La promesse du Feu

La petite ville de 9000 habitants de Vauclin, située dans les Antilles sur la côte atlantique de la Martinique, présente depuis un mois quelques particularités qu’il serait bien dommage d’ignorer. Par exemple, quand on tire son propre nom de celui d’un colon – le comte de Vauquelin qui a débarqué à partir de 1720 pour faire fortune sur des plantations de canne à sucre et de tabac exploitées avec le sang et la sueur des esclaves–, de garder en mémoire ce que Progrès veut dire.

Avec la pandémie de covid-19, les colonies françaises subissent un traitement spécial, puisqu’elles sont quasi toutes placées sous couvre-feu permanent, et que les troupes militaires de l’opération Résilience ont vite été dépêchées sur place, pour empêcher là comme ailleurs d’éventuels pillages et protéger les infrastructures critiques. La Martinique n’y a pas échappé, avec l’obligation de rester chez soi entre 20h et 5h depuis le 1er avril, et l’arrivée le 19 avril du porte-hélicoptères amphibie Dixmude en provenance de Toulon, notamment chargé d’un hélicoptère de la gendarmerie et de deux autres Puma de l’armée de Terre. De la même façon que les flics et les pandores sont d’importants vecteurs de contamination du covid-19 parmi la population, notamment celle des réfractaires au confinement, les militaires ne sont pas en reste, comme le montrent les plus de mille marins à bord du porte-avion Charles de Gaulle testés positifs. Les assassins en uniforme du Dixmude qui avaient goûté aux charmes du Yémen lors de l’opération anti-piraterie dans l’Océan indien ou à ceux maliens lors de l’intervention française Serval, ne pourront donc certainement qu’admirer de loin le sommet du Mont Vauclin, culminant à un peu plus de 500 mètres.

Tant pis pour eux, car un peu plus en aval, à Morne Carrière, ils auraient pu apercevoir quatre pylônes de 55 mètres de hauteur d’une blancheur étincelante, qui font la fierté des autorités locales depuis 2004, puisqu’il s’agissait du premier « parc éolien » implanté en Martinique (depuis 2019, un second se trouve à Grand-Rivière). Des monstres d’acier propriété du groupe pétrochimique Total (Quadran), concentrant terres rares et métaux arrachés des profondeurs terrestres avec le sang des esclaves modernes, mais qui peuvent également offrir un spectacle remarquable lorsqu’ils s’en donnent la peine, comme cela s’est produit lundi 20 avril.

Après s’être tranquillement consumée en douceur et sans bruit en plein confinement, la turbine d’une de ces quatre éoliennes qui était couchée au sol depuis plusieurs semaines (ou pas selon les sources) a ainsi fini par exploser après manger. Eh ben, n’aurait-elle pas supporté la vue des militaires en rade au point de renoncer à leur fournir de l’énergie ? Ça se comprendrait. S’agirait-il plutôt d’un de ces petits miracles d’auto-combustion aussi spontanée qu’inexplicable qui viendrait se rajouter à la liste de suicides assistés d’aérogénérateurs industriels comme il s’en produit régulièrement en métropole ? Peut-être. S’agirait-il même d’un phénomène de lucidité inédite entre nuisances technologiques, puisque qu’un incendie s’était déjà déclenché le 19 mars dernier dans cette petite commune du Vauclin, cette fois contre un local technique d’Orange, privant 2000 personnes et entreprises d’internet et de téléphone ? Et pourquoi pas.

Alors que les journaflics du coin s’intéressent aux lois de la gravité bien que la saison des cyclones n’ait pas encore débuté (« Chute d’une éolienne et incendie») ou s’alarment surtout des herbes folles (« Une éolienne en feu provoque un feu de broussailles»), il faudrait être un peu rêveur pour noter que les flammes ayant par deux fois touché des piliers de ce monde à un mois d’intervalle, ont dansé près de ces mêmes pentes où s’étaient réfugiés les derniers indiens Caraïbes qui avaient échappé à l’extermination des colons français bénis par les prêtres.

Qu’on se rassure, nul mysticisme ici, juste un petit fil ténu. Selon la légende, leurs derniers combattants de l’autre côté de l’île se seraient suicidés plutôt que de se rendre, en se jetant d’une falaise portant aujourd’hui le nom de Tombeau des Caraïbes. L’un d’eux aurait alors lancé cette malédiction : « La montagne de Feu me vengera ». Les plus superstitieux y verront certainement une prémonition à l’éruption du volcan de la montagne Pelée qui ravagea l’alors capitale de la Martinique deux cents cinquante ans plus tard. Pour notre part, qui sommes plus terre-à-terre, nous y voyons surtout une promesse qui reste toujours d’actualité : le feu comme la plus belle des vengeances face à l’invasion technologique qui amène domestication, dépossession et ravages dans son sillage. Et ce n’est pas cette éolienne noircie par les flammes au Vauclin qui nous démentira.

https://demesure.noblogs.org/archives/1600

Esquisses pour une critique du confinement

Introduction of demesures.noblogs.org

[Malgré quelques désaccords (par exemple sur l’emploi du terme politique, l’absence des révoltes/insoumissions ou son enthousiasme un peu trop collectif à notre goût), Esquisses pour une critique du confinement a trouvé sa place ici.
…Parce qu’il affronte directement la question du confinement avec ses contradictions et absurdités ou comme instrument de pouvoir, sans se cacher derrière son petit doigt ni derrière les idéologies de juste milieu à la mode (genre « ni pour ni contre le confinement », « pour un confinement différent de celui de l’Etat », voire « restons chez nous en attendant le feu vert pour faire ceci ou cela, mais bon quand même, si les crève-la-faim du 93 ou du Liban l’envoient chier, on kiffe pour eux).
…Parce que « Finalement remettre en question le confinement est peut-être la manière la plus sérieuse de considérer la gravité de l’épidémie et de réfléchir aux moyens d’y parer.  »
…Parce qu’ « Au vu de la situation environnementale et des formes de vie capitalistes, des coronavirus risquent fort de venir nous visiter tous les ans. Il nous faudra bien vivre avec eux et ne pas nous barricader chez nous à la moindre alerte. Le risque de la peur de la contagion, c’est la peur de la vie même. »
…Parce qu’ « Il s’agit de ne pas attendre ni la fin du confinement ni la fin du risque épidémique ordonnées par l’État. Il s’agit au contraire de trouver dès maintenant les manières d’y résister, collectivement, et individuellement. »]


Le fil sur lequel se tient l’entièreté de ce texte, c’est le confinement, comme réalité vécue et comme outil de pouvoir.
L’enjeu, l’ambition, n’est absolument pas de produire une réflexion sur la situation dans son ensemble – ce dont nous aurions été bien incapables, et encore moins dans un format comme celui-ci.
« Variations sur le confinement » aurait pu constituer un autre titre.

Esquisses pour une critique du confinement

Confinement : n.m. Fait d’être retiré, enfermé dans des limites étroites. Maintien d’un être vivant dans un milieu de volume restreint et clos.
Syn. « réclusion ».

Un tableau ubuesque

Le confinement généralisé a été décrété du jour au lendemain. Mot inconnu, pratique étrange quelques jours auparavant, le confinement s’est imposé comme une évidence, sans aucune remise en cause corporelle ni théorique. Depuis, l’obéissance est générale.

La rhétorique de la guerre. C’est la forme que choisit le pouvoir pour faire appel à l’effort national. Il fait du personnel soignant ses nouveaux soldats, applaudis chaque soir par celles et ceux qui ne sont pas au front. L’État semble découvrir les conditions lamentables dans lesquelles sont tenues de travailler ces infirmières tout à coup glorifiées. Il supplie l’hôpital de tenir la main de la police pour sauver la Nation. La Nation, cette vieille idée que l’on espérait morte et enterrée. Le tour de force est remarquable ; dans la grande pièce nationale, chacun tient son rôle.

L’État met en scène les discours médicaux pour légitimer son gouvernement. Jusqu’à nouvel ordre, nous n’obéirions donc plus aux hommes politiques mais aux ordonnances médicales agencées par le pouvoir. Face à l’alarme sanitaire et à la dépossession du savoir scientifique, nous n’avons d’autre choix que de nous en remettre aux prescriptions du gouvernement. La peur au ventre, on manifeste à sa fenêtre, pour demander que le personnel soignant soit aussi bien armé que les policiers ; on s’indigne face aux politiques libérales de dislocation de l’hôpital public ; on en appelle à un État plus fort, un État qui enfin prendrait ses responsabilités ; on voudrait remplacer les mauvais politiciens par de bons médecins… Ce sont les seules revendications qui arrivent à émerger dans cette situation de pacification tendue. Démunis, c’est comme si l’arrivée du coronavirus nous avait ôté tout raisonnement critique face à la domination absolue de l’État. L’ordre du confinement est bien gardé.

Pourtant, le confinement à la sauce de l’État ne répond pas à l’exigence médicale préconisée. D’autres l’ont bien montré, les injonctions qui structurent le confinement n’ont aucun sens pratique. Absurdité et incohérence, voilà les sentiments qui nous prennent lorsque l’on sait que l’on doit aller travailler à la centrale Amazon mais qu’il est défendu de se promener sur la plage, ou lorsque l’on voit les grandes surfaces fonctionner à plein régime et les marchés à ciel ouvert interdits de se tenir. La liste des contradictions est longue…

Finalement, cette déraison prend tout son sens si l’on comprend que le seul impératif qui motive ces règles de conduite est le maintien d’un contrat social libéral, qui doit jongler entre logiques sanitaires et intérêts économiques. Il s’agit à la fois de laisser le temps et la possibilité au capitalisme de s’adapter et de laisser une relative liberté au citoyen de consommer comme bon lui semble ; et à la fois de préserver l’apparence d’un « État providence » qui ne laisse pas ses sujets mourir dans la rue, comme ailleurs on a pu le voir.

La mondialisation du confinement et son exécution identique sur la moitié de la population de la Terre renforce encore l’absurdité de cet outil. Le confinement est un produit destiné aux sociétés complètement rationalisées par l’économie et déjà préparées à la séparation des individus. L’application du confinement dans des villes ou des territoires où l’économie n’a pas normalisé tous les espaces et toutes les interactions est impossible sans recours à l’ultra-violence. Ainsi au 20 avril, au Nigeria, le Covid-19 a tué 12 personnes à l’hôpital, la police en a tué 18 dans la rue pour non respect du confinement. Toutes proportions gardées, la violence du confinement est néanmoins partout et la police se défoule dans les quartiers des grandes villes de France.

À la violence et à la peur de la répression s’accompagne le désarroi dans lequel chacun est plongé tant à l’échelle individuelle que collective. L’espace est complètement réduit, complètement vide. Le confinement nous ouvre le temps, le néant qu’il produit nous en prive. Nos journées sont creuses et nous n’avons prise sur rien. Le temps s’étale et nous échappe à la fois. Apathie, ennui, égo-centrisme décuplé, peur d’être empoisonné par autrui, perte de repères, approfondissement des solitudes… c’est tout un environnement affectif et sensible qui est dissous par l’injonction à rester chez soi.

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S’approprier le danger

Il ne s’agit ni d’oublier les innombrables morts du Covid, ni de nier les conditions infernales dans lesquelles les malades sont soignés, ni d’affirmer bien sûr qu’il ne faut rien faire face à la maladie et à sa propagation. Seulement, le confinement ressemble à s’y méprendre à la prescription d’une forte dose d’antibiotiques à spectre large. L’antibiotique en effet tue la bactérie nocive mais dévaste tout par ailleurs. Il peut s’avérer nécessaire dans certains cas, mais tout le monde sait qu’il n’est plus automatique, et que la réparation suite à de tels traitements peut parfois être longue et pénible. La question est alors la suivante : comment répondre à la maladie sans tuer le vivant ?

Si le danger biologique est bien réel, l’enjeu est de ne pas se retrouver terrassé par la peur du virus et de sa diffusion. Mais pour cela, encore faudrait-il que l’on soit en mesure de comprendre la maladie, de cerner les conditions de sa transmission et ses capacités meurtrières. S’approprier les informations transmises par voie médiatique et produites par la frange des institutions médicales et scientifiques inféodées au pouvoir semble le seul moyen – certes insatisfaisant – de construire nos propres pratiques pour faire face au risque épidémique. Car le Covid-19 n’est pas la peste, et il semble possible de trouver des manières de vivre – et non de survivre – avec l’épidémie.

À nous donc de produire nos propres règles sanitaires pour nous protéger et protéger les autres, à commencer par les personnes vulnérables : trouver nos propres « gestes barrière » et les respecter avec sérieux ; nous voir, discuter, réfléchir ensemble ; déterminer les activités à réduire, à arrêter, à poursuivre… le début d’une liste de préoccupations à appréhender et d’applications à concrétiser. Tout ceci, à l’échelle de collectifs ou de groupes singuliers, en fonction de leurs formes, leurs contraintes et des enjeux qui les animent.

Finalement remettre en question le confinement est peut-être la manière la plus sérieuse de considérer la gravité de l’épidémie et de réfléchir aux moyens d’y parer. C’est en se confrontant au virus qu’on développe une intelligence de la situation ; c’est comme si respecter sans le questionner le confinement rendait idiot face au danger.

Il est primordial de s’approprier les manières de faire face à une épidémie. Au vu de la situation environnementale et des formes de vie capitalistes, des coronavirus risquent fort de venir nous visiter tous les ans. Il nous faudra bien vivre avec eux et ne pas nous barricader chez nous à la moindre alerte. Le risque de la peur de la contagion, c’est la peur de la vie même. Soyons inconfinables !

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Un instrument de pouvoir

Assignation à résidence généralisée, le confinement répond davantage à des logiques de pouvoir qu’à des logiques philanthropiques de santé publique. Il devient l’outil privilégié du rêve politique de l’État en situation d’épidémie de coronavirus. Ce rêve, il faudrait pouvoir le décrire précisément. Mais ses contours sont encore flous, et à tout moment ses bordures peuvent se redessiner. Il est néanmoins possible d’affirmer que contrôle et discipline en sont les deux personnages principaux.

La période actuelle ne signe pas une rupture stricte avec un quelconque monde d’avant fantasmé, elle accélère plutôt des processus déjà enclenchés. Le confinement, en tant qu’outil de pouvoir, creuse la séparation entre les individus, renforce le primat de la santé et du médical, confirme la dépolitisation des espaces publics et la primauté des espaces privés, donne une belle occasion pour le législateur de réduire les libertés publiques, poursuit l’intrication des moyens cybernétiques et policiers, permet à l’économie de se reconfigurer une nouvelle fois.

Les pratiques habituelles de maintien de l’ordre ne suffisent pas à expliquer le succès du confinement. C’est bien davantage parce que la règle est intégrée et l’auto-contrôle général que nous restons chez nous. Le phénomène d’épidémie mortelle ne peut générer que de l’obéissance. La peur généralisée de perdre sa vie fait de la seule solution proposée la seule solution envisageable.

Si l’épidémie est une crise, les moyens imposés pour y faire face semblent calibrés pour s’inscrire dans le temps. Autant que les virus reviendront, le confinement sera remis en place à la moindre occasion. Il n’y aucune raison que l’État ne réutilise pas l’outil tant il lui a permis de régir facilement de manière inconditionnelle nos vies. Et ça, le pouvoir même devait en douter avant cette année. Mais peut-être n’aurons-nous pas besoin d’attendre un nouveau virus pour que la logique du confinement, quelque forme qu’elle prenne, s’intègre au plus profond de notre quotidien.

Rappelons-nous le surgissement des Gilets Jaunes, ce « profond et brusque mouvement de déconfinement de la société française, un moment historique où des mondes intérieurs qui n’étaient plus sortis, ne s’étaient plus croisés depuis des années, ont soudain décidé de se rejoindre dans un nouvel espace commun, en dehors des cadres et normes qui régulaient normalement leurs interactions sociales confinées ». La tendance était alors à percer l’ordre établi de la séparation et de l’enfermement. Une année a passé, et c’est comme si nous prenions désormais le chemin inverse, celui du retour à la maison.

Rester chez soi. Y goûter le confort adéquat. Y trouver de quoi rendre la situation vivable… Rester chez soi, c’est toujours réaliser – même à son insu – le paradigme absolu de l’économie, l’administration de la maison. Oikos, la maison ; et nomos, la gestion, voilà comment l’économie considère sa raison d’être. Confortablement confinés, nous invitons plus que jamais l’économie, sa rationalisation, ses contrôles, dans nos intérieurs. Le télétravail comme norme à venir c’est le stéréotype de la vie à domicile. Et l’économie libérale, avec ses flux de marchandises et de capitaux, se satisfera tout à fait de sujets consommateurs et gestionnaires de leurs domiciles. Au plus, l’économie trouvera là l’occasion d’une petite reconfiguration : moins de restaurants, plus de livreurs.

Finalement, avec le confinement, le fossé se creuse entre deux dimensions, pourtant inséparables, de ce qui constitue la vie. D’un côté, notre vie biologique, nue ; de l’autre, notre vie collective, mise en partage. Mais là, il apparaît clairement que le pouvoir fait le choix de circonscrire nos existences à ce qu’elles ont de biologique, pour préparer nos corps à un configuration toujours plus pacifiée et quadrillée de la société. C’est notre survie qui est en jeu, et c’est pour notre bonne santé que le confinement annule le collectif. Peu importe ce que l’on peut en penser, peu importe que cela relègue au second plan nos existences politiques. Ce processus, encore une fois, n’est pas nouveau. Le confinement ne fait que l’accélérer, c’est l’intérêt ultime du pouvoir – ses contrôles ses disciplines – que de le maintenir.

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Prendre du souffle

Nous pensions tous que le confinement aurait un début et une fin. Nous savons maintenant que c’était un leurre. Le confinement perdurera, sous d’autres formes. Le déconfinement tel qu’il semble prévu par l’État ne sera pas la fin du confinement mais sa continuité. « Rien ne sera plus comme avant, et avant longtemps », de la bouche même d’un de ses hauts-lieutenant. Nous ne sommes donc qu’au début d’une longue période de mutation de la gouvernementalité, dont la larve est connue, mais dont nous ne pouvons pour le moment que pressentir les formes et l’étendue de ce qu’elle deviendra.

Alors, comment prendre la mesure de ce qui va changer de manière durable ? Comment comprendre que cette situation impactera sur toute activité politique et de quelles manières ?

Envisager des réponses nécessitera de trouver comment sortir de chez soi, et vite. Il s’agit de ne pas attendre ni la fin du confinement ni la fin du risque épidémique ordonnées par l’État. Il s’agit au contraire de trouver dès maintenant les manières d’y résister, collectivement, et individuellement. Individuellement d’abord pour conjurer la possibilité de s’habituer aux logiques du confinement, voire d’y prendre goût ; collectivement ensuite pour contrecarrer les dispositifs de séparation et d’isolement en ayant des perspectives politiques dans un monde qui les cantonne toujours plus.

Aucune fin à attendre ; des tas de solitudes à conjurer par l’enthousiasme du collectif ; autant d’espaces pacifiés et confinés à enflammer… et mille autres choses à réactiver ou à inventer pour arrêter cette mécanique qui fait que nous sommes sans arrêt apathiques et terrassés.

[Quatre pages reçu par mail le 28 avril 2020]

La crise sanitaire comme outil de domestication

Ce texte a été publié le 3 avril 2020 par la Biblioteca Social Contrabando de Barcelone, un mois après que l’OMS déclarait que le COVID-19 passait d’épidémie à pandémie, et quinze jours après que le gouvernement espagnol décrétait l’état d’urgence et le confinement de la population. Alors que seules les informations des institutions gouvernementales, sanitaires et policières étaient reléguées par les médias, déconstruire le discours officiel sur la pandémie est apparu comme une nécessité : en même temps qu’était annoncée la catastrophe sanitaire pointait l’impossibilité d’énoncer toute critique. Il ne s’agit pas de mettre en doute le virus et son origine biologique – ce qui est un leurre pour dévier notre attention – mais de faire la distinction entre la pandémie et sa mise en scène, entre la menace de la contagion et son instrumentalisation par l’État pour s’assurer un contrôle social total. La crise sanitaire n’est-elle pas une aubaine pour l’État et le Capitalisme ?

Ce texte se veut une contribution au débat sur ce qui est en train de se passer. Il tente de comprendre un peu mieux ce que le récit officiel de l’épidémie nous raconte, ce qu’il nous cache, et la manière dont les institutions le mettent en pratique. Il s’agit de contribuer à la création d’une perspective critique qui puisse servir à affronter ce qui nous attend.

Ce que nous racontent les médias sur l’épidémie ressemble à une histoire d’horreur, et ce qui se passe dans le voisinage et dans les hôpitaux semble en confirmer l’authenticité. L’histoire officielle de cette épidémie dirige notre attention vers certains aspects de la réalité tout en occultant d’autres. Cette histoire paraît familière et semble simplifier trop les choses : une menace, des gentils, des méchants et la promesse d’une fin rassurante. À condition de bien suivre les directives, évidemment ! Les mesures prises par les institutions publiques vont dans le même sens que ce récit et donnent lieu à des situations graves en matière sanitaire et sociale.

Au milieu de la confusion, le récit officiel donne un visage aux agents qui interviennent dans la crise et apporte ainsi un sens concret aux événements. Il indique les voies à suivre pour la gestion sanitaire, sociale et punitive de la crise. Il convient de prêter attention à ce que disent, ce que font et ce que cachent les institutions pour mieux comprendre ce qui se passe. La forme littéraire permet aux autorités de mélanger le social avec le policier, le malade avec les institutions et le virus avec l’indiscipline. Le récit permet l’emprunt de mots et de métaphores entre des sphères différentes, ce qui facilite la gouvernance.

Un virus sauvage

Selon les médias, l’épidémie vient d’Orient, précisément d’une zone où la civilisation et le progrès cohabitent avec le primitif. Il est curieux que la plupart des récits sur les épidémies situent leurs origines loin d’Europe et des États-Unis. Ils présentent le virus comme une manifestation de la nature sauvage. On dit de lui qu’il est féroce, rusé, égoïste, destructeur… des traits à mi-chemin entre l’animal et l’humain. Curieusement, ce sont les mêmes attributs avec lesquels les Romains décrivaient les Barbares. Pour l’Empire romain, étaient barbares celles et ceux qui menaçaient la stabilité de Rome depuis l’extérieur (les peuples voisins) ou depuis l’intérieur (la plèbe rebelle et les esclaves).

Le récit officiel relie le degré de civilisation d’un endroit donné à la force des institutions chargées de la sécurité et de la santé ; un État fort serait synonyme de civilisation. Quand les médias signalent un territoire comme origine de l’épidémie, ce qu’ils annoncent c’est l’imposition dans cette zone de nouvelles mesures de contrôle sanitaire et policier, que ce soit au niveau national ou international. L’alibi le plus fréquent pour justifier la colonisation a toujours été le désir de civiliser l’autre.

Ce qui n’est pas dit, c’est que beaucoup de ces maladies apparaissent dans des territoires récemment urbanisés et industrialisés. Les processus brusques d’urbanisation et d’entassement de la population favorisent la transmission d’agents pathogènes. L’urbanisation intensive des écosystèmes naturels accule la faune dans des espaces réduits. L’industrie agroalimentaire entasse les animaux et introduit des produits chimiques, des antiviraux, des antibiotiques, etc. En général, la transformation soudaine de l’habitat humain et animal favorise l’apparition de maladies. On en a pour exemples la grippe porcine, la grippe aviaire, la maladie de la vache folle, etc. Le Capitalisme a sens cesse besoin de s’étendre et de coloniser des territoires mais il n’apparaîtra jamais comme responsable d’aucune épidémie. Il est beaucoup plus facile d’accuser un peuple lointain et étranger aux mœurs prétendument peu civilisées.

Le virus incarné

Le récit officiel nous suggère qu’en franchissant la barrière des espèces, le virus nous transforme, mais pas tous à la même enseigne. À celles et ceux qui se soumettent à la discipline sanitaire et au contrôle social, malades ou pas, on attribue le rôle de victimes. Les personnes indisciplinées, quant à elles, sont désignées comme étant complices du virus, par égoïsme ou par irresponsabilité, et deviennent des boucs émissaires. La période d’incubation du virus facilite l’apparition de la figure du porteur sain, inconscient de sa propre infection. Le récit officiel accorde beaucoup d’attention à cette figure du porteur sain, le culpabilisant, et génère ainsi une atmosphère de méfiance générale proche de la paranoïa.

Selon la version officielle, la guérison exige une soumission totale aux normes sanitaires et la réalisation d’une sorte de sacrifice. Les sacrifices du et de la malade sont l’isolement et la soumission au traitement médical (quand il a la chance d’en recevoir), pour les autres le sacrifice est le confinement. Dans la Bible, lorsque Jésus soigne un lépreux, il lui recommande d’expier ses péchés par le sacrifice pour guérir complètement. Le lien entre maladie et péché vient de loin sauf qu’aujourd’hui on ne parle plus de rédemption mais de soumission aveugle comme forme de responsabilité sociale.

Cette manière moralisatrice de présenter l’épidémie culpabilise les personnes tandis qu’elle exempt de toutes responsabilités le commerce et la gestion publique. Mais les maladies ne deviennent pas des épidémies par la faute d’une ou plusieurs personnes. Il faut pour cela un contexte favorable qui soit à la fois environnemental, social, économique, infrastructurel, etc. Affronter cela impliquerait de rentrer en collision avec le commerce capitaliste, et ce n’est pas ce que veulent les autorités. Toute personne est susceptible d’être porteuse du virus, c’est pour cela qu’a été décrété notre confinement à la maison, au quartier ou au village, dans le pays. Les autorités nous assurent que c’est pour éviter la contagion, mais en verbalisant les gens qui sortent dans la rue, seul·e·s ou accompagné·e·s d’un·e cohabitant·e, la justification médicale semble laisser place à celle de l’ordre public. On nous informe mal et on nous dit, avec un ton paternel et un langage infantilisant, que nous devons rester à la maison pour notre bien et celui des autres. L’urgence contraint à ne pas questionner les décisions des experts, et encore moins à envisager une autre forme de gestion de la crise ; il n’y a rien à discuter. Le problème c’est que l’urgence devient de plus en plus la norme. En outre, notre totale dépendance au système de santé public, l’absence d’alternatives de base dans ce domaine, fait qu’il est même difficile d’envisager d’autres manières d’affronter l’épidémie.

Le confinement encourage la surexposition aux médias et aux réseaux sociaux. La combinaison d’isolement et de communication télématique génère une culture du confinement dont l’ingrédient principal est le syndrome de Stockholm. De plus, le virtuel se normalise comme substitut aseptisé au réel et aux relations de proximité. Cette culture naturalise le contrôle social, commence à percevoir la rue comme un espace à risques, et la maison comme un refuge serein. Dans ce contexte, l’isolement s’annonce comme une forme d’hygiène sociale qui doit être complétée par la discipline et le maintien de l’ordre. La culture du confinement reproduit les traits de la culture, des valeurs et des habitudes de la classe dominante. La propagande officielle nous dit que nous devons être solidaires et rester à la maison, mais en échange elle fomente à tout instant une culture de l’individualisme, de l’indifférence pour l’autre, du calcul sans émotions, des émotions sans réflexion, une culture qui s’infiltre à domicile par l’intermédiaire des médias et des réseaux cybernétiques. Parce que la majeure partie de la population dépend au quotidien de réseaux informels d’entraide et de solidarité, adopter la culture de l’élite est non seulement frustrant mais aussi suicidaire. Le récit officiel de l’épidémie est le principal promoteur de cette culture du confinement, et c’est le seul qu’on entend pour le moment.

Les rues sont réduites à des lieux de passage pour les travailleur·se·s et les consommateur·rice·s, la ville est pacifiée. Cela ressemble au rêve des premiers urbanistes du XIXe siècle devenu réalité. C’est à cette époque qu’est apparu le terme « contrôle social » pour parler du travail des urbanistes qui incorporaient déjà la logique sanitaire à leurs projets. La planification urbaine devait ordonner l’espace, la mobilité et les interactions entre les individus pour prévenir l’apparition de pathologies médicales (maladies) et sociales (révoltes, mutineries, etc.). Certaines de ces transformations ont eu des effets positifs sur la santé, mais en contrepartie elles ont accru le contrôle social. À l’époque comme aujourd’hui, la soumission et le contrôle social sont le prix à payer en échange de la promesse d’une bonne santé. Quand on transpose le récit officiel de l’épidémie au territoire, il se convertit en un mécanisme de gouvernance en étroite relation avec les processus de gentrification. Ce que cache la version officielle c’est qu’en étant isolé·e·s, nous sommes plus vulnérables aux effets de n’importe quelle crise et du Capitalisme en général.

Ce qu’elle évite de dire aussi, c’est que le verbiage médical sert à maquiller la domestication sanitaire de la population.

Selon le récit officiel, la maison est un espace sûr qui sert de refuge contre la menace extérieure. Cette logique s’applique aussi au domaine institutionnel, et ainsi la fermeture des frontières cherche à immuniser le pays face à la menace extérieure, même si celles-ci étaient déjà fermées à la majorité des humains. Ce transfert du personnel au public prétend, entre autres, stimuler l’identité nationale entendue comme collectivité immunitaire. Les crises sont des moments délicats et les institutions ont besoin de préserver leur légitimité. Les phénomènes biologiques ne respectent pas les limites des frontières ni les contrôles douaniers, et mettent en évidence leur caractère arbitraire, artificiel. De plus, le manque de moyens et le manque de prévision face à la probabilité d’épidémies, montrent que l’État ne tient pas sa promesse de protéger la santé de la population. Tout envelopper dans le drapeau national permet d’éviter que la légitimité des institutions soit atteinte.

La guerre sanitaire

Ces derniers jours, la plupart des décisions gouvernementales ont suivi une logique à mi-chemin entre le médical et le militaire. En principe, voir des militaires et des médecins réunis dans une même conférence de presse peut paraître étrange, mais là non plus il n’y a rien de nouveaui. Durant la Première Guerre mondiale, les épidémies avaient tendance à occasionner beaucoup de pertes, elles représentaient une menace aussi importante que les armées ennemies. Pour les médecins militaires, la patrie était un corps social menacé par les ennemis aussi bien humains que microbiens. Le style belliqueux de la lutte contre l’épidémie, que l’on retrouve autant dans le récit que dans sa mise en pratique, suit cette même logique. Ce qui ne se dit pas c’est que la santé des institutions et celle de la population sont deux choses différentes. On n’explique pas non plus pourquoi la plupart des mesures gouvernementales prises pendant et après la crise ont tendance à empirer les conditions de vie des secteurs les plus opprimés et les plus exploités.

L’ambiance de guerre a converti les médias et les réseaux sociaux en une espèce d’aspirateur de l’attention. Chaque jour les pales (médicale, politique, militaire et policière) de la machine de l’État se mettent à tourner, et génèrent un courant de statistiques, de données et d’émotions qui nous emporte dans la logique institutionnelle. Ce courant statocentrique prétend renforcer le lien entre individus et institutions, en présentant ces dernières comme les seules intermédiaires entre la population et l’épidémie (ou l’incendie, le tremblement de terre, l’inondation, etc). Selon leurs porte-paroles, la guerre sanitaire comporte deux fronts principaux : celui microbien du ressort du personnel sanitaire et scientifique, et celui territorial du ressort de la police. Il est fort probable que la suractivité dans le domaine répressif cherche à dissimuler la faiblesse d’un système sanitaire déjà effondré avant l’épidémie et avant les coupes budgétaires successives. La harangue militaire ne reconnaît pas non plus que ce sont les transformations politiques, économiques et sociales du Capitalisme qui répandent les épidémies. Le discours officiel éclipse le fait que la logique militaire ne fait que contribuer à aggraver les problèmes provoqués par la maladie.

Le courant statocentrique a tendance à affaiblir les liens sociaux qui ne sont pas axées sur les institutions. Ces liens sont nécessaires à la vie, et plus on est dans une situation de vulnérabilité plus on en dépend. La logique immunitaire est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. Les systèmes de santé public et privé monopolisent la gestion de notre santé, et les décisions se prennent entre experts et gestionnaires. Compte tenu de la situation du système public de santé déjà avant la crise, il est probable qu’il n’y avait pas tellement d’autres alternatives que le confinement, mais de toute manière la population n’est pas appelée à donner son avis sur la question. Comme ce fut le cas dans d’autres crises, l’État reprend la main pour gérer les catastrophes produites par le Capitalisme et garantir sa continuité. La gestion publique de cette épidémie semble suivre le modèle chinois, surtout dans le domaine répressif.

Le couronnement des héros

Le récit officiel fonctionne parce qu’il promet une fin rassurante : l’endiguement de l’épidémie. Il nous indique à l’avance qui seront les artisans de la victoire ; les héros seront les institutions sanitaires, scientifiques et punitives, et le gouvernement. En deuxième lieu il y aurait les citoyen·ne·s discipliné·e·s, puis viendraient les porteur·se·s inconscient·e·s du virus et enfin, au fond des enfers, une minorité indisciplinée atteinte par le virus. Cette échelle est parfaitement reconnaissable par le traitement médiatique différencié que reçoit chaque échelon. Le récit officiel fait bien la distinction entre le rôle des héros et des simples soldats qui accomplissent leur devoir, comme le personnel soignant (rémunéré ou non), et le reste des travailleur·se·s qui continuent de travailler. Ceci dit, le couronnement des héros ne sera qu’une pause, jusqu’à la prochaine apparition du virus ou de son cousin. Si ce sont des contextes sociaux, économiques ou géopolitiques à long terme qui provoquent l’apparition des épidémies, alors la prochaine crise nous attend déjà au coin de la rue. Les héros servent de modèles de conduite, ils sont la jonction qui permet aux personnes confinées de pouvoir s’identifier avec les autorités aux commandes. Quand, malgré les héros, le lien sujet-État se fragilise, apparaissent la critique et l’indiscipline, ce qui est la pire des maladies pour une institution.

La nécessité d’une approche critique

Les analystes militaires disent que le langage doit être employé pour confondre l’ennemi, rallier et motiver les amis, et gagner le soutien des spectateur·rice·s hésitant·e·s, et ils ajoutent que la guerre est davantage un duel de narrations que de raisons ou de données. Dans cette guerre sanitaire, l’ennemi est a priori le virus. Ce virus semble avoir pour alliés les relations interpersonnelles non médiées par l’État, et la population indisciplinée. Le récit officiel génère la panique, il court-circuite la capacité critique et renforce la culture de la classe dominante. Il oriente ainsi les axes de travail scientifiques, médicaux et policiers, aggravant la situation déjà délicate de nombreuses personnes. Le récit encourage la soumission aveugle à l’autorité et stigmatise des secteurs précis de la population. Il serait bon de sortir du cloisonnement militaro-sanitaire dans lequel on cherche à nous confiner pour avoir une perspective plus large, c’est-à-dire meilleure.

Crise structurelle, non exceptionnelle

Cette épidémie n’a rien d’un événement singulier et soudain, nous en avons déjà connu d’autres semblables auparavant, quoique à des degrés différents. L’émergence d’épidémies et de guerres dépend de facteurs sociaux, et en cela elles sont en lien avec les formes de la domination. La forme actuelle est le Capitalisme et cela faisait déjà longtemps qu’on nous annonçait qu’il allait de nouveau entrer en crise ; il semblerait que ce soit en train d’arriver. L’épidémie accélère des processus économiques et de contrôle social. Certains de ces processus s’annonçaient déjà depuis longtemps, comme le retour de la crise économique, d’autres en revanche n’étaient encore testés qu’à une plus petite échelle, comme les technologies de contrôle social. C’est maintenant la crise du coronavirus, comme ce fut en 2008 la crise des subprimes, comme il y eut avant celle de la bulle Internet et celle du pétrole. Toutes ces crises sont diverses manifestations d’un Capitalisme en crise permanente, depuis au moins cinquante ans. Sauf que l’originalité de celle-ci est de conduire à la paralysie d’une grande partie de l’économie.

En 2008, le récit officiel décrivait la crise comme une catastrophe naturelle, avec ses tremblements de terre financiers, ses tempêtes sur les marchés, sa sécheresse du crédit, etc. Le Capitalisme se présentait comme un fait naturel, et le remettre en question reviendrait à remettre en question la brise marine. Cette crise tendait aussi à être décrite comme une maladie qui attaquait la santé de l’économie, et à laquelle on injectait de la liquidité pour assainir les comptes. Représenter la crise comme une pathologie occulte la possibilité d’un autre type de diagnostic, comme le fait que la maladie soit le Capitalisme lui-même.

Les épidémies répondent à des causes structurelles, elles sont en lien avec le modèle social dans lequel elles se développent, qui dans ce cas précis est le Capitalisme. Chaque crise que nous vivons répond aux nécessités de transformation du modèle capitaliste.

Le récit sur l’épidémie qu’on nous conte aujourd’hui n’a rien de nouveau, il en existe des versions antérieures. Tandis que la Bible faisait le lien entre maladie et péché, les théologiens médiévaux en raffinèrent l’argument. Dans leurs écrits ils accusaient les hérétiques, les juifs, les gitans et les maures de provoquer des épidémies et d’êtres eux-mêmes un fléau contagieux. La diffusion de ces idées poussa au confinement et à la persécution des populations entières.

Les chroniques des épidémies du XIXe siècle accusaient les personnes migrantes d’être porteuses de maladies, d’autant plus si elles résistaient contre la perte de leur culture d’origine. Les premières femmes qui luttèrent contre les rôles assignés par le Patriarcat furent aussi l’objet de cette accusation. Dans leur cas, on les accusait de propager une maladie au cœur même du corps social, la famille. Le traitement qui leur fut administré fut, une fois encore, de les confiner au foyer. Pendant la Guerre Froide, les porteurs de maladies devinrent plus sinistres. Dissident·e·s et agitateur·rice·s s’infiltraient en catimini dans la population et contaminaient par leurs idées les citoyen·ne·s honorables. Dans ces mêmes années, la lutte anticoloniale amena les métropoles à accuser leurs colonies d’être des territoires dangereux sur le plan sanitaire et prédisposés à la maladie communiste.

Dans tous ces cas, le récit de l’épidémie a eu une structure similaire, des héros et des vilains comparables, et une fin analogue. Finalement, le récit se termine toujours par le renforcement de la culture des élites comme culture dominante, et par la criminalisation de secteurs entiers de la population.

Un virus qui chevauche le Capitalisme

Les agents pathogènes ont besoin d’écosystèmes favorables pour se reproduire, c’est à dire qu’il faut qu’il y ait une relation adéquate entre le virus et les processus sociaux, environnementaux, technologiques, etc. L’industrialisation et l’urbanisation intensives constituent des écosystèmes favorables pour l’émergence d’épidémies, comme toute transformation brutale de l’habitat animal et humain. Le Capitalisme est l’authentique patient 0, tandis que les institutions étatiques s’en lavent les mains et se limitent à gérer les conséquences de l’épidémie. Le modèle social capitaliste repose sur la compétition et l’inégalité, c’est la raison pour laquelle il a besoin de structures qui puissent garantir la sécurité de son commerce et la paix social. L’état d’urgence actuel ne fait qu’intensifier des mesures répressives déjà existantes auparavant, mais il les étend surtout à une grande partie de la société. Le confinement est une mesure qui prétend éviter le contact entre les personnes et entrave les réseaux informels d’amitié et d’entraide. La distance sociale qu’on nous impose nous touche tou·te·s sans exception, mais il y a celles et ceux dont la survie dépend totalement de ces réseaux tel·le·s que les migrant·e·s, les détenu·e·s, les mères célibataires, etc. Et même lorsque on est pas directement concerné·e par ces situations, le confinement aggrave le malaise provoqué par l’exploitation et la domination déjà présentes depuis longtemps. Il y a confinements et confinements.

La « Ley Mordaza »ii a été conçue pour réprimer les protestations durant la crise précédente et elle est devenue un outil fondamental pour punir l’indiscipline à cette période. Il est fort probable que, comme cela s’est passé ailleurs, certaines des mesures exceptionnelles prises aujourd’hui finissent par s’inscrire de manière permanente dans nos vies. Désormais le bâillonnement a une utilité sanitaire.

Agresser la vie

Le Capitalisme nuit à la vie en polluant l’environnement et en détruisant les milieux naturels. Les inégalités et l’exploitation rendent difficile le maintien de la vie collective. La logique capitaliste découpe la vie, elle la divise entre travail productif et travail reproductif, et la convertit en une course suicidaire. L’État attaque la vie avec son système punitif et les guerres. De surcroît, le Capitalisme sacrifie de temps en temps une partie de la population en favorisant la survenue d’épidémies.

La structure du récit officiel est semblable à celle des rites de passage ancestraux, ceux-là mêmes en usage autrefois pour marquer les différentes étapes de la vie (de l’enfance à l’âge adulte, du célibat au couple, etc.). Ces cérémonies servent à préparer les membres de la communauté aux changements qui les attendent. Ces rites de passage avaient l’habitude de se structurer en trois phases, la première étant la séparation du reste de la communauté. Venait ensuite une période de transformation personnelle. Enfin, l’individu réintégrait le groupe en tant que personne nouvelle.

Le récit officiel de l’épidémie et ses applications pratiques prétendent transformer la culture, les valeurs et les habitudes de la population pour les adapter aux besoins du Capitalisme. À cette fin, ils font la promotion d’identités collectives, comme celle du citoyen responsable ou celle du patriote, et ils encouragent des formes déterminées de relations entre les personnes, et entre celles-ci et le milieu naturel. Certains aspects de cette transformation sont déjà perceptibles, comme l’utilisation du foyer comme un espace multi-usages (travail, consommation, éducation, gestion domestique). Dorénavant, la distance sociale est présentée comme une habitude saine, alors que la rencontre qui n’est pas médiée par les institutions génère de la suspicion.

Les processus de transformation du Capitalisme constituent des situations délicates pour les institutions étatiques. Ils mettent en jeu la légitimité des États, qui mobilisent alors beaucoup de ressources et intensifient la violence structurelle et la violence plus visible. Les conséquences de cette manière d’affronter la crise commencent déjà à se voir, et ce n’est que le début.

Défendre la possibilité de vivre dignement, de vivre tout simplement, requiert la capacité de créer une perspective critique sur ce qui est en train de se passer, et sur ce que le récit officiel de l’épidémie dit qu’il se passe. Cela doit se traduire dans la pratique, comme par exemple avec les tentatives de créer des réseaux d’entraide. Ces réseaux constituent une réponse cohérente face à l’attaque des relations entre les personnes et les groupes, et c’est la raison pour laquelle l’État est déjà en train d’essayer de les récupérer pour en faire un exemple de citoyenneté responsable. L’entraide est une bonne base à partir de laquelle dépasser la logique de guerre sanitaire, mais pour éviter qu’elle soit récupérée elle doit aussi marquer clairement la ligne entre les camps. De l’entraide, il faut faire éclater la colère, il faut contribuer à ce qu’émerge son essence anticapitaliste.

Pour y parvenir, nous devons prendre soin de nous-mêmes, et c’est peut-être le meilleur moment pour reconsidérer le fait que laisser allègrement notre santé et notre sécurité aux mains de l’État et du Marché n’est pas la chose la plus sensée. Les réseaux d’entraide, les assemblées de quartier, les collectifs de soutien aux personnes migrantes et détenues, etc. pourraient constituer une bonne base pour tisser de nouveaux liens de solidarité. Ces tissus collectifs pourraient arracher au Pouvoir des espaces d’autonomie, à partir desquels faire face aux agressions de l’État et du Marché et vivre plus dignement.

Biblioteca Social Contrabando, le 3 avril 2020

i Chaque jour, le midi, les radios et télévisions publiques espagnoles diffusent une conférence de presse au cours de laquelle des représentants des autorités sanitaires, militaires et policières mettent à jour les données officielles sur la situation du COVID-19 dans le pays. (NdT)

ii « Loi Bâillon » ou « Loi de sécurité citoyenne » votée au printemps 2015 pour répondre à la contestation sociale qui agite l’Espagne en pleine crise économique. Elle restreint considérablement les libertés individuelles et publiques comme les droits de la presse, de grève, de réunion et de manifestation, en plus de renforcer les capacités répressives de l’État. (NdT)

Porto (Portugal) – Un écrit de Gabriel Pombo Da Silva, depuis la prison (mars-avril)

Étant donné que jusqu’à aujourd’hui notre compagnon Gabriel n’a pas écrit de communiqué officiel, ces quelques mots veulent justement être un communiqué/journal, ainsi qu’une façon de partager avec les personnes et les compas le plus affin.e.s ce qu’il pense à propos de différents sujets.

Gabriel lui-même a expressément demandé à sa compagne de sélectionner les fragments (dans les lettres qui lui sont adressées) où il réfléchit, analyse et/ou spécule sur des questions intéressantes à propos de la situation actuelle : le « coronavirus » en prison, sa situation judiciaire ou des éventements liés à son enfermement.

Gabriel est en bonne santé et garde la pêche et il est prêt pour la guerre qui l’attend dans les taules de l’État espagnol. Malgré la sentence définitive de la Cour suprême de Lisbonne, qui confirme qu’il sera remis à l’État espagnol, nous ne savons toujours pas si les « autorités » vont le livrer, sans tenir compte de l’ « état d’urgence » déclaré suite à la « pandémie » de « Covid-19 ». En effet, ce même « état d’urgence » empêche (théoriquement), pendant toute sa durée, la remise de prisonnier.e.s à d’autres pays.

De plus amples informations suivront.
Liberté pour Gabriel !
Liberté pour tou.te.s !
Vive l’anarchie !


8 mars 2020

Hier, en écoutant (en regardant) les nouvelles à la télé, j’ai deviné que ces misérables allaient nous laisser sans parloirs et aujourd’hui… eh bien, aujourd’hui ça a été une journée de merde…

Tout le monde était (naturellement) énervé… des discussions avec les matons, des conversations frénétiques entre nous et… c’est très simple à résumer : les matons eux-mêmes ont dit aux prisonniers (ceux les plus énervés) de faire ce qu’ils voulaient, de toute façon ils en auraient été responsables… il était question de mettre le feu à des matelas (imagine ça, dans un endroit où il n’y a pas d’air !), de… que sais-je ! Je leur ai évidemment montré quelle était la vraie stratégie des matons (se dédouaner de toute responsabilité et avoir un prétexte pour aggraver notre situation) et quelle devrait être la nôtre. Et la nôtre, évidemment, n’était pas celle-là. Je leur ai dit que la meilleure chose à faire était d’attendre que nos familles, dehors, se rencontrent, qu’elles se réunissent et décident de la meilleure tactique à suivre.

À l’approche de l’heure du déjeuner, on a été décidé de ne pas aller à la cantine et de refuser le repas. Certains (deux ou trois, je crois) y sont allés… ce qui a généré beaucoup de tension. Évidemment (avec les esprits enflammés) ceux qui ont décidé d’aller manger, en sortant de la cantine ont « pris cher »… il y a eu un bordel que tu ne peut même pas imaginer.
Au final… les matons ont pris six ou sept gars pour les mettre à l’isolement… le reste d’entre nous, on est enfermés en cellule… nous sommes aussi en isolement, mais dans « nos » cellules.

C’est l’heure du dîner… seuls trois ou quatre misérables ont frappé aux portes pour demander à dîner ; le reste d’entre nous reste en cellule. Je ne sais pas pendant combien de temps ils vont nous garder comme ça. Je suppose qu’ils veulent nous forcer (par la faim) à sortir, un par un, obéissants. On nous donne aucune nouvelle. Nous sommes comme dans une dictature. Je ne sais pas quand cette lettre arrivera (et s’ils te la feront parvenir). Quoi qu’il en soit, ne t’inquiètes pas… on a connu pire : la dignité n’a pas de prix !

Cette situation compliquée ne peut avoir qu’une seule solution : depuis l’extérieur. Nous sommes complètement à la merci (vraiment) de ces ordures.

Ayant de l’expérience dans ces différends, je sais qu’au fur et à mesure que les gens auront faim (on n’a pas tous de la nourriture dans nos cellule), ou qu’ils seront en « manques » de tabac ou qu’ils voudront respirer de l’air, ils se rendront. La vie est ainsi faite. Je suis fort, j’ai plusieurs paquets de biscuits et quelques fruits. Comme le disait un autocollant : « Désolé pour le désagrément mais on nous torture ».

Fais savoir tout cela. Je ne sais pas s’ils me laisseront passer un appel téléphonique. Si je n’appelle pas, ce qu’ils nous l’en empêchent. (…)

9 mars, matin

La situation, en ce moment (tout est « préventif » : le régime ordinaire auquel nous sommes soumis, les parloirs, etc.), est la suivante : ils ont fait deux tours séparés (divide et impera) pour les sorties des cellules (…), évidemment des tours séparés aussi pour la cantine et les douches (…).

Le pire n’est pas là (ce n’est que la conséquence de la protestation qu’on voulait organiser pour la suspension des parloirs), mais le fait que maintenant la chose la plus importante est passée au second plan. Le fait qu’ici il y a eu une protestation, n’a évidemment pas été relayé par aucun « mass-me(r)dia »… le pire, c’est que comme il y a eu du bordel contre ceux qui ont choisi d’aller manger, tout a foiré. Il est évident qu’une telle forme de protestation (qui devrait être de longue durée, organisée, à l’intérieur comme à l’extérieur, c’est à dire de notre part et de la part de nos proches), ne peut pas réussir si on « s’en prend » à ceux qui ne vont pas dans le sens de la majorité. S’ils méritent ou pas notre mépris, c’est une autre question. La question fondamentale est que tout le monde n’a pas de ressources économiques (et sans la gamelle de la prison, ils seraient donc obligés de jeûner) et, encore moins, de conscience de classe (ou quel que soit le nom qu’on lui donne). Bref, c’est compliqué. Maintenant, ils ont placé trois gars à l’isolement (et les ont tabassés) et ont mis fin à toute possibilité d’organiser quelque chose de collectif, avec un pu de jugeote et de sens pratique. Merde !

Cette histoire de la protestation contre la suppression des parloir devrait être organisée de l’extérieur, avec une proposition commune. Les visiteur .e.s pourraient entrer avec des gants et des masques et le problème serait résolu (du moins selon la logique stupide de l’administration pénitentiaire). Le côté « provisoire » de cette mesure pourrait être transformé en « permanent », et donc, on pourrait rester sans parloirs pendant des mois… c’est là le fond du problème. Il est absurde qu’ils en viennent à appliquer cette mesure à nos proches tandis que les maton.ne.s, les infirmier.e.s, les éducateur.trice.s, etc. entrent et sortent de la prison « sans contrôle ». On est devenus fous ? (…)

Je présume qu’une lutte qui vise les responsables de cette situation nécessite une stratégie collective organisée depuis l’extérieur. Comme tu me l’avais déjà dit, il n’y a même pas un espace où les membres des familles pourraient se rencontrer… figures-toi ! Nous, les anarchistes, nous sommes « toujours » à court de moyens et précaires en tout.

10 mars

C’est une chance que, comme tu me l’as dit aujourd’hui, ma version de ce qui s’est passé ici le 8 mars ait été publiée sur Internet… sinon (et sans d’autres points de vue, contraires) il n’y aurait eu que la version de ces porcs. Je comprends maintenant pourquoi toute à l’heure ils avaient (et ont encore) des visages si… si tristes, en plus de ces regards haineux – qui ne me touchent pas. Ils n’imaginent pas que, par rapport à ce que j’ai vécu/passé, cela (pour moi) me fait rire (…). J’imagine que ces idiots ne savent même pas qui je suis et quelles expériences j’ai accumulé dans des « batailles » en prison.

Ici, ça se n’est pas passé comme il le voulaient certains matons et les prisonniers qui sont de mèche avec eux. Malheureusement, certains des prisonniers qui se sont (à raison) rebellés n’ont pas compris ce que je leur expliquais en matière de stratégie et de tactique… ils n’ont pas compris non plus le coup machiavélique que les matons et leurs laquais étaient en train d’ourdir. Rien de moins que de brûler des matelas ! Ici ! Dans un endroit où l’on ne peut pas ouvrir les fenêtres !

Mon expérience-pratique (c’est à dire ma stratégie) n’aurait pas dû être ignorée. Refuser la gamelle (un geste minimum), attendre le lendemain pour dire aux proches de se réunir « collectivement » quelque part, avec les compas. Une proposition raisonnable était que les parloirs auraient pu être effectuées avec des masques et des gants, en évitant tout contact direct. Le nettoyage avec un désinfectant (de l’eau de javel) des salles de parloirs, après chaque visite (pour cela, ils ont assez d’esclaves, ici).

Bref… avoir cassé la tête des non-grévistes a permis aux matons de mettre plus facilement en place le régime que nous avons maintenant. Mais je suis sûr que si j’avais laissé ces fous brûler leurs matelas, maintenant nous serions beaucoup plus mal en point… mais les trois gars à qui l’on reproche tout cet tumulte sont mal barrés : ils vont découvrir le F.I.E.S. [le régime de haute sécurité en vigueur dans les prisons espagnoles, contre lequel Gabriel a longtemps lutté ; NdAtt.] portugais, dans la prison de Monsanto (dans le sud du Portugal). Ils sont simplement tombés dans le piège de ces provocateurs professionnels. Leur seul « délit » : être jeunes et « stupides ». Les provocateurs restent impunis et sont laissés ici pour de futurs complots. L’histoire de la vie (…) : seul.e.s les malheureux.ses prennent les coups…

(…) Le virus peut aider la Nature à réduire les émissions polluantes… peut-être qu’il va foutre en l’air le système économique et faire éclater les sociétés. Qui sait ? Il est certainement très intéressant de voir ce qu’une « petite bestiole » peut faire… les gouvernements prennent déjà des notes.

16 mars

A part le fait qu’aujourd’hui le chef des matons nous a interdit les haltères (l’excuse : le virus) et nous a enfermés dans les cellules pour manger, je n’ai pas grand chose à dire/raconter sur ma situation. Dégoûté.

17 mars

Je viens de monter de « mes » deux heures de promenade (de l’après-midi), dont j’ai profité pour faire des pompes et d’autres exercices (puisque le chef des gardes nous a retiré les haltères, avec le prétexte du « coronavirus »).
(…) Enfin, rien de nouveau… maintenant tout se passe tranquillement, ça n’a donc plus beaucoup de sens de se précipiter, car l’État (les États) a d’autres priorités, comme garantir la circulation des marchandises (pure logistique) et les travaux indispensables au « bon fonctionnement » de la machine étatique : policier.e.s, maton.ne.s, militaires, médecins, équipes de nettoyage, banquier.e.s et peu plus… le reste des « citoyen.ne.s » peut tranquillement mourir, « volontairement » enfermé.e.s dans leurs appartements/prisons. La panique est si grande que les masses se soumettent volontairement à tout ce que leur dit le ministère de la Santé… c’est comme dans les films post-apocalyptiques que j’aime tant ! Et ça se passe vraiment ! Hallucinant !

Beaucoup de monde imaginerait que quelque chose se ce type allait être accompagné d’émeutes, d’incendies et de pillages à tout-va… eh bien non. Les rues ont été prises par ceux/celles qui étaient les mieux préparé.e.s à ce genre de scénario : la police et l’armée. Les « rebelles » (les citoyen.ne.s progressistes) restent à la maison, collé.e.s devant Internet et aussi impuissant.e.s que le reste des citoyen.ne.s. Comme disait mon grand-père : « celui qui a un cul a peur »… et chacun.e pense au sien (ce moi qui ajoute ce dernier passage).

Pour en revenir au moment présent, aujourd’hui le chef des matons a encore mis à l’isolement (« provisoirement ») un prisonnier qui avait protesté « à voix haute » (à cause de ce qui arrive)… et comme il a beaucoup de pouvoir, il l’a aussi fait tabasser. Hier soir, les matons chantaient, bourrés. Maintenant, les seuls prisonniers qui mangent dans la salle de la cantine (ils doivent être immunisés contre le coronavirus, comme les matons) sont les prisonniers lèche-bottes. Comme tu le vois, ici comme dehors, la seule logique qui prévaut est la loi du plus fort. Ils sélectionnent celles/ceux qui sont fidèles au régime, les autres doivent seulement obéir, faute de quoi elles/ils seront tabassés ou enfermés. Le petit chef peut agir en toute impunité (et encore plus, maintenant, avec l’état d’urgence) car aucun membre de la famille pourra voir et communiquer avec le prisonnier qui a été tabassé…

Publie sur Internet les fragments de ce que je te dis sur ce que ces crapules font ici… peut-être qu’aujourd’hui ils jouissent de l’impunité, mais il y a toujours un lendemain et, d’ailleurs, je le documente aujourd’hui pour qu’il en reste une trace (…).

Je suppose qu’essayer d’organiser une réponse à ce qui se passe actuellement dans les prisons est une mission presque impossible… et c’est impossible parce que la majorité de la société elle-même (d’où viennent les prisonnier.e.s) est emprisonnée par les gouvernements et leurs militaires. La propagande de l’État et de ses différents « expert.e.s » (médecins, journalistes, etc.) est extrêmement puissante : les effets sont évidents pour tout le monde. Seul le sabotage perpétré par des minorités est en mesure de provoquer des effets et de répondre à un tel bio-fascisme capitaliste… nous ne devons pas attendre « les masses », parce qu’elles se comportent toujours comme le dicte l’État-capital. On verra (au fur et à mesure que tout cela se prolonge dans le temps) combien de temps il faut aux gens pour sortir dans la rue, une fois que leurs frigos seront vides et une fois que les maigres ressources (économiques) mises de côté ne suffiront plus pour les besoins les plus élémentaires, une fois que l’on ne pourra plus embrasser ses parents, ami.e.s, amant.e.s, enfermé.e.s ou géographiquement éloigné.e.s : se contenteront-ils/elles de trier leurs déchets ? Se contenteront-ils d’Internet et du téléphone portable ? Ce sont des questions rhétoriques, je sais… moi-même, je vais lire entre les lignes de ce qui va se passer. Tout a une limite ; la peur passera… et avec un peu de « chance » les gouvernements tomberont.

19 mars

En certaines occasions, la solution d’un conflit peut passer par le « dialogue »… quelque chose à laquelle je ne suis pas habitué car, en général, ce n’est pas moi qui cherche les problèmes, mais au contraire j’essaie de les résoudre, au fur et à mesure qu’ils apparaissent. De plus, le dialogue est quelque chose que je ne gère pas très bien, avec ceux/celles qui « me violentent »… en fait, je pense qu’il faut répondre à la violence par une violence plus grande, plus intelligente et plus incisive, car comme le dit Sun Tzu dans « L’art de la guerre » : « quand on décide de se battre, on choisit le terrain et le moment le plus approprié ». Il est évident que les énoncés de Sun Tzu ne sont pas très valables en prison.

Le techno-fascisme panoptique a lieu ici et maintenant… il faut s’appuyer sur du matériel humain assez précaire (quand il n’est pas carrément détérioré) qui ne connaît rien de stratégie ni de tactique… si on ajoute à cela que le « terrain » (c’est-à-dire l’espace) est complètement en leur mains (c’est le domaine des matons) il ne te restent, pour résister, que l’improvisation et l’intelligence (…).

Les matons et les prisonniers lèche-bottes se sont liés pour nous discriminer de leur « régime de vie » en dehors des cellules. Le cerveau est le muscle du sage… et c’est le muscle que j’utilise le plus (bien entendu, leur muscle préféré est la langue…).

22 mars

(…) A la télévision, on ne parle plus que du « virus » (…) si j’étais croyant, je serais convaincu que c’est un signe « divin »… une punition de Dieu lui-même ! Voilà ce qui se passe à jouer avec l’Archange Gabriel, le favori du « Très haut », ha ha !

Maintenant, il ne reste « plus », à la Cour suprême portugaise, qu’à consulter la loi et mette de côté ses téléphones… J’ai lu des dizaines de fois le mémoire des avocats… il est très bien ! Seul un acte de mauvaise foi ou d’ ouverte corruption pourrait donner raison à cette merde corrompue de la Proc’ de Gérone…

24 mars

Sur la question du « Covid-19 » et les façons dont les différents gouvernements se comportent (et le manque de réponse « sociale »), tu vois : […] l’Italie nationalise des entreprises à tout-va ; Israël, grâce à cette « urgence nationale », va continuer avec « Netanyahou » à la barre (maintenant qu’il y avait déjà un pacte multilatéral pour le chasser) et la « justice » s’arrête (évidemment ses procès pour corruption aussi)… s’il y avait déjà une précarisation totale du marché du travail, maintenant de larges masses de travailleur.euse.s sont carrément exclues. Quant à savoir si l’euro sera gardé en tant que monnaie unique, on verra. Les villes se sont révélées être (pour ce qu’elles sont) des décharges toxiques, des prisons pour prolétaires, qui ne servent qu’à administrer la misère et la mort. Quant aux institutions totales de toutes sortes : prisons, asiles, CRA, EHPAD, etc… ce sont des camps d’extermination sélective. Ce virus a mis en évidence les relations de pouvoir. Ceux/celles qui se sentaient « privilégiés » dans l’ancien ordre social ont découvert qu’elles/ils sont aussi précaires que les autres, qu’elles/ils méprisaient. L’économie et le pouvoir règnent en maître et, dans cette partie du monde, ils seront toujours sélectifs et il y aura des « réductions de personnel ». Suivant la logique des films post-apocalyptiques : lorsque la Terre ne sera plus habitable, dans les « vaisseaux spatiaux », il n’y aura de place que pour les personnes les « plus qualifiées » : le roi et son entourage (les autres peuvent crever).

Je suis frappé par la façon dont les organes de propagande médiatique (télévision et presse) sont en train d’exercer leur pouvoir… ou par la façon dont les laboratoires nous vendent de « l’espoir », sous la forme d’un vaccin-miracle. Les Chinois testent déjà leur formule (les cobayes humains ne leur manquent pas) ; les États-Unis disent qu’ils sont proches d’une formule ; l’Allemagne « semble » être proche… on dirait une compétition pharmacologique, pour atténuer les conséquences du virus… et pendant qu’on « rêve » du médicament miracle qui nous libère de la mort, on s’habitue à la mort lente du système capitaliste. Bientôt, on nous dira que le « rationnement », avec ses tickets, est le modèle le plus rationnel pour la survie de l’espèce humaine. Le capitalisme nous dira que le « communisme » est la seule alternative possible : camarade citoyen, je suis en haut et tu es en bas !

Nous vivons une époque très intéressante (du point de vue politique), pleine de possibilités (je commence à éprouver de la sympathie pour la « petite bestiole ») : continuera-t-on à ignorer que le Roi est nu ? Ou alors bien plus d’enfants verront-ils/elles que le pouvoir est nu ? Continuera-t-on à être des serviteurs volontaires et hypocrites ? Je sais… ce sont, encore une fois, des questions rhétoriques… tout ce que je sais, c’est que tant pis (pour l’économie), tant mieux (pour des alternatives). Des nombreuses personnes ont oublié que « celles/ceux qu comptent le moins » sont/nous sommes « les plus nombreux.ses » dans le monde et que le seul virus nuisible que nous avons à exterminer est le capitalisme, avec sa violence autoritaire qui nous affaiblit inexorablement…

(…) Cela m’« amuse » de voir combien les puissant.e.s sont ridicules lorsqu’ils/elles annoncent que « les forces de sécurité » font tout leur possible pour « le bien commun »… elles/eux non plus ne sont pas « à l’abri » du virus (en effet, au Portugal il y a déjà eu des groupes de policiers, de médecins, d’infirmières, de politiciens, etc… infectés) et la bataille entre « le bien et le mal » on la laisse à Nietzsche, qui savait de quoi il parlait.

(…) Eh bien, si je dois être extradé ou libéré, cela doit encore être décidé par la Cour suprême de ce pays, et cela, pour le moment (et pour quelques mois encore) je ne le vois pas arriver… je veux dire que les tribunaux sont presque à l’arrêt et après (quand ils commenceront à fonctionner), il faut compter plus ou moins deux mois pour la cour Suprême et un peu plus pour la cour Constitutionnelle (…).

La vérité est que je préfère me concentrer (et non pas « angoisser ») sur les choses les plus immédiates, comme prendre soin de ma santé, faire du sport, lire (…). Je ne suis pas condamné à mort, je n’ai pas non plus de maladie mortelle… ce qui se passe, c’est une situation de persécution politique évidente, où l’on utilise tous les moyens pour me nuire… mais cela ne peut plus durer longtemps (…) Je dois seulement me concentrer sur le fait de résister (comme je l’ai toujours fait) et me battre pour retrouver ma liberté, une fois pour toutes.

26 mars

C’est vrai qu’il n’y a rien de nouveau qui se passe… depuis que le lien avec l’extérieur a été coupé, la seule chose qui a changé est le régime carcéral, ainsi que le comportement de matons et prisonniers : les matons se croient « tout-puissants » et les prisonniers rampent comme des vers pour « profiter » de quelques miettes, sur le dos d’autres prisonniers… l’observation du comportement des uns et des autres est intéressante, pour quelqu’un qui aime la psychologie, ou même l’anthropologie…

(…) J’attends la fin de la période de bio-fascisme, avec sa dictature et son enfermement totalitaire… en ce moment-même je regarde un « professeur » qui parle à la télé et qui dit qu’il faut s’habituer à ne pas s’embrasser et ne pas s’enlacer, à court terme et à long terme… ils sont malades ! C’est un soulagement de savoir que nous sommes des individus et non pas une partie d’une masse uniforme qui se dirige vers l’abîme.

27 mars

(…) Je crois que je vais rester dans cette situation au moins jusqu’à fin avril ou mi-mai… heureusement, j’ai déjà des expériences antérieures (et sans l’intervention d’un « virus » menaçant) de situations « prophylactiques » et « de quarantaine »… je « m’adapte » donc (psychologiquement) sans difficultés à ces situations « d’urgence »…

Quant au « virus », je ne pourrais pas te dire si je l’ai déjà eu de manière asymptomatique ou si, au contraire, il n’est même pas rentré ici… des vingt-cinq prisonniers que nous sommes ici, car nous sommes aussi séparés (on sort à la promenade huit à la fois), et j’ai des rapports seulement avec un autre prisonnier, je crois qu’il est assez difficile de contacter le « coronavirus »… de toute façon… je n’y pense pas trop, je préfère faire des pompes, des abdominaux et ce genre de choses. Je suis très fort et très grand. Il est évident qu’être fort ne garantit rien, car la bestiole attaque les poumons et c’est mon talon d’Achille physique (…). Ici, ils prennent notre température depuis des semaines… le seul vrai risque ce sont les matons venant de « l’extérieur » : ils sont le seul « agent de risque »… de ce qu’on peut voir (à la télé) les personnes âgées qui meurent dans les maisons de retraite ont été infectées par leurs « soignant.e.s » (puisqu’ils/elles sont resté.e.s sans visites, plus ou moins en même temps que les détenu.e.s) qui n’ont jamais fait de « tests »… et penser tout ce théâtre d’isolement social a soi-disant été fait pour « protéger » les « groupes à risque ». Bien entendu, les gardiens de prison ne sont pas « testé.e.s » non plus… ils ne « testent » que les personnes « présentant des symptômes »… quoi qu’il en soit, la question de la « prévention » et du « rationalisme » du plan stratégique de santé est ridicule et absurde. Sans compter que le plus grand risque d’infection se situe dans les hôpitaux, dans le « service médical ». Tout est fou… j’espère seulement que cette hystérie collective finisse au plus vite, car rien ni personne peut nous « protéger » ou « prendre soin » de nous : bien au contraire…

(…) Quelle merde ! L’appel devant la Cour suprême a été rejeté ! Arriver en Espagne précisément en ce moment ! C’est « un truc de ouf »… j’espère que ça va prendre un peu du retard, mais je ne me fais pas d’illusions… arriver au beau milieu de cette pandémie virale et du chaos totalitaire dans les prisons… moi, asthmatique. Ils n’ont jamais eu une si bonne occasion de se débarrasser de moi sans même pas se salir les mains… merde !

30 mars

Ici, j’ai vu à la télévision portugaise une vidéo que les prisonniers de Custoias (Porto) ont fait avec un téléphone portable… cela m’a fait sourire de voir ces hommes cagoulés menacer de faire une « Revolução », de brûler les prisons… puisque les médias ont déjà énuméré trois matons infectés à Custoias, les prisonniers commencent à avoir peur de « mourir du virus » et c’est pourquoi la télévision parle déjà d’une situation intenable (et de la promesse d’amnistie et d’autres choses du genre) dans les prisons du Nord. Pour autant que je sache, et je connais des prisons plus grandes que celle de Porto, il est possible que déjà cette semaine éclate une émeute… Je dirais que les prisons de Custoias et de Pasos de Ferreira seront parmi les premières. Ce sont des prisons surpeuplées (plus de mille prisonniers chacune), où les matons n’ont aucun contrôle… ce n’est pas comme cette merde-ci où, sur les 30 prisonniers à peine, seuls deux ou trois valent la peine, le reste ne servirait même pas pour engraisser un champ de pommes de terre.

Je crois que les prisons vont exploser non pas à cause de cette vidéo d’hommes cagoulés (opportunément relayée par les médias), ou de ce qu’ils disent (menacent) qui va arriver… mais parce que je sais ce que la peur et le sentiment d’ « injustice » génèrent chez les désespéré.e.s… et d’autre part ça fait déjà un mois qu’ils sont (tout comme nous) sans parloirs, sans nourriture et sans drogues… et cela, ajouté au bombardement médiatique à propos du virus, est la combinaison parfaite pour une tempête (…)

(…) Ils ont déjà commencé à libérer les prisonniers condamnés à des peines (ou des restes de peine) inférieures à deux ans… aussi ceux qui ont des permission de sortie (ce qui, au Portugal, concerne environ 1000 prisonniers sur une population totale de 12000 personnes) et les personnes âgées. Si l’on considère que la population pénitentiaire du Portugal est la plus âgée d’Europe (30% d’entre nous a plus de soixante ans), cela signifie un grand nombre de libérations… l’illusion et le désespoir sont des facteurs de « contrôle ou chaos »… puisque les les allemand.e.s (et je pense que l’Espagne et l’Italie ont fait de même) ont déjà concrétisé les recommandations de l’ONU, en libérant des prisonnier.e.s, les portugais.es aussi vont suivre ce « diktat »…

Quelle coïncidence ! Au journal télé de midi (en ce moment), ils parlent encore des prisonniers… ils disent qu’ils ont doublé la quantité d’anxiolytiques (c’est dit clair et net) ; ils justifient cela en disant que comme la plupart d’entre nous sont des toxicomanes et que, de plus, dans cette situation d’enfermement et de surpeuplement l’anxiété et la peur se multiplient et bla bla bla… voilà…

1er avril

Je ne perds même pas mon temps à la lire la sentence de la Cour suprême… si j’avais un quelconque « espoir » (pour l’appeler ainsi) dans l’autonomie décisionnelle du Portugal, ce n’était qu’une illusion que je n’aurais jamais dû nourrir, en sachant, comme je le sais, que ceux qui gouvernent vraiment (auparavant dans l’ombre, maintenant à la lumière du jour) sont les services de « renseignement » et leurs sbires dans la « société civile » : police, juges, journalistes, etc.

Le « virus » a révélé ce que nous avions annoncé et soupçonné depuis longtemps : le capital et l’État sont le Moloch à détruire… l’ « ère » des technocrates et des « sociaux-démocrates » a déjà épuisé son « rôle historique » aux yeux du monde entier. Celles/ceux qui croient encore (après le « confinement » bio-fasciste) aux « droits » sont carrément des imbéciles…

En ce qui concerne les mesures de « prévention du coronavirus » en prison, il était déjà évident dès le début qui étaient les premier.e.s auxquel.le.s on a commencé à « ôter » leurs « droits » : tou.te.s ceux/celles qui sont stocké.e.s comme de la chair humaine dans des institutions fermées. À quoi servait-il d’annuler les parloirs, si les maton.ne.s et le personnel technique de la prison entrent dans les institutions fermées sans gants ni masques ? La question est rhétorique car la réponse montre, par les faits, qui a vraiment contaminé les personnes âgées dans les maisons de retraite… maintenant l’histoire des EHPAD, au Portugal, est en train d’éclater au grand jour… presque tout le monde le sait !

La directrice du service de santé, Graça Freitas, est directement responsable des dizaines de décès et des centaines d’infections dans les maisons de retraites… et pas seulement ! N’aurait-il pas été « logique », étant donné qu’elle a coupé une possible voie de transmission (les visites des membres des familles), qu’elle finisse par fermer le cercle prophylactique en faisant des tests du Covid-19 aux soignant.e.s et en leur distribuant des gants et des masques ? Évidemment ! Mais cette dame a fait la même chose avec les prisons ! Ce n’est que maintenant (depuis le 30 mars) que les matons entrent avec des gants et des masques… et ce n’est que maintenant qu’ils vont, théoriquement, tester les matons… et pourquoi ? Eh bien, parce qu’il est maintenant évident que les maisons de retraite sont presque toutes contaminées. Et ce n’est que maintenant (depuis le 28 mars) que trois matons contaminés ont été détectés dans la prison de Custoias (Porto)… aujourd’hui (1er avril) on a appris par la télévision que 25 « détenues » sont à l’isolement dans la prison de Santa Cruz Do Bispo et qu’au moins un d’entre elle a été testée positive au Covid-19 ? Il est évident que non. La lecture des faits nous montre qu’il n’y a eu ni une stratégie planifiée, ni des mesures prophylactiques adéquates. La directrice du service de santé a simplement exercé son pouvoir dans certaines institutions, a) parce que les « patients » et les « prisonnier.e.s » ne peuvent pas se défendre et b) parce que les maton.ne.s et les soignant.e.s ne remettent pas en question son pouvoir.

Une autre question est : comment ça a été possible que les membres des familles, les ami.e.s, etc. des prisonnier.e.s et des patient.e.s aient-ils/elles permis cela ? Je te réponds : la foi aveugle dans les autorités et les techniciens ; la peur et le manque de réponses face à l’inconnu… c’est triste, mais cela montre comment les illusions et la confiance que les « citoyen.ne.s » ont dans les « autorités » leur permettent de les utiliser pour que leurs proches deviennent des prisonnier.e.s ou des patient.e.s et elles/ils « meurent » de négligence autoritaire…

Isolé.e.s, sans parloirs (dans certains endroits même sans courrier ni appels téléphoniques), un segment de la société est à la merci du « Moloch » bio-fasciste… et la « société » est confinée dans ses maisons, sans aucun droit de grève, de manifestation, de travail, etc… et les SDF sont libres de mourir dans la rue ou dans des salles de sport… voici un portrait de la société capitaliste ! (…) S’ils ont pu enfermer toute la société, presque dans le monde entier, figure-toi ce qu’ils peuvent faire avec les prisonnier.e.s, les immigré.e.s, les personnes âgées et tou.te.s celles/ceux que ces assassin.e.s génocidaires gardent dans leurs cachots !

Tout ce que je t’écris, tu peux (et tu dois) le publier. Il est évident qu’il pourrait y avoir des alternatives pour concilier « quarantaine » et « communication avec l’extérieure », mais nous ne sommes pas traité.e.s tou.te.s de la même manière…

Dans les prochaines semaines, va commencer le drame de l’émergence du Covid-19 au Portugal… En voyant la bande d’incompétents à la tête des ministère de la santé et de la justice, on verra combien de « camions frigorifiques » pour cadavres il leur faudra dans les prisons et autres centres fermés.

3 avril

(…) Peu importe si c’est un laboratoire ou la Nature qui a créé ce virus… il était nécessaire. Et peu importe s’il nous infecte, moi ou ma mère. La Nature est implacable et l’humanité doit apprendre à la respecter et à la craindre. Il n’existe pas de Nature « sur mesure » pour l’homme, elle n’est pas une « ressource » pour l’humanité. Toute la fierté et l’arrogance scientifique humaines doivent la craindre. Cette fois, le virus a été bienveillant, il ne touche que 2 % de l’humanité et il a respecté les enfants. Il a été moins meurtrier, moins classiste, moins raciste et moins sexiste que le capitalisme. C’est curieux que l’on ait plus peur d’un tel virus que du capitalisme techno-industriel… je suis convaincu que, si le système capitaliste est détruit, nous pourrons créer quelque chose de mieux… on ne peut rien faire de pire que le capitalisme (et ses variantes), c’est sûr. J’espère donc qu’il ne sera pas contenu, qu’il sera naturellement brutal… je n’aimerais pas que, s’il ne s’agissait que d’une « frayeur », l’on voit des imbécil.le.s avec des T-shirts qui disent : « J’ai survécu au Covid-19 ». Le cynisme citoyenniste doit être enterré. Ce n’est pas le 11 septembre, avec des « héros » et des « vilains », qui, après la « frayeur », continuent à chier sur tout (…).

L’autre jour, j’ai vu une histoire étonnante (ou peut-être pas) à la télévision : une chaîne de télévision portugaise (TVI) couvrait les « nouvelles » d’une maison de retraite… soudain, cette « équipe » de journalistes télé a réalisé qu’une vieille dame essayait de s’échapper par l’arrière, en élevant une clôture… que font-ils/elles, les « journalistes » qui « couvraient » (sur un ton alarmiste) le drame qui se déroulait dans la maison de retraite ? Elles/ils ont appelé les soignant.e.s pour que l’on enferme la vieille dame ! La morale est simple : il n’y a aucune empathie et/ou sympathie avec/pour la vieille femme qui cherche la liberté, la possibilité d’une chance de vivre, non. Le drame est pour le/la citoyen.ne scotché.e à la télévision, c’est l’objectivité et la rigueur informative… puis elles/ils sortent le téléphone et balancent pour que l’on rattrape la « vieille femme présumée infectée », qui menace « notre » sécurité : la victime devient un criminel ! Bref… j’ai sympathisé avec la vieille femme et j’ai souhaité la pire des morts à ces balances.

(…) Je suis très curieux de voir comment les gens vont réagir après cet enfermement obligatoire, comment l’économie va aller, comment les gens vont renouer des liens. L’invention de l’union européenne va-t-elle survivre ? Les frontières vont-elles être ouvertes ? Les avions vont-ils revenir, pour traverser les cieux d’un endroit à l’’autre ? Et si le chômage sera si massif que prévu, que feront les gens ? Quels seront les « effets » de la cohabitation forcée à laquelle tout le monde a été soumis ? Ce sont des questions qui éveillent vraiment mon intérêt et ma curiosité. Je me demande également jusqu’à quand et combien de temps les « citoyen.ne.s » seraient prêt.e.s à rester en « confinement » obligatoire.

4 avril

(…) je sui s en train de regarder (et analyser) les « nouvelles » des médias d’état à propos des tests sérologiques qu’ils proposent déjà de faire (ou qu’ils font, carrément) dans des pays comme l’Allemagne, l’Angleterre, la France, l’Italie, les États-Unis et la Chine, pour voir qui est déjà immunisé contre le virus. Tout cela nous indique que le nouveau marché libéral sélectionne déjà la main-d’œuvre « la plus appropriée »… cette « urgence » mondiale a fourni aux États et au Capital d’énormes quantités de données « privées » sur leurs « citoyen.ne.s » et leurs client.e.s… maintenant, tout le monde va donc essayer dans sa propre chair ce que signifie être dans un régime de haute surveillance de type FIES, en 1° grade, 2° grade et/ou régime ouvert. Toute la journée, toujours du monde en uniforme : policier.e.s, militaires et matons ; vigiles, controleur.euse.s et banquiers… (…) et de toute façon l’expérience de la « quarantaine » nous a déjà préparé.e.s à notre entrée dans une « vie-prison » : enfermé.e.s et sans droits ; surveillé.e.s et sans aucun « contrôle » sur nos existences.

Maintenant que nous sommes tou.te.s enfermé.e.s

Maintenant que nous sommes tou.te.s enfermé.e.s, nous savons ce que signifie avoir de la nostalgie, haïr et aimer…
La nostalgie de marcher sous le ciel, alors que la mer se brise sur les rochers.
La nostalgie de rencontrer des ami.e.s et de pouvoir les embrasser.
La nostalgie des amours qu’il nous fait plaisir d’embrasser.
La nostalgie de tout ce dont nous interdit de profiter aujourd’hui.
Maintenant que nous sommes tou.te.s enfermé.e.s, nous savons ce que signifie haïr…
Haïr la monotonie et les conversations fastidieuses auxquelles l’on ne peut pas échapper.
Haïr l’enfermement infect, qui limite et restreint toute notre liberté.
Haïr les jours et les nuits qui se suivent toujours pareils, sans plus.
Haïr les comportements égoïste des autres, que nous ne pouvons pas éviter seul.e.s.
Maintenant que nous sommes tou.te.s enfermé.e.s , nous savons ce que signifie aimer…
Aimer la nature, qui nous permet de respirer.
Aimer l’intelligence, qui nous invite à rêver.
Aimer la sensibilité, qui nous fait jouir.
Aimer la liberté de pouvoir être et rester.
Maintenant que nous sommes tou.te.s enfermé.e.s, il est temps de réfléchir…

Gabriel Pombo Da Silva
Oporto – 29 marzo 2020

 

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attaque.noblogs.org

Premier mai libertaire: ni confiné-e-s ni baillôné-e-s !

Ces premiers mois de 2020 ont été remplis de lutte et d’insurrections
dans le monde : des protestations au Chili aux manifestations constantes
dans l’état français, des émeutes en Grèce à la lutte dans les rues de
Mexico. Nous nous trouvons à un moment ou les différentes luttes
sociales ont des échos dans les rues, ou elles se font plus fortes et
plus visibles. Il semble que l’État a toujours plus de problèmes à
garantir la normalité qui lui sert aussi à maintenir le spectacle
capitaliste. Et bien que la révolution globale ne semble pas avoir de
place présentement, il est incontestable qu’il reste encore des
individualités qui, avec leurs propres moyens, maintiennent vivante la
flamme de la révolte et refusent de laisser leurs vies aux mains de l’État.

Pour l’instant, tous ces événements sont passé au second plan avec la
crise sanitaire provoquée par le COVID-19, ou comme on l’appelle, le
Coronavirus. le 31 décembre 2019, lorsqu’il est fait mention des
premiers cas de ce virus en Chine, personne ne pouvait imaginer comment
les choses allaient se dérouler et maintenant même il semble encore
assez difficile de s’imaginer comment cela va finir. Nous n’avons
surtout pas l’intention d’être alarmistes ni d’augmenter la paranoïa
collective, mais nous pensons en revanche important de donner notre
point de vue sur la situation que sommes en train de vivre.

En quelques semaines à peine, le contrôle social s’est accru de manière
drastique et le pire de tout c’est qu’il n’y ait pas eu la moindre
réponse de la part de la population (c’est tout du moins la sensation
que nous avons eu dans la ville de Barcelone). Non seulement ils ont
obtenu que le fait même de sortir de chez soi puisse être sanctionné,
sauf si c’est pour travailler ou pour “subvenir aux nécessités de base”,
mais ils l’ont fait sans se heurter aucune sorte de résistance. Ainsi il
est une fois plus démontré que le travail est le pilier fondamental de
ce système et que toute lutte voulant en finir avec ce dernier doit se
confronter au travail salarié. L’information qui nous parvient ne nous
permet pas de déterminer si toutes ces “précautions” ont un sens, mais
nous ne devons pas non plus oublier que la science a toujours été au
service du Pouvoir et que celui-ci l’a toujours utilisée pour obtenir ce
qu’il recherchait à chaque époque. Nous voulons aussi faire remarquer
que ces mesures font en sorte que la figure de l’État deviennent, au
moins dans les mentalités de la population, le protecteur des villes.

Ainsi vont les choses, la situation des personnes qui travaillent et des
précaires a également été gravement affectée, que ce soit à cause des
ERTE’s ou parce qu’elles ne peuvent pas toucher de salaire pour arriver
au bout du mois (que ce soient des personnes avec un contrat ou pas). Il
est aussi important d’ajouter à tout cela les subventions que l’État
accorde aux entreprises privées et la charge économique que cela implique.

Ce qui importe maintenant, c’est d’analyser à qui tout cela profite et
qui en paiera les conséquences. Le système économique se base sur
l’investissement, la consommation et l’exploitation des travailleureuses
et des ressources naturelles, mais cette fois il est à l’agonie et et
ils l’amènent directement à une autre crise avec l’excuse de la
pandémie. Quand tout cela se produire, nous nous verrons dirigé-e-s par
nos représentants élus “démocratiquement” vers d’innombrables réformes
imposées par l’Union Européenne visant uniquement à sauver les
oligarchies et à appauvrir nos vies. Tout cela rend clair quelle
position nous devons prendre et quelles alternatives il nous reste.

Vu le panorama actuel, pour notre part, nous optons pour
l’auto-organisation, le soutien mutuel et la confrontation: bien que
nous n’ayons pas provoqué cette crise, la responsabilité de la résoudre
retombe sur nous, pas sur l’État. Par conséquent, cela pourrait être un
bon moment pour démontrer que la solidarité dans notre discours n’est
pas un mot creux . Démontrons que la vie sans État est non seulement
possible, mais aussi nécessaire.

Ce 1er Mai, avec l’état policier en vigueur, nous ne pourrons
certainement pas sortir dans les rues faire des manifestations comme les
autres années, mais cela ne doit pas empêcher de réaliser des actions
contre l’État, le Capital, en solidarité avec les prisonnier-e-s en
lutte …

ATTENTION À DE PROCHAINS APPELS
Premier Mai INDIQUONS LES COUPABLES !!

Prison de Pau (Francia) «La taule sous confinement». Une lettre de Damien

C’est presque un pléonasme !
Certains d’entre vous connaissent la taule, de plus en plus, imaginez-la sans aucune activité. Uniquement la cellule et 1h de promenade par jour.
Tout est fermé et le personnel est réduit. Nous n’avons pas de sport, plus d’école, plus de service social, plus d’infirmerie ni de parloirs.
Ce n’est pas aussi dur que le régime d’isolement DPS que j’ai pu vivre lorsque j’étais accusé de terrorisme, mais on s’en rapproche.
« La carcel dentro de la carcel », disait Xosé Tarrio.

Le temps est long, lorsque tu ne peux même plus aller à la bibliothèque pour te faire prêter un livre, lorsque la salle de muscu est fermée.
L’attitude des matons change aussi : ils portent des masques et nous évitent. Tout devient plus complexe pour la moindre petite demande. Des plus, les timbres se font une denrée rare car ils sont en rupture de stock. De toute façon, entre une lettre et sa réponse, j’ai compté 1 mois de délai, à cause des lettres qui s’empilent dans les centres de triage fermés.
Les parloirs sont fermés, donc il n’y a plus de shit qui rentre dans la prison. Personnellement je ne fume pas, cependant il faut comprendre les conséquences. La prison est une cocotte minute prête à exploser, tout le monde est sous tension, les uns car ils n’ont pas leur dose, les autres car toute l’économie underground est à l’arrêt. Ici la crise économique a déjà lieu, les prix s’envolent et « l’argent » en circulation disparaît (argent = shit et clopes).
Sans monnaie d’échange, dans un système capitaliste, aucune solidarité possible.
En ce moment nous n’avons ni café, ni cigarettes, ni assez à manger, ni le minimum d’hygiène.
Moi-même, je souffre énormément de la situation, car sans économie souterraine et solidarité interne, la solidarité des compas [dehors] n’est pas suffisante au minimum dont j’aurais besoin. D’autant plus que je suis en cellule avec un camarade sans papiers qui n’a rien ni personne et avec qui je partage tout, même mon avocat et mon domicile à l’extérieur.
D’un autre côté, il y a eu un effet bénéfique dont je n’ai pas profité. Toutes les petites peines à part moi sont sortis de la prison, leurs peines ont été annulées. Je suis l’exception car j’ai été incarcéré, il y a quelques années, sous des accusations de terrorisme et que je suis fiché au même titre que les jihadistes.

Je reviens de promenade, où j’ai eu l’occasion de parler de cette lettre ouverte, de nos discussions il est ressorti que j’avais omis de parler du matériel d’hygiène, qui ne nous est pas mis à disposition. Ils nous ont donné 20 centilitres d’eau de javel dilué à 2 % en début d’épidémie et basta. Lorsque l’on demande balais et serpillière pour nettoyer notre cellule, ça n’arrive jamais. Les produits d’entretiens dont la javel, coûtent cher et nous n’avons pas les moyens d’y avoir accès.
D’autres détenus ont mis l’accent sur le manque de matériel de protection fourni par l’État à la pénitentiaire et aux intervenants. En effets, seul celleux qui sortent et rentrent peuvent faire entrer le virus, or si ceux-ci ne sont pas équipés en matériel de protection, ils risquent de nous contaminer. Or, avec la surpopulation et la proximité carcérale, si le virus entre, quelles que soient les mesures prises, tout le monde sera infecté, sans exceptions, et seul les plus forts s’en sortiront.

Je profite de cette lettre pour remercier tous les compas solidaires, emmerder tous les trolls qui utilisent une accusation à tort (et ceci a été démontré) d’il y a quelques années pour discréditer mes faits et dires d’aujourd’hui.
Et j’en profite également pour demander [à qui voudrais entrer en contact avec moi] de m’envoyer une facture téléphonique, afin que j’ai l’autorisation de communiquer avec elleux par téléphone, car le courrier est trop long à s’acheminer.

Un merci particulier pour les compas de Bure pour leur magnifique carte […], à tou(te)s celleux qui agissent dans la lumière ou dans l’ombre pour briser la société carcérale.

Damien
Maison d’arrêt de Pau
2 avril 2020


Note d’Attaque : le compagnon ajoute à un autre endroit que les matons justifient les rations de la gamelle de plus en plus petites avec les difficultés que la prison aurait à se faire livrer, à cause de la « pénurie »… Il dit également qu’il y a eu, dans les dernières semaines, des tentatives de blocage de la promenade, mais qu’elle ont rapidement échoué. 

Pour lui écrire :

Damien Camélio
n° d’écrou : 28499
Maison d’arrêt de Pau
14 bis, rue Viard
64000 – Pau
France

[Depuis attaque.noblogs.org].

Carcere di Pau (Francia) «La galera durante il confinamento». Una lettera di Damien

È quasi un pleonasmo!
Alcuni di voi, sempre di più, conoscono la galera, immaginatela senza alcuna attività. Solo la cella e un’ora d’aria al giorno.
Tutto è chiuso e il personale è ridotto. Non abbiamo sport, non c’è più la scuola, non c’è più l’infermeria, né i colloqui.
Non è così duro come il regime d’isolamento DPS [Déténu particulièrement signalé, per i prigionieri considerati pericolosi] che ho potuto vivere quando ero accusato di terrorismo, ma ci siamo vicini.
“La carcel dentro de la carcel”, diceva Xosé Tarrio.

Il tempo è lungo, quando non puoi nemmeno più andare alla biblioteca per farti prestare un libro, quando la palestra è chiusa.
Anche l’atteggiamento dei secondini cambia: portano delle maschere e ci evitano. Tutto diventa più complesso, anche la più piccola domandina. In più, i francobolli diventano merce rara, non ce ne sono più in riserva. Ad ogni modo, fra una lettera e la sua risposta, ho contato un mese di intervallo, a causa delle lettere che si ammucchiano nei centri di smistamento della posta, chiusi.
I colloqui sono aboliti, quindi l’hashish non entra più in prigione. Personalmente, non ne fumo, ma bisogna capire le conseguenze. La prigione è una pentola a pressione pronta ad esplodere, tutti sono tesi, gli uni perché non hanno la loro dose, gli altri perché tutta l’economia sotterranea è ferma. Qui c’è già la crisi economica, i prezzi sono alti e “il denaro” sparisce dalla circolazione (denaro: hashish e sigarette).
Senza una moneta di scambio, in un sistema capitalista, nessuna solidarità è possibile.
In questo momento, non abbiamo né caffè, né sigarette, né abbastanza da mangiare, né un minimo d’igiene.
Io stesso soffro enormemente della situazione, perché senza economia sotterranea e solidarietà interna, la solidaritetà dei/delle compas [fuori] non è sufficiente al minimo di cui avrei bisogno. Tanto più che sono in cella con un compagno sans-papiers che non ha nulla né nessuno fuori e con il quale condivido tutto, anche l’avvocato ed il mio domicilio fuori.
D’altra parte, c’è stato un effetto benefico, di cui non ho potuto usufruire. Tutti i prigionieri condannati a piccole pene, a parte me, sono usciti di prigione, le loro pene sono state annullate. Sono l’eccezione perché sono stato incarcerato, qualche anno fa, con delle accuse di terrorismo e sono schedato alla stessa stregua degli jihadisti.

Sono appena tornato dall’ora d’aria, in cui ho avuto l’occasione di parlare di questa lettera aperta; dalle nostre discussioni è saltato fuori che avevo omesso di parlare del materiale di pulizia, che non ci viene messo a disposizione. Ci hanno dato 20 centilitri di candeggina diluita al 2%, all’inizio dell’epidemia, poi basta. Quando chiediamo scopa e strofinaccio per pulire la cella, non arrivano mai. I prodotti per le pulizie, come la candeggina, costano caro e non abbiamo i mezzi finanziari per accedervi.
Altri detenti hanno messo l’accento sulla mancanza di materiale di protezione fornito dallo Stato agli agenti della penitenziaria ed ai volontari. In effetti, solo quelli/e che escono e rientrano possono fare entrare il virus, e se queste persone non sono equipaggiate di materiale di protezione, rischiano di contaminarci. Ora, con il sovraffollamento e la vicinanza all’interno del carcere, se il virus entra, qualunque siano le misure prese, tutti saranno infettati e solo i più forti se la caveranno.

Approfitto di questa lettera per ringraziare tutti i compagni solidali, sputare in faccia a tutti i troll che a torto utilizzano un’accusa (e questo è stato dimostrato), di qualche anno fa, per screditare quello che faccio e dico oggi.
E ne approfitto anche per chiedere [a chi volesse entrare in contatto con me] di mandarmi una fattura del telefono, affinché possa avere l’autorizzazione di comunicare per telefono, perché le lettere ci mettono troppo tempo.

Un grazie particolare ai compas di Bure, per la loro magnifica cartolina […], a tutti/e quelli/e che agiscono, alla luce del sole o nell’ombra, per distruggere la società carceraria.

Damien
prigione di Pau
2 aprile 2020


Nota d’Attaque: in altro luogo, il compagno aggiunge che i secondini giustificano le razioni di cibo sempre più piccole con le difficoltà che il carcere avrebbe a rifornirsi, a causa della “carenza”… [non c’è nessuna carenza nella produzione e nella distribuzione alimentare in Francia (ma ci sono troppi poveri che soffrono la fame ancor più del solito)]. Dice anche che ci sono stati, in queste ultime settimane, dei tentativi di bloccare il cortile, ma che sono falliti in fretta.

Per scrivergli (Damien parla francese e spagnolo):

Damien Camélio
n° d’écrou : 28499
Maison d’arrêt de Pau
14 bis, rue Viard
64000 Pau
Francia

[Ricevuto via e-mail, testo francese pubblicato in attaque.noblogs.org].

Pour un bon confit

Un confit est une préparation culinaire qui consiste à faire cuire lentement des aliments dans du sucre ou dans de la graisse. Ce procédé va permettre de mieux les conserver.

L’annonce de l’arrivée du Coronavirus sur le territoire national est vue comme le nouvel ennemi intérieur à combattre. Nous étions (presque) habitués au vocabulaire belliqueux des médias et des gouvernements, vocabulaire en accord avec un état d’urgence exceptionnel mis en place de façon durable pour palier à un terrorisme diffus, mal connu mais reconnaissable à son visage barbu, à un k-way jaune ou encore un à gilet noir. Nous étions habitués aux dispositifs d’exceptions (caméras, fichage ADN, repérage GPS grâce aux smartphones). On se savait surveillés mais tant que nous n’avions rien à nous reprocher, nous pouvions circuler en toute tranquillité dans la smart-city, de notre lieu de vie à notre lieu de travail en passant au supermarché et même jusqu’au bureau de vote. Une douce vie en somme, que venaient perturber certes quelques drôles d’énergumènes adeptes d’une promenade hebdomadaire en groupe qui malgré une pluie de gaz lacrymogène criaient « anti-capitaliste, à bas le gouvernement ».

Cependant, voilà que le 16 mars nos vies basculent, notre nouvel ennemi commun n’a pas de visage, pas de « signes particuliers » et il est difficile de le prendre sur le fait en train de « commettre un acte en vue de », a priori il est invisible aux caméras et pire encore il est partout, dans l’air. On se demande alors si respirer pourrait devenir un acte de collaboration avec l’ennemi.

Le nombre de morts en Mediterranée, la résurgence de la syphilis et de la tuberculose dans la Jungle à calais, n’auraient ils pas dû aussi mériter alors l’élan de la société, réquisitionnée aujourd’hui au nom d’une guerre invisible. Notre société immuno-dépressive se jette à corps perdu dans les bras de mesures qui laisseront autant de séquelles que ce virus. Les handicapés confinés dans les MAS, shootés au valium pour supporter la solitude, la privation des familles, ne s’en remettront peut être pas ; mais ce n’est pas l’épanouissement des corps et des êtres qui est en jeu, mais le mythe de la nation pour oublier que cette guerre a commencé avant. Par la destruction de tout ce qui était initiative collective à petite échelle, coupe budgétaire et centralisation des structures hospitalières. On ne réparera pas ce qui a été détruit par quelques médailles et une cagnotte illusoire. Les soignants sont trop cons d’avoir laissé partir en miette ce qui donnait un sens à ce métier. Et pour ceux qui ont lutté jusqu’à perdre leur propre santé, c’est amer de voir que la classe moyenne redécouvrant sa mortalité s’intéresse soudain à ce que les hôpitaux aient effectivement de quoi soigner.

Dans ce contexte de rabattage médiatique il devient de plus en plus complexe de réfléchir à ce qui nous agresse, et de comprendre comment nous pouvons et voulons nous en défendre singulièrement et collectivement. La crise du virus covid implique un pan bien plus large de notre existence qu’une crise sanitaire.

La réappropriation du corps, des soins, de la santé, il s’agit bien de cela ; mais on ne se l’autorise plus en temps de pandémie. La situation nous coule entre les doigts et l’on se résignera à attendre la réponse miracle à genoux car nous n’avons pas confiance en notre capacité de réflexion.

L’immunologie est une partie de la médecine qui est complexe, s’y pencher paraît intéressant ces temps-ci. Quand certains ne parleront pas de la situation pour ne pas prendre la parole des médecins, ceux-ci sont eux-mêmes dépassés dans les services par manque de connaissance et de pratique face à un virus nouveau. La médecine n’est pas une science exacte mais nous avons du mal à l’accepter, comme le fait que notre système de santé est en délabrement et que sa course après une technologie à la pointe cache bien des manques de base. L’immunologie n’est peut-être pas à la portée de tous pour soigner les patients à l’hôpital mais elle peut l’être pour se pencher sur la sienne.

Se pencher une minute sur quelques bases ne permettra pas des connaissances solides mais peut-être d’y être curieux.

Le système immunitaire agit à plusieurs niveaux et est difficilement prévisible d’une personne à l’autre. Une première barrière nous protège de ce qui nous attaque, ce sont d’abord peau, poils, muqueuses et sécrétions qui sont en contact avec l’extérieur qui procèdent à un tri. Les cellules du système immunitaire prennent le relais en détectant si ces cellules étrangères sont porteuses d’une bactérie ou d’un virus qui pourrait attaquer notre organisme. En d’autres termes, des cellules nous constituent, d’autres nous sont extérieures et inoffensives et d’autres encore nous attaquent. Il s’agit pour l’organisme de différencier ce qui nous constitue de ce qui nous détruit.

Deux types de défenses s’appliquent ; innée et adaptative. La défense innée est ce qui déclenche les réactions inflammatoires à chaque agression, pour prévenir du danger. lors d’une plaie par exemple, une peau qui devient rouge, gonflée et chaude est en pleine réaction inflammatoire, elle prévient le corps par la douleur et l’aspect qu ‘il y a quelque chose qui cloche. Cette défense innée tente aussi de faire un premier nettoyage en s’attaquant assez basiquement aux cellules infectées. La défense adaptative est celle qui conserve la mémoire des infections précédentes et des manières de s’en défendre. c’est celle-là qui fabriquera des anticorps spécifiques aux virus ou bactéries entrant dans notre organisme et qui est donc témoin de l’expérience et de l’histoire du corps. Dans les maladies auto-immunes, l’organisme s’attaque à ses propres cellules ne pouvant différencier les siennes des cellules ennemies, ce qui explique une fragilité à l’égard de n’importe quel microbe.

L’immunité est bien singulière et on verra l’intérêt d’y être attentif pour se connaître. Le confinement nous a enfermé dans une réflexion individualiste qui a enchaîné panique et dépolitisation, mais l’immunité est bien collective aussi. On se rend compte début avril que le confinement va être compliqué à lever car il n’y aura pas assez de personnes immunisées contre ce virus. L’immunité collective consiste à ce que la majorité de la population contracte le virus, soit par la vaccination en injectant un peu du virus pour stimuler nos systèmes immunitaires et créer une défense spécifique, soit par la contamination en renforçant les systèmes immunitaires de chacun pour qu’ils soient plus réactifs qu’à l’habitude.

La décision politique de confiner la population aujourd’hui met en évidence le contrôle de notre immunité par l’institution de la médecine et dans le même temps de l’état. « Le corps est une réalité bio-politique, la médecine est une stratégie bio-politique »i, on ne peut se contenter de considérer que ce que nous sommes en train de vivre n’est qu’une réponse autoritaire à une crise sanitaire apparue à cause d’un virus inconnu. Elle vient pointer notre insuffisance à s’emparer d’une pensée corporelle qui ne se séparerait pas du politique. Le capitalisme n’a pas attendu une crise sanitaire pour s’emparer du corps comme réalité politique. Il l’a réduit à sa fonction productive, à sa force de travail. « Le contrôle de la société sur les individus ne s’effectue pas seulement par la conscience ou par l’idéologie, mais aussi dans le corps et avec le corps. Pour la société capitaliste, c’est le bio-politique qui importait avant tout, le biologique, le somatique, le corporel. »ii Ainsi, est apparu une médecine sociale qui devient hégémonique au détriment d’une médecine collective et privée avec des solutions hétérogènes pour se prémunir contre la maladie, de voir et d’accepter la mort possible entraînée par celle-ci. N’avoir qu’une seule réponse « médicale » pour un même mal ne relève pas d’une médecine intelligente, mais bien d’une idéologie totalisante loin d’être pragmatique et efficace. Elle réduit le corps à un mécanisme rationnel et réifie l’humanité, ne lui donnant qu’une valeur productive. Elle produit la notion aussi des personnes vulnérables selon des critères très variables. Si la vulnérabilité existe, il s’agit de se connaître et de connaître ses faiblesses pour ne pas déléguer sa protection à une entité étatique qui n’a pas les moyens réels de le faire. L’immunité peut être variable et des facteurs divers sont à prendre en compte pour ne pas s’exposer. Mais c’est aussi à ceux qui le peuvent de fabriquer des anticorps pour éviter des épidémies comme celle qui sévit actuellement.