cela notamment à cause d’un élément : les transformateurs.

Les transformateurs, pièces centrales du réseau

On trouve des transformateurs à tous les niveaux du réseau. Le rôle d’un transformateur est simplement de modifier la tension de l’électricité. Certains l’augmentent pour qu’elle puisse circuler sur de longues distances (sur des lignes « haute tension »), d’autres la baissent afin qu’elle corresponde à la tension de nos prises de courant. Ils sont donc nécessaires pour raccorder les différentes pièces du réseau.

Il y a de très nombreux transformateurs, des petits, standardisés, qui se trouvent toutes les 3 à 4 maisons. En cas de défaillance, ceux-ci sont facilement remplacés. Et puis il y a ceux qui passent de la haute à la basse tension, qui sont énormes (et vieillissants). Ce sont ces derniers qui nous intéressent.

Ces choses sont monstrueuses, elles coûtent des millions d’euros, pèsent jusqu’à 350 tonnes. Elles font la taille de conteneurs d’expédition, entièrement constituées d’acier et de cuivre (métaux qui participent pour moitié au prix exorbitant du matériel). La fabrication de tels équipements est longue (5 à 20 mois), car ils sont élaborés sur mesure. En général, une seule pièce est construite à la fois pour chaque modèle, il n’y a donc pas de pièces de rechange ni de pièces interchangeables. De ce fait, les réparations sont également très longues et complexes.

Leur transport est aussi un casse-tête. Le moyen le plus courant est le rail, mais seuls des wagons spécialisés peuvent supporter le poids. En France, c’est la STSI qui effectue ce genre de transport, elle dispose en tout de 10 wagons spéciaux. Aux États-Unis, ce sont seulement 30 wagons qui existent. Si le lieu n’est pas accessible en chemin de fer, le déplacement se fait par la route. On utilise alors des semi-remorques spécialisés, des « chenilles », dotés de 200 roues. Ils ont besoin d’autorisation pour traverser n’importe quelle municipalité, et il faut modifier la voirie et déplacer des lignes électriques pour permettre le passage. Bref, vous l’aurez compris, la construction comme le déplacement des transformateurs fait qu’ils ne sont pas facilement remplaçables.

Criticité des transformateurs

Nous l’avons dit, les transformateurs sont essentiels pour le réseau. Ils sont installés dans ce qu’on appelle des sous-stations, entourées de murs et de grillage. Certaines sous-stations sont très critiques. Lorsqu’un transformateur tombe en panne, cela peut avoir des effets en cascade sur l’ensemble du réseau. À titre d’exemple, il y a 55 000 sous-stations aux États-Unis. 350 d’entre elles sont les plus critiques. Des études réalisées par le gouvernement états-unien et des entreprises publiques estiment qu’à peine 9 sous-stations mises hors services pourraient faire tomber le réseau américain dans son ensemble pendant 18 mois. Souvenons-nous des conséquences d’un blackout de 5 jours. 18 mois seraient fatal pour le réseau.

Protection des transformateurs

Au vu de la criticité de tels équipements, on s’attendrait à ce qu’ils soient ultra-protégés. En réalité, la sécurité des postes est si déficiente qu’elle en est parfois comique.

Par exemple, une sous-station en Arizona — la sous-station Liberty — est une importante sous-station qui relie de nombreux états du Nord et du Sud sur le réseau occidental. Et en 2013, une série d’attaques physiques ont été menées contre cette station.

D’abord, quelqu’un a coupé les câbles de fibre optique de Liberty, ce qui a désactivé les communications pendant quelques heures. Ils n’ont jamais compris qui avait réalisé cela, ni pour quelle raison. Mais deux semaines plus tard, de multiples alarmes ont commencé à se déclencher dans un centre de contrôle voisin, signalant que quelque chose n’allait pas à la sous-station. Ces alarmes se sont déclenchées pendant deux jours avant que quelqu’un ne soit envoyé pour vérifier. Quand ils sont arrivés, ils ont découvert que la clôture avait été ouverte, que le bâtiment de contrôle avait été cambriolé et qu’on avait utilisé plusieurs des ordinateurs sur place. Lorsque l’équipe de sécurité a vérifié les enregistrements des caméras, elle a réalisé que la plupart d’entre elles pointaient vers le ciel.

Ils ont donc installé de nouvelles caméras. Mais deux mois plus tard, une nouvelle effraction a eu lieu dans la même station. Lorsqu’ils ont vérifié les nouvelles caméras, ils ont découvert qu’aucune d’entre elles ne fonctionnait parce qu’elles n’avaient pas été programmées correctement. Si cet exemple vous a choqué, un autre exemple est encore plus frappant.

L’exemple de l’attaque Metcalf

En 2013 a eu lieu l’attaque la plus mystérieuse et intéressante du réseau électrique 6. Nous sommes donc à Coyote, en Californie, un peu en dehors de San Jose. À cet endroit, une entreprise appelée Metcalf possède une sous-station qui transmet une bonne partie de l’électricité de la Californie.

La nuit du 17 avril 2013, vers 1 heure du matin, quelqu’un s’introduit dans une chambre forte juste à côté de la sous-station et coupe des câbles de fibre optique. Il a fallu un peu de temps à l’opérateur pour s’en rendre compte. Dix minutes plus tard, une autre série de câbles est coupée dans une autre chambre forte à proximité.

30 minutes plus tard, une caméra de sécurité de la sous-station remarque une traînée de lumière au loin. Les enquêteurs comprendront plus tard que cette traînée de lumière était un signal lumineux effectué avec une lampe de poche. Immédiatement après – c’est-à-dire à 1 h 31 du matin — la caméra enregistre au loin le flash des fusils et les étincelles des balles frappant le grillage de la clôture. Toute cette action dans la caméra déclenche une alarme. Il est 1 h 37 du matin, quelques minutes après le début des tirs.

À 1 h 41, 10 minutes après le signal, le département du shérif reçoit un appel au 911 ; c’était en fait l’ingénieur de la centrale qui avait entendu les coups de feu. Le shérif alerté arrive 10 minutes plus tard, mais déjà, tout est calme. Il est arrivé une minute après qu’un autre signal de lampe de poche entraîne la fin de l’attaque.

Sur quoi tiraient les attaquants ? Justement, sur ces très gros transformateurs.

Les transformateurs sont en fait des choses physiquement simples, ce ne sont que des fils de cuivre enroulés dans de grosses cages métalliques. Mais les transformateurs chauffent, énormément, et sont donc refroidis. Pour ce faire, ils ont des réservoirs avec un liquide de refroidissement. Les tirs ont ciblé ces réservoirs de liquide, ils y ont fait des centaines de trous puis le liquide s’est échappé. La police est arrivée et n’a rien remarqué, il faisait sombre, on ne peut pas leur en vouloir. Plus de 200 000 litres d’huile se sont lentement écoulés. Après un petit moment, les transformateurs ont surchauffé et explosé. Un travailleur est arrivé quelques heures plus tard pour constater les dégâts, mais c’était déjà fait.

Cette attaque a alarmé les pouvoirs publics. Le FBI a enquêté. Ils ont trouvé des balles provenant de l’endroit où les attaquants avaient tiré, mais les empreintes digitales avaient été nettoyées. Ils ont trouvé des pierres marquant l’endroit où les attaquants devaient tirer, ce qui signifie qu’ils avaient déjà repéré ce site et savaient exactement où se présenter pour infliger un maximum de dégâts. Le fait d’avoir ciblé le réservoir de refroidissement montre qu’ils savaient quoi cibler pour générer des dégâts.

17 des 21 transformateurs de la sous-station ont été mis hors service. Il en aurait suffi d’un ou deux supplémentaires pour mettre la Californie dans le noir

L’attaque a été qualifiée d’attaque terroriste sophistiquée, exécutée par une équipe de tireurs d’élite. On a pensé qu’elle pouvait être un essai pour une attaque plus importante sur le réseau électrique de la nation. Sauf que, selon le FBI, l’attaque n’était pas particulièrement difficile à réaliser, et elle aurait pu être réalisée par une personne seule, et cette personne n’était pas particulièrement précise dans ses tirs. « Nous ne pensons pas qu’il s’agissait d’une attaque sophistiquée », a déclaré John Lightfoot, qui gère les efforts de lutte contre le terrorisme du FBI dans la région de la Baie. « Il ne faut pas un très haut degré de formation ou d’accès à la technologie pour mener à bien cette attaque ». Quoi qu’il en soit, le FBI n’a aucune piste à ce jour.

17 des 21 transformateurs de la sous-station ont été mis hors service. Il en aurait suffi d’un ou deux supplémentaires pour mettre la Californie dans le noir. En l’occurrence, la compagnie d’électricité a pu rapidement contourner la sous-station. La Silicon Valley a continué à avoir de l’électricité, bien qu’on leur ait demandé de réduire leur consommation d’énergie pour la journée. Les dommages ont été réparés en 27 jours. Si plusieurs sous-stations avaient été touchées dans cette période, empêchant ainsi le re-routage, cela aurait pu être une toute autre histoire

 

Pour aller plus loin :

 

NdAtt. : cet article est issu du blog www.vert-resistance.org, reproduit ici sans demander rien à personne (mais avec des compliments pour le bon travail).

 

* Note d’Attaque : on remarquera que les militaires suisses ont pris en compte les effets qu’une épidémie pourrait avoir sur le réseau électrique de leur pays – à p. 39 (quatrième du fichier) on lit par exemple qu’à leur avis « Une pandémie peut grandement réduire le nombre d’employés du secteur électrique, ceux-ci étant malades, ou absents soit pour s’occuper de leurs proches, soit parce qu’ils craignent pour leur santé. Dans ces conditions, le réseau électrique pourrait ne plus suffisamment être encadré, un facteur de vulnérabilité pouvant mener à un blackout. »

 

Panne électrique – les impacts d’une attaque physique sur le réseau électrique

Plus que jamais, pour l’action directe

Ce texte a pour but de défendre la stratégie de l’action directe comme mode d’action à privilégier par les temps qui courent.

Le contexte répressif, s’aggravant de jours en jours, et les effrayantes dynamiques autoritaires qui se mettent en place, qui s’accélèrent et se consolident actuellement, doivent nous pousser à remettre en question nos manières d’agir.

Un constat, partagé par beaucoup, émerge depuis plusieurs mois: ni la manifestation ni l’émeute ne permettent aujourd’hui une véritable progression de nos idées, de nos revendications et de notre force collective. La manifestation, bien qu’enjolivée par la possibilité du black bloc et du cortège de tête, reste une expérience davantage existentielle que politique. Les victoires que nous y obtenons se limitent à faire reculer des flics ou détruire quelques biens, faire irruption un court instant là où on est indésirables. C’est une petite victoire, c’est vrai, celle de l’instant. Et ça fait du bien, c’est vrai, c’est un moment revendicatif fort. Mais à la fin de la journée, c’est toujours l’État qui gagne.

Nous rêvons d’insurrection, mais en plus d’une année d’émeutes, avec le mouvement des Gilets Jaunes, nous ne sommes pas parvenu-e-s une seule fois à faire durer l’émeute plus d’une journée, ni à la transformer en situation insurrectionnelle.
Et à quel prix? Le renforcement continuel de l’appareil répressif est devenu tel que manifester aujourd’hui relève du calvaire, si bien qu’on assiste à une véritable démobilisation au niveau des manifestations.
L’émeute et la casse, bien qu’essentielles, nous font le plus souvent sombrer dans la représentation et deviennent finalement stériles collectivement, car elles sont devenus routinières.
Il ne s’agit pas de dire n’allons plus en manif’ ou n’émeutons plus. Il s’agit de dire: adaptons-nous quand la stratégie ne paye plus et soyons capables de sortir de nos habitudes, de faire autre chose, de combiner des modes d’actions.
Continuer tel que nous le faisons, c’est perpétuer le cycle néfaste que nous vivons actuellement et dont nous peinons à nous sortir.

Dans le rapport de force qui nous oppose à l’État, reprenons l’initiative, et multiplions les offensives.

Si le mouvement des Gilets Jaunes a bien prouvé une chose, c’est que quand l’État tremble, il peut reculer. En Décembre 2018, l’émeute avait un sens. Elle était inattendue et spontanée, d’où sa force. Aujourd’hui, elle est attendue et donc contenue. Il faut trouver d’autres moyens.

On peut faire trembler les puissants autrement, par une action concrète sur le réel.
L’action directe permet cela. Elle est tout d’abord action physique sur du réel, elle impacte réellement, matériellement, l’état des choses. Contrairement à nos affiches, à nos tracts, à nos articles, à nos médias militants, l’action directe a un impact dans le quotidien «des gens», et ne touche pas que des «militant-e-s». Elle dépasse nos cercles habituels. De ce fait elle est pleinement politique.
Par ailleurs, elle permet de construire des dynamiques positives: une action réussie, c’est une victoire qu’on ne pourra pas nous retirer, ce qui est fait est fait. C’est un acquis. Construire des dynamiques positives, se sentir agissant sur le réel, c’est aussi créer des manières d’agir durables, car tenables psychologiquement. C’est tout le contraire des manifestations actuelles qui nous épuisent, car nous savons qu’elles sont stériles, en plus d’être devenues ultra dangereuses. L’action directe motive, car elle est une activité créative, une invention de tous les instants, et donne le sentiment de reprendre les choses en main.

A un niveau organisationnel, elle est peut-être le mode d’action offensif le plus simple à mettre en œuvre, et paradoxalement, peut-être le plus sûr. Pour réaliser un sabotage efficace, pas besoin d’être en nombre important, ni d’avoir une expérience particulière. L’action directe est à la portée de tous et toutes. Et très peu sont celles et ceux qui se font choper en réalité, car pratiquer l’action directe, c’est avoir l’initiative de l’action, c’est donc avoir un coup d’avance sur les forces répressives, pouvoir prévoir et anticiper, pouvoir se préparer. Il faut aussi absolument faire disparaître cette croyance répandue selon laquelle l’action directe est réservée aux militant-e-s aguerri-e-s, aux expert-e-s, à l’«avant-garde» du mouvement. Elle est à portée de n’importe qui, il faut l’affirmer.
Et faire une manif sauvage aujourd’hui implique plus de savoirs-faire et de risques qu’une action directe illégale.

Stratégiquement enfin, l’action directe est plus qu’intéressante. Elle permet d’attaquer concrètement nos ennemis, que ce soit le patriarcat, le capitalisme, le spécisme ou l’État. Elle permet d’infliger des dégâts réels, et de construire un rapport de force, notamment quand plusieurs actions ciblent les mêmes objectifs. Pour être efficace, l’action directe doit être répétée et permanente, c’est notre difficulté actuelle. Bien que presque tous les jours des actions de ce type soient menées, la stratégie de l’action directe peine à gagner du terrain et à s’étendre. Pourtant quand de véritables campagnes d’actions se lancent, et que des ennemis sont touchés à plusieurs reprises, nous reprenons le contrôle. C’est nous qui avons l’initiative et qui à partir de là pouvons faire craquer nos adversaires.
On peut prendre comme exemple la vague d’attaques de magasins spécistes qui a eu pour mérite de créer un véritable débat à l’échelle nationale autour de la question de l’exploitation animale. Quelques attaques de nuit qui ont eu plus d’impact que des années d’actions pacifistes ou de manifestations sur le sujet. On pourrait citer également la campagne d’attaques antifascistes visant le Bastion Social, et qui, engendrant la destruction de locaux ennemis, a provoqué un affaiblissement considérable du groupuscule fasciste, aujourd’hui démantelé. On peut évoquer l’importante campagne d’actions directes de soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, qui a forcément pesé dans la décisions du gouvernement d’annuler le projet d’aéroport. Les exemples sont multiples, et les manières de faire diverses. Mais toujours, quand des actions directes sont coordonnées, ou simplement ciblent les mêmes objectifs, il y a des résultats probants, et un gain de temps et d’énergie énorme.

Surtout, au vu du contexte actuel encore une fois, il paraît urgent d’assumer une radicalisation de nos moyens d’agir et de nos volontés. Face à nous, le rythme s’accélère. Contre leur radicalisation vers plus de contrôle, plus d’autoritarisme, plus d’oppressions, comprenons que nous aussi nous devons aller plus loin pour pouvoir encore résister, et ne pas être balayé-e-s. Il faut faire acte de résistance, une résistance concrète, et pas seulement symbolique.

Il nous faut donc ré-interroger nos pratiques, ne pas se reposer sur nos acquis, et être conscient-e-s que nous sommes en train de perdre. Pratiquer l’action directe massivement, c’est développer un mode d’action qui peut nous faire reprendre l’avantage dans la guerre sociale actuelle, ou qui au moins, permet de créer des dynamiques positives et offensives, ce dont nous avons cruellement besoin.

Plus que jamais, pour l’action directe

You’ll never riot alone

Une autre pandémie est aujourd’hui en cours sur toute la planète. L’OMS ne s’en occupe pas le moins du monde, ce n’est pas de sa compétence, et les médias tentent de la passer sous silence ou de la minimiser. Mais les gouvernements du monde entier sont préoccupés par le risque qu’elle implique. Cette pandémie est en train de se diffuser dans le sillage du virus biologique qui remplit aujourd’hui les hôpitaux. Elle se répand là où passe le Covid-19, en somme. Elle coupe également le souffle. La peur de la contagion est en effet en train de provoquer la contagion de la rage. Les premiers symptômes de malaise ont tendance à s’aggraver, se transformant d’abord en frustration, puis en désespoir, et enfin en rage. Une rage suite à la disparition, sur décret sanitaire, des dernières miettes de survie qui restaient.

Il est significatif que suite à l’annonce des mesures restrictives prises par l’autorité pour empêcher la propagation de l’épidémie, une sorte d’assignation à résidence volontaire, ce soient justement les personnes qui affrontent déjà quotidiennement la réclusion derrière quatre murs, qui aient mis le feu aux poudres. Le fait d’être privés du peu de contacts humains qui leur restait, qui plus est avec le risque de mourir comme des rats en cage, a déclenché ce qui n’arrivait pas depuis des années. La transformation immédiate de la résignation en fureur.

Tout a commencé dans le pays occidental le plus touché par le virus, l’Italie, où des émeutes ont éclaté le 9 mars dernier dans une trentaine de prisons juste après la suspension des parloirs avec les proches. Au cours des désordres, douze prisonniers sont morts – presque tous « par overdose », selon les infâmes infos ministérielles – et de nombreux autres ont été massacrés. A Foggia, 77 prisonniers ont réussi à profiter de l’occasion pour s’évader (même si malheureusement pour beaucoup d’entre eux, la liberté n’a que trop peu duré). Une telle nouvelle ne pouvait que faire le tour du monde et qui sait si elle n’a pas inspiré les protestations qui, à partir de ce moment-là, se sont diffusées parmi les enterrés-vivants des quatre continents : battages contre les barreaux, grèves de la faim, refus de rentrer en cellule après la promenade… mais pas seulement.

Au Moyen-Orient, le matin du 16 mars, les équipes anti-émeute font irruption dans deux des plus grandes prisons du Liban, à Roumieh et Zahle, pour ramener le calme ; plusieurs témoins parlent de barreaux démontés, de colonnes de fumée, de prisonniers blessés. En Amérique Latine, le 18 mars, une évasion de masse a eu lieu dans la prison de San Carlos (Zulia) au Venezuela, au cours d’une émeute déclenchée là aussi suite à l’annonce des mesures restrictives : 84 prisonniers réussissent à s’évader, 10 sont abattus au cours de la tentative. Le jour d’après, 19 mars, plusieurs prisonniers de la taule de Santiago, au Chili, tentent la fuite. Après avoir pris le contrôle de leur aile, mis le feu au poste de garde, et ouvert les grilles du couloir, ils s’affrontent avec les matons. La tentative d’évasion échoue et est durement réprimée. En Afrique le 20 mars, se produit une nouvelle tentative d’évasion de masse dans la prison Amsinéné de N’Djamena, capitale du Tchad. Encore en Amérique Latine, le 22 mars ce sont les détenus de la prison La Modelo de Bogotà, en Colombie, qui se soulèvent. C’est un massacre : 23 morts et 83 blessés parmi les prisonniers. De nouveau en Europe, le 23 mars, c’est une section de la prison écossaise de Addiewell qui finit aux mains des révoltés et est dévastée. Aux États-Unis, ce même jour, 9 prisonnières s’évadent de la prison pour femmes de Pierre (Dakota du Sud) le jour même où une d’entre elles avait été testée positive au Covid-19 (quatre d’entre elles seront capturées les jours suivants). Toujours le 23 mars, 14 détenus s’évadent d’une prison du comté de Yakima (Washington DC) peu après l’annonce du gouverneur sur l’obligation de rester confiner à la maison. Encore en Asie, la libération « provisoire » de 85 000 prisonniers de droit commun en Iran ne réussit pas à étouffer la rage qui couve dans de nombreuses prisons : le 27 mars, 80 détenus s’évadent de la prison de Saqqez, dans le Kurdistan iranien. Deux jours plus tard, le 29 mars, une autre révolte éclate en Thaïlande dans la prison de Burinam, au nord-est du pays, où plusieurs détenus réussissent à s’échapper. Mais il n’y a pas que les prisons, puisque même les centres où sont enfermés les immigrés sans-papiers s’agitent, comme le démontrent les désordres qui ont éclaté au centre de rétention de Gradisca d’Isonzo, en Italie, le 29 mars. Mais si les prisons à ciel fermé surpeuplées de damnés de la Terre semblent aujourd’hui plus que jamais des bombes à retardement qui explosent petit-à-petit, que dire des prisons à ciel ouvert ? Combien de temps encore la peur de la maladie aura-t-elle le dessus sur la peur de la faim, paralysant les muscles et blessant les esprits ? En Amérique Latine, le 23 mars, 70 personnes prennent d’assaut une grande pharmacie à Tecámac au Mexique ; deux jours plus tard, c’est un supermarché de Oaxaca qui est pillé par une trentaine de personnes. Le même jour, 25 mars, de l’autre côté de l’Océan Atlantique, en Afrique, la police doit disperser à coup de lacrymogènes la foule présente sur le marché de Kisumu, au Kenya. Aux policiers qui les exhortaient de s’enfermer chez eux, les vendeurs et les clients ont répondu : « nous connaissons le risque du Coronavirus, mais nous sommes pauvres ; nous avons besoin de travailler et de manger ». Le lendemain, 26 mars, la police italienne a commencé à stationner devant plusieurs supermarchés de Palerme, après qu’un groupe de personnes a tenté de sortir avec des chariots remplis sans s’arrêter aux caisses dans l’un d’entre eux.

On ne peut pas dire que la mise en résidence surveillée imposée à des centaines de millions de personnes ait complètement stoppée la détermination de ceux qui ont l’intention de saboter ce monde mortifère. La nuit du 18 au 19 mars à Vauclin, sur l’île de la Martinique, un local technique de la compagnie de téléphone Orange est incendié, coupant les lignes à quelques milliers d’usagers. En Allemagne également, où les mesures de confinement ont été décrétées le 16 mars, les attaques nocturnes continuent imperturbablement. Le 18 mars, tandis qu’à Berlin ce sont plusieurs véhicules des concessionnaires Toyota et Mercedes qui partent en fumée, à Cologne ce sont les vitres de la société immobilière Vonovia qui sont brisées. A l’aube du 19 mars, c’est une agence bancaire qui est attaquée à Hambourg, tandis qu’à Berlin c’est le véhicule d’une entreprise de sécurité qui est incendié. La nuit du 19 au 20 mars, la voiture d’un militaire réserviste de Nuremberg est livrée aux flammes pour protester contre la militarisation croissante, à Werder ce sont trois yachts qui sont incendiés, et Berlin perd une autre automobile de sécurité. La nuit du 20 au 21 mars à Leipzig est également incendiée la énième voiture d’une entreprise liée aux technologies de sécurité. Cette même nuit, aussi bien en Allemagne qu’en France certains ont tenté d’arracher l’épine de l’aliénation. La tentative échoue à Paderborn, où les pompiers allemands sauvent de justesse une antenne de téléphonie mobile sur le point de partir en flammes. La chance n’a pas non plus souri aux auteurs de la dégradation de plusieurs câble de fibre optique de Bram, en France. Une partie du village restera sans internet et sans téléphone pendant plusieurs jours, mais les responsables seront arrêtés à cause de la dénonciation de plusieurs témoins. La nuit suivante, celle du 22 mars, la voiture d’un douanier est réduite en cendres près de Hambourg. Ceux qui ont accompli cette action diffuseront un texte où l’on peut lire : « C’est justement dans cette période de pandémie qui s’accompagne de resserrement et de restriction du mouvement de liberté, qu’il est d’autant plus important de préserver sa capacité d’action et de se montrer à soi-même, ainsi qu’à d’autres subversifs, que la lutte contre les contraintes de cette époque continue, même si elle semble folle et difficile. Si on capitule face au souhait de l’État de nous isoler, qu’on se contente d’un haussement d’épaule face à la menace de couvre-feu, on lui donne la possibilité de continuer ses machinations…». Il s’agit d’une pensée qui enflamment les esprits à travers toute la planète, aussi vrai que cette même nuit du 22 au 23 mars c’est l’aéroport international de la Tontouta, en Nouvelle -Calédonie, qui a été pris pour cible (vitrines brisées et véhicules de la douane vandalisés) par ceux qu n’ont évidemment pas d’accord avec les paroles du président du Sénat traditionnel, selon lequel « La violence ne remplace pas le dialogue. Les décisions prises dans l’urgence par les autorités publiques sans explications immédiates ne doivent pas inciter a la violence. »

Mais le fait qui plus que n’importe quel autre pourrait laisser une marque profonde, comme des braises couvant sous des couches de totalitarisme et desquelles pourraient naître des étincelles, est l’émeute qui a éclaté le 27 mars à côté de Wuhan, épicentre de la pandémie actuelle, à cheval entre les Provinces du Hubei et de Jiangxi (la seule qui soit parvenue jusqu’à nous). Des milliers de Chinois à peine sortis d’une quarantaine qui a duré deux mois ont exprimé leurs remerciements et toute leur gratitude pour les mesures restrictives imposées par le gouvernement en attaquant la police qui tentait de bloquer le passage sur le pont du fleuve Yangtsé.

De ce côté du continent, le monde tel que nous l’avons toujours connu vacille depuis un mois. Rien n’est plus comme avant et, comme beaucoup le disent tout en étant d’opinions variées, rien ne sera plus comme avant. Ce qui a remis en cause sa reproduction tranquille n’a de fait pas été l’insurrection, mais bien une catastrophe. Qu’elle soit réelle ou seulement ressentie, ne fait aucune différence. Aucun doute que les gouvernements feront tout pour profiter de cette situation et éliminer toute liberté restante, qui aille au-delà du fait de choisir quelle marchandise consommer. Aucun doute non plus qu’ils ont toutes les cartes techniques en mains pour clore la partie, et imposer un ordre social sans bavures. Ceci dit, on sait que même les mécanismes les plus solides et les plus précis peuvent partie à vau-l’eau pour un rien. Leur calcul des risques estimés, et acceptés, pourrait s’avérer erroné. Dramatiquement erroné et, pour une fois, surtout pour eux. C’est à chacun de nous de faire en sorte que cela arrive.

Traduit de l’italien de Finimondo, 30/03/20